Alessandro Cigno, Martin Werding, Children and Pensions, Cambridge, MIT Press, coll. « CES ifo », 2007, 204 pages.
Les retraites font battre le pavé. Elles alimentent les discussions de café et les craintes gouvernementales. Elles voient se succéder les réformes, les propositions et les controverses. Les économistes Alessandro Cigno et Martin Werding font œuvre utile (même si parfois ardue d’accès) en revenant aux fondamentaux des systèmes de pensions. Bien que truffé d’équations obscures, leur petit ouvrage a bien des vertus. Mobilisant arguments théoriques et données empiriques il propose un panorama des questions relatives aux retraites, avec quelques remarques et observations aussi originales que fondamentales.
Stabilité et générosité des retraites ont un impact négatif sur la fécondité
Les niveaux de fécondité encore très élevés dans les pays en développement peuvent s’expliquer par l’absence de systèmes publics de retraite. Pour nos deux auteurs, l’organisation publique des transferts intergénérationnels est un élément clé pour saisir les différences internationales en ce qui concerne la fécondité, l’épargne des ménages, la productivité ou encore le niveau d’implication des parents auprès de leurs enfants. Ils opposent nettement les Etats-Unis, d’une part, la vieille Europe et le Japon vieillissant, d’autre part. Cigno et Werding soutiennent que les Etats-Unis sont jeunes et dynamiques démographiquement car le système américain de pensions est de faible ampleur. Europe et Japon doivent-ils pour autant suivre l’exemple américain ? Ce n’est pas certain. L’essentiel est d’abord de savoir à quoi doit servir un système de retraite.
Si la taille et les capacités économiques des générations étaient indépendantes les unes des autres, la seule justification des retraites serait une forme de compassion pour pallier l’aléa moral des plus faibles qui ne sauraient s’assurer pour leurs vieux jours. Les bases beveridgiennes des systèmes, consistant à mettre en place un filet de sécurité minimal, reposent sur cette idée. Cependant cette justification est bien limitée au regard des enjeux. Le niveau de fécondité et de performance économique d’une génération dépend très largement des générations précédentes ainsi que des politiques publiques mises en place.
Les auteurs soutiennent que le niveau de fécondité, à un niveau agrégé, est fonction des incitations qui conditionnent les comportements individuels. La fécondité individuelle garde sa part de mystère. Cigno et Werding soutiennent en revanche que les transferts ont, au total, un impact considérable.
On a trop tendance à observer les faibles niveaux de fécondité, notent les auteurs, comme on observe le réchauffement climatique. Il s’agirait de problèmes considérables, sur lesquels les politiques publiques n’auraient que peu de prise. Au contraire, les politiques publiques sont performantes. Cependant ce n’est pas nécessairement dans le sens que l’on pense. En clair, plutôt qu’elles n’incitent à l’augmentation de la fécondité, les interventions publiques peuvent plus efficacement la limiter, qu’il s’agisse d’une visée explicite ou d’un effet global inattendu.
Un mélange de libéralisme et de familialisme
Très libéraux, selon les canons français, les deux auteurs ne considèrent pas le marché comme le meilleur mécanisme de coordination spontanée. S’ils écrivent que « l’intervention publique, sous toutes ces formes, devrait en rester au strict minimum », ils reviennent sur le rôle majeur de la famille dans la coordination des décisions individuelles de reproduction et dans l’organisation des transferts intergénérationnels privés. Très familialistes à bien des égards, Cigno et Werding soutiennent que les arrangements intra-familiaux peuvent être de bien plus justes et bien plus efficaces vecteurs de redistribution que le marché ou les politiques publiques.
Très incisifs, ils plaident résolument pour l’adaptation de l’âge de départ à la retraite. Alors qu’ils mettent tout en équations sophistiquées, la problématique de l’âge du départ à la retraite est traitée avec un raisonnement mathématique des plus simples et des plus limpides. Si un homme a une espérance de vie de 78 ans, alors qu’elle n’était que de 68 pour son père, et si tous les deux prennent leur retraite à 63 ans (nous sommes aux Etats-Unis), le premier devra être soutenu et financé pendant trois fois plus de temps que son ascendant. La longévité n’est véritablement un problème qu’en raison du caractère statutaire, voire obligatoire, de l’âge de départ à la retraite.
Les auteurs laissent de côté la question du nécessaire renouvellement des générations. Ce renouvellement ne saurait seulement se légitimer par l’objectif d’équilibre financier des régimes de retraite. Il pose nombre de problèmes en termes de développement durable. Les partisans de la « décroissance » proposent d’ailleurs de ne plus se fixer un tel objectif. Les croyants pensent qu’il faut croître et prospérer. Cigno et Werding n’en disent pas un mot. Leur texte, au-delà de remarques originales et fondamentales, est une pépite en ce qui concerne les comparaisons internationales sur des sujets compliqués et autour desquels il manque des données. Le lecteur intéressé se jettera donc avec passion sur les comparaisons entre différents pans de la politique familiale, les dépenses fiscales, l’organisation des équipements et services. Les spécialistes goûteront avec délice les informations et développements sur les avantages familiaux de retraite. Les bonifications de pensions, les majorations de pension pour charge de famille et autres prestations familiales attachées aux retraites représentent un point de PIB en France. Ces mécanismes sont quasi-inexistants aux Etats-Unis ou au Japon. Ils ont, aux yeux des auteurs, l’avantage de lier la structure des pensions à la taille de la descendance d’un ménage.
Distinguant en matière de réforme le souhaitable du possible Cigno et Werding ne visent pas la révolution. Ils veulent revisiter les systèmes. Il y aura toujours un système de filet de sécurité. Il faut ensuite deux mécanismes, l’un par cotisations assises sur les revenus et un autre, plus original, prenant en compte le nombre et les capacités contributives des enfants. En clair les deux économistes appellent à relier le montant individuel des retraites au nombre d’enfants des parents et à l’investissement (en temps notamment) qu’ils ont bien voulu consentir pour leur éducation.
Que retenir de cette masse d’informations souvent inédites et d’analyses parfois plus conventionnelles ? La grande leçon, c’est qu’en limitant les systèmes publics de retraite, la fécondité pourrait repartir à la hausse. C’est là une option bien tentante – même si peu réaliste – pour des gouvernements confrontés à la fois à la crise financière des retraites et à l’effondrement de la fécondité…
Pour citer cet article :
Julien Damon, « Ajuster retraites et politiques familiales »,
La Vie des idées
, 11 juin 2008.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr./Ajuster-retraites-et-politiques
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