Recensé : Christophe Bouton, Le Temps de l’urgence, Le Bord de l’eau, 2013, 298 p., 19 €.
L’essai de Christophe Bouton s’inscrit dans un ensemble déjà bien fourni de recherches sur la vitesse, l’accélération, l’agitation de la vie quotidienne ou la frénésie au travail. Mais le point de vue qui y est exposé tranche sur la plus grande partie de ces études, pour un certain nombre de raisons dont je voudrais indiquer ici les principales.
L’urgence comme norme temporelle d’action
La première originalité de l’approche de Bouton concerne la définition du problème lui-même. Dès l’introduction, l’auteur montre l’insuffisance des approches, aujourd’hui à la mode, qui se concentrent sur la vitesse ou l’accélération. Certes, l’accélération des progrès techniques, celle du tempo de la vie quotidienne et du travail, ou encore celle des transformations sociales peuvent entraîner une pression et une course incessantes, avec toutes les conséquences négatives que l’on connaît. Mais il existe des vitesses et des accélérations sans urgence et donc sans effets préjudiciables : par exemple, un déplacement en TGV ou l’utilisation récréative ou associative d’Internet. On pourrait ajouter qu’il existe des lenteurs et des décélérations mortifères : celles du chômage ou de la relégation, pour les prisonniers ou certaines personnes âgées. Toute vitesse et toute accélération ne sont donc pas en soi mauvaises ; toute lenteur et toute décélération pas toujours bonnes [1].
Par ailleurs, l’urgence ne se limite pas à la sensation ou au sentiment d’être pressé, stressé voire violenté ; il ne s’agit pas d’un simple fait subjectif. L’urgence constitue un « phénomène social total » (p. 16), un fait « systémique », qui, certes a des dimensions psychologiques, mais qui se manifeste dans tous les secteurs de la vie sociale et dont on peut repérer les origines géographiques (les pays industrialisés) et historiques (la fin du XVIIIe siècle avec les débuts de la révolution industrielle et l’essor du capitalisme).
Enfin, dans la mesure où elle est une réalité historique et sociale, au sens durkheimien que donne Bouton à ce terme, on peut définir l’urgence comme une « norme temporelle de l’action » (p. 103). Au lieu d’être simplement technique ou psychologique, le problème auquel nous sommes aujourd’hui confrontés relève ainsi de la diffusion d’une nouvelle norme ou, pour être plus précis, de la généralisation à toute la société d’une norme qui existait déjà mais qui était restée circonscrite à certains milieux — l’urgence hospitalière, l’urgence des secours en mer ou contre l’incendie.
Les nouveaux domaines de l’urgence
Deuxième originalité de l’approche développée par Bouton : la présentation des faits. Contrairement à de très nombreux essais concernant la vitesse ou l’accélération qui ne s’embarrassent guère des données empiriques ou ne citent que celles qui vont dans le sens de leurs spéculations, Bouton s’astreint à décrire dans la première partie de son livre, de manière très minutieuse, « l’extension du domaine de l’urgence », dans l’économie, le travail, la vie quotidienne, le droit, la politique, l’environnement, l’éducation, les médias.
Cette partie est l’occasion pour l’auteur de rappeler un certain nombre de faits connus, mais dont on ne peut sous-estimer l’importance, concernant l’évolution de l’Organisation Scientifique du Travail, depuis le taylorisme et le toyotisme jusqu’aux nouvelles techniques de management par équipes et par compétition interne apparues dans les dernières décennies du XXe siècle. À l’aube du XXIe siècle, le temps de travail apparaît ainsi comme un temps « densifié, compressé, imposé mais aussi contrôlé » (p. 49). Outre les conséquences néfastes de ces transformations, la perte de la satisfaction de « l’ouvrage bien fait », la fatigue, le surmenage, la dépression, le burnout voire, dans certains cas, le suicide, Bouton souligne à raison leur effets anthropologiques de fond : « Les techniques de management moderne ont façonné un homme nouveau, elles ont converti l’homo œconomicus en homo temporalis. Le salarié doit être le leader de soi-même et gérer sa vie comme une micro-entreprise » (p. 65).
Les dégâts de l’urgence
Troisième originalité : la construction et l’évaluation des faits. Tout en donnant à l’empirique, on vient de le voir, la part qui lui revient, Bouton s’oppose ici à toutes les approches empiristes et positivistes, de plus en plus envahissantes aujourd’hui, qui se retranchent derrière le pseudo-principe de neutralité épistémo-axiologique. Contrairement à nombre de ses contemporains, Bouton sait non seulement que les « faits » ne se donnent pas d’eux-mêmes et sont toujours construits à partir d’un point de vue, mais aussi qu’ils ne prennent sens que lorsqu’ils sont jugés à l’aune de critères normatifs.
La deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « les dégâts de l’urgence », décline ainsi ses conséquences néfastes sur notre perception de l’existence, notre psychisme et notre corps.
Reprenant à son compte l’interprétation de Hartmut Rosa, Bouton commence par souligner la contradiction introduite dans la culture moderniste — au moins dans sa tendance principale — par la diffusion de la norme temporelle de l’urgence. Alors que le projet éthique et politique mis en place par les Lumières promettait à chacun son autonomie, celle-ci introduit une « hétéronomie temporelle, au sens où les normes temporelles qui régissent la vie sociale, au sommet desquelles se tient l’urgence, s’imposent aux individus contre leur gré » (p. 123).
Puis l’auteur reprend la critique psycho-sociologique commencée dans la première partie à propos du travail et la généralise à toute la société. Aux problèmes signalés plus haut, s’ajoutent chez l’homme en état d’urgence — la « time-urgent personality » décrite par Robert Levine — des transformations psychiques qui confinent parfois à la pathologie : le sentiment de manquer de temps, l’impatience, l’obsession de la ponctualité, la manie de tout planifier en détail, même dans les moments de temps libre, la concentration exclusive sur les intérêts professionnels aux dépens de la vie privée, les insomnies, les idées fixes.
L’étape suivante consiste en une critique phénoménologique de la « temporalité de l’urgence ». Celle-ci prolonge d’une nouvelle manière la mesure, l’homogénéisation et la dénaturalisation de plus en plus parfaites du temps, qui ont été de nombreuses fois analysées depuis Bergson, entre autres dans les travaux de Le Goff, Thompson, Landes et Elias. Lorsqu’il est envahi par l’urgence, le temps quotidien, habituellement plus ou moins harmonieux, se transforme en « temps du besoin et du souci », en « notes dissonantes et en cacophonie » (Bruce Bégout). De même, le temps plus vaste de la vie perd à la fois l’ouverture de « l’horizon d’attente » qui lui était garantie par la promesse moderniste (Koselleck), « le champ d’expérience » que lui assurait la possibilité de rassembler son passé dans des récits (Ricœur) et le « présent » auquel il semble se réduire et qui pourtant n’est qu’un « présent dérobé ». Enfin, le temps de l’histoire perd sa dynamique et son orientation en se séparant du temps individuel : « Nous nous désolidarisons de l’histoire présente. Le temps de l’urgence est un temps déshistoricisé » (p. 159).
À ces trois premiers éclairages critiques, Bouton en ajoute un quatrième sur lequel je voudrais insister un peu car il constitue, à mon avis, l’un des apports les plus originaux du livre. Ce dernier point de vue, Bouton le construit en effet à partir d’un attelage inattendu associant une ligne de pensée marxienne et une ligne tirée de l’expérience artistique et tout particulièrement littéraire.
Il reprend ainsi une critique classique que l’on trouve déjà chez Marx et qui a été illustrée de nombreuses fois pas la suite, en particulier dans la première moitié du XXe siècle par Georges Friedmann, et encore récemment par Nicole Aubert et Richard Sennett. Comme le travailleur n’est plus qu’un rouage dans un processus de fabrication qui le dépasse, « il ne lui est plus possible de se reconnaître dans l’objet qu’il a fait, d’en retirer une fierté, une satisfaction. Le taylorisme, le toyotisme et le néo-taylorisme ont accentué ce désœuvrement du travail, en diminuant de plus en plus la part de créativité » (p. 178). C’est pourquoi, l’urgence, qui a pénétré depuis ces dernières décennies le monde du travail, est en train de le stériliser encore un peu plus : « En provoquant une hyperactivité qui rabat la créativité du travail sur la production standardisée de biens ou de services, l’urgence engendre un désœuvrement au sein même du travail salarié, un travail désœuvré, au sens où elle enlève au travail ses propriétés qui lui permettent de “faire œuvre” » (p. 178). Vu l’importance du temps de travail dans nos vies, cette dégradation entraîne finalement une dégradation analogue de la vie tout court qui est « dépossédée de son style et de sa puissance créatrice » (p. 179).
Il me semble remarquable que Bouton associe cette tradition critique marxienne, à une approche qu’il faut appeler poétique, au sens de la poétique, même si Bouton n’utilise pas le mot : « L’œuvre est une réserve inépuisable de sens, en attente d’interprétations futures toujours nouvelles. Cette temporalité spéciale de l’œuvre, qui fait se prolonger le temps de la vie dans le temps de l’histoire, a été maintes fois célébrée » (p. 180). Et Bouton de citer Le Temps retrouvé où Proust « souligne la capacité des œuvres à nourrir les générations futures [...] “pour que pousse l’herbe non de l’oubli mais de la vie éternelle, l’herbe drue des œuvres fécondes, sur laquelle les générations viendront faire gaîment, sans souci de ceux qui dorment dessous, leur ʻdéjeuner sur l’herbe’ ” » (p. 180). Le diagnostic qui est tiré de cette approche corrobore l’analyse marxienne d’un travail désormais sans œuvre mais il la porte à la dimension globale de la culture.
Le capitalisme comme cause structurante de l’urgence
Quatrième originalité : l’explication des faits. La troisième partie de l’ouvrage explore les différents facteurs qui peuvent rendre compte des faits accumulés et évalués précédemment.
À la différence de la plupart de ses contemporains, Bouton rejette l’idée d’un simple pluralisme des causes de l’urgence. Il conteste dans cette idée l’absence de hiérarchisation et, quand ce n’est pas le cas, la tendance assez fréquente à mettre en avant le facteur technique. Pour lui — et on ne peut que lui donner raison —, il n’y a aucun déterminisme de la technique.
Pour Bouton, qui se place clairement ici dans une lignée marxiste, il faut rendre au capitalisme ce qui lui appartient. La cause principale de la diffusion de l’urgence se trouve dans la course à la productivité, qui caractérise celui-ci, depuis que, dans les années 1990, sous la pression des marchés financiers, il a commencé à exiger une rentabilité de 15 % par an sur les capitaux investis.
Précisons que cette détermination « en dernière instance » par le capitalisme ne fait pas retomber Bouton dans le réductionnisme économique qui a été le propre d’un certain marxisme. Non seulement il conserve en effet le principe d’un pluralisme des causes, mais toute la troisième partie de son livre est consacrée à examiner l’articulation du facteur économique aux autres.
Après un examen rapide des motivations psychologiques qui peuvent expliquer l’attrait qu’exerce l’urgence chez certaines personnes et sur lesquelles tentent de s’appuyer l’idéologie du néo-management — le sentiment de toute-puissance, le plaisir des montées d’adrénaline, le désir de reconnaissance sociale, la peur sécularisée de la mort —, Bouton s’interroge sur sa transformation historique en norme sociale. Or, d’une manière aussi inattendue et aussi féconde que lorsqu’il attelait Marx et Aristote, il interprète celle-ci comme la mise en place d’une « discipline », au sens foucaldien du terme.
Selon Foucault, comme on sait, la discipline, introduite à partir du XVIIe siècle dans les prisons, les hôpitaux, les hospices et les asiles, les institutions d’enseignement et les orphelinats, puis au siècle suivant dans les manufactures et bientôt les usines, quadrille le temps, l’espace et les mouvements de corps. Elle a pour objectif de mettre en place des formes particulières d’individuation. Or, ce nouvel éclairage a tendance à assouplir ce qu’avait d’un peu réducteur le déterminisme économique marxiste. En effet, les disciplines ne sont pas nées, comme on aurait pu s’y attendre du point de vue d’un économisme pur, dans les manufactures et les usines ; elles ont été testées et développées au cours des deux siècles précédents dans des institutions non productives. Ce qui relie les transformations de ces sphères de la vie sociale à celles de l’économie, c’est la question de l’organisation temporelle de la vie des individus, c’est-à-dire du rythme.
Toutefois, fait remarquer Bouton, critiquant au passage Foucault, à partir du XIXe siècle et de la Révolution industrielle, la causalité s’est renversée. Au moins depuis cette époque, le capitalisme est devenu la cause dominante de l’évolution des rythmes.
Suit une section assez longue consacrée à analyser « l’économie du temps » qui est sortie de cette « grande transformation ». Bouton l’envisage, tout d’abord, mais sans y insister, d’un point de vue phénoméno-ontologique : l’« arraisonnement de la nature » dénoncé par Heidegger s’accompagnerait d’« un arraisonnement du temps : à l’ère de la technique, il est devenu lui aussi une “ressource”, qui doit être quantifiée, extraite, exploitée, consommée de diverses manières » (p. 213). Puis il en reprend la généalogie historique bien connue : l’apparition du « temps des marchands » à la fin du Moyen Age mis en évidence par Jacques Le Goff, la diffusion au cours de l’ère moderne « des horloges et des montres » soulignée par David S. Landes, enfin, la « capitalisation du temps » à partir de la Révolution industrielle, analysée en détail par Marx. Après une période où le marxisme a presque disparu, on lira avec profit les analyses élémentaires mais claires consacrées par Bouton à la question du temps dans LeCapital.
Comment arrêter l’urgence
Cinquième originalité : les solutions envisagées pour arrêter ou désamorcer l’urgence. Bouton se démarque là encore très nettement de ses contemporains, dont il rejette, non sans les avoir discutées en détails, la plupart des propositions — qui ne sont du reste pas si nombreuses.
Dans cette quatrième et dernière partie du livre, il s’en prend, tout d’abord, avec une grande justesse, à quatre attitudes fréquemment adoptées à l’égard de la diffusion de l’urgence : le catastrophisme à la Sloterdijk — mais il aurait pu citer également Virilio — qui se discrédite de facto chaque jour un peu plus dans la mesure où le « grand accident » annoncé n’arrive pas ; la banalisation qui ne propose qu’une adaptation à un monde de plus en plus injuste et dur ; la psychologisation qui refuse de voir l’aspect social du problème et se replie sur des solutions individuelles à portée très limitée ; enfin, le fatalisme — dans ses différentes versions — qui pense qu’on ne peut rien faire.
Bouton examine ensuite les postures plus combattives — ou au moins qui se présentent comme telles. En ce qui les concerne, il souligne de nouveau les effets délétères de la confusion entre la vitesse et l’urgence présupposée par la plupart de ces postures. Ces théories ne peuvent apporter de réponses satisfaisantes car, d’emblée, elles posent mal le problème. Il ne s’agit pas d’un problème de vitesse mais de rythme et plus précisément encore de qualité des rythmes de nos vies : « Il ne s’agit pas de ralentir en général, mais de décompresser le temps, d’assouplir le carcan temporel, de freiner la course à la productivité dans l’organisation du travail » (p. 248). Et de fait, le plus souvent ces discours « critiques » ne débouchent que sur des déplorations ou bien des propositions illusoires comme celle, avancée par Hartmut Rosa, d’établir des « îlots de décélération » au milieu des courants toujours plus rapides qui balayent notre monde.
Cette confusion, entretenue au niveau théorique depuis des années par Paul Virilio et plus récemment par Hartmut Rosa, est présente également dans ces autres formes de critique, moins tonitruantes mais tout aussi à la mode, que constituent les mouvements Slow et dont Bouton pointe avec justesse les limites : « L’idée d’un salut par la lenteur n’est qu’une illusion, tant qu’elle ne s’attaque pas aux causes structurelles du problème. » (p. 266). Toutefois, Bouton ne condamne pas en bloc ces mouvements et il trouve quelques attraits au projet d’une Slow Education, ou encore à celui d’une Slow Science, qui cherche à rétablir dans le monde académique « la skholè, ce loisir qui est la condition de la recherche et de la créativité » (p. 265).
Pour Bouton, une fois écartées une à une toutes les « fausses solutions qui, comme un écran de fumée, ne font que reconduire l’urgence » (p. 250), il convient en dernière analyse de chercher des solutions « politiques et juridiques » (p. 266). La norme de l’urgence peut-être combattue par la loi et c’est donc aux élus qu’il appartient « de concevoir et de mettre en œuvre une politique d’aménagement du temps » (p. 267). La longue enquête de l’auteur débouche ainsi sur une position réformiste tout à fait assumée, qu’il prend la peine de détailler dans la dernière section du chapitre.
De la critique des loisirs à l’éloge du loisir
Dernière originalité : l’éloge du loisir contre les loisirs. Dans la conclusion de son ouvrage, Bouton revient sur la valeur qu’il lui semble essentiel de promouvoir, notamment au regard des valeurs de second rang qui ont aujourd’hui pignon sur rue : « Le contrepoids à l’urgence n’est ni l’oisiveté, ni la lenteur, mais le loisir » (p. 283). Pour cela, il en analyse finement les différentes acceptions, présentes déjà dans la skholè ou l’otium antiques. Dans son sens le plus noble, le loisir était « un temps libéré des tâches matérielles et des nécessités de la vie » (p. 284). Il permettait au citoyen qui en bénéficiait de « se consacrer à une noble tâche utile pour la cité, qui relève de la vie politique ou de la vie contemplative » (p. 284). Autrement dit, le loisir se caractérisait « par un libre usage du temps » (p. 284).
Toute la question est de savoir si nous pouvons « envisager une conception démocratique du loisir » (p. 284), non pas du reste simplement parce que le loisir, chez les Anciens, supposait l’esclavage — auquel il serait facile de suppléer aujourd’hui grâce à l’augmentation de la productivité —, mais bien plus profondément parce qu’il est menacé, chez les Modernes, par au moins deux types de dévoiements : soit il est pensé, comme dans les multiples « éloges de la paresse », en opposition absolue au travail, ce qui ne change rien au caractère aliéné de celui-ci ; soit, lorsqu’il est pluralisé sous la forme « des loisirs », il est perçu comme un temps simplement réparateur ou compensateur, c’est-à-dire dans un rapport de complémentarité au travail, accepté au passage comme aliéné, un temps qui n’échappe pas du reste à la consommation.
L’ambition de Bouton serait de remettre le loisir dans une relation d’inclusion avec le travail. Non plus l’oisiveté ou les loisirs, mais le loisir actif, studieux ou contemplatif, de toute façon libre : « Il s’agit de penser une skholè en un sens non aristocratique, un libre usage du temps dans l’activité professionnelle et dans les loisirs, un temps libre pendant le travail et en dehors du travail » (p. 294).
Pistes pour une discussion
Je voudrais, pour finir, indiquer très brièvement les principaux points de l’essai qui pourraient faire l’objet de débats. On a vu comment cette critique de l’urgence s’acheminait petit à petit vers une critique des rythmes du contemporain. C’est à mon avis ce qui fait sa force. Mais, précisément, c’est aussi ce qui rend plus sensible encore ses faiblesses passagères, par exemple lorsque le rythme a tendance à s’effacer, en dépit des précautions prises, derrière la notion de tempo, lorsque la thématique rythmique se perd aux dépens de la seule thématique temporelle prise dans un sens phénoménologique, lorsque Mauss n’est pas reconnu comme un penseur du rythme, ou encore lorsque le langage disparaît du tableau et que les leçons rythmologiques de la poétique sont ignorées au profit de conceptions venant de la rhétorique et de la sociologie pragmatique de l’art.
En dépit de ces quelques points, on aura compris que je trouve ce livre tout à fait remarquable : non seulement parce qu’il allie clarté dans l’exposition, honnêteté dans la discussion et pertinence dans le choix de ses principaux appuis théoriques, mais aussi parce qu’il témoigne, à mon sens, de manière très significative, d’un mouvement de pensée actuellement en voie d’émergence, qui place la question de l’organisation temporelle des processus d’individuation, c’est-à-dire la question du rythme, au centre de ses préoccupations.