Recherche

Recension Philosophie

Jusqu’où ira le care ?

À propos de : F. Worms, Le moment du soin. À quoi tenons-nous ?, PUF ; M.Garrau et A.Le Goff, Care, justice et dépendance, PUF ; V. Nurock (dir.) Carol Gilligan et l’éthique du care, PUF.


par Fabienne Brugère , le 4 octobre 2010


Télécharger l'article : PDF

Récemment, le care a fait en France son entrée sur les scènes de la réflexion philosophique et du débat politique. Parfois caricaturé, souvent mal connu, le care, entre théorie et pratique, morale et politique, étudie à nouveaux frais la dépendance au cœur du lien social.

Recensés :
  • Frédéric Worms, Le moment du soin. À quoi tenons-nous ?, Paris, PUF, coll. « Ethique et philosophie morale », 2010, 271 p., 26 €.
  • Marie Garrau et Alice Le Goff, Care, justice et dépendance, Paris, PUF, coll. « Philosophies », 2010, 151 p., 12 €.
  • Carol Gilligan et l’éthique du care, coordonné par Vanessa Nurock, Paris, PUF, coll. « Débats philosophiques », 2010, 176 p., 15 €.

Alors que le linguiste italien Raffaele Simone analyse dans Le Monstre doux comment une droite décomplexée en Europe a su se rallier des populations enfermées dans des égoïsmes arrogants qui privilégient la consommation à tout crin, le divertissement, le culte du corps jeune à tout prix et l’argent facile plutôt que le travail, comment défendre aujourd’hui une philosophie morale et politique enracinée dans l’attention aux autres, qui, de plus, se nourrit d’un concept issu de la gauche intellectuelle américaine, celui de care ? Plus encore, comment évoquer un courant théorique qui va à l’encontre de la pensée dominante, celle qui nous assure que ce qui circule entre les humains se définit essentiellement par l’échange marchand ? Certes, les travaux de certains anthropologues et sociologues depuis l’Essai sur le don de Mauss [1] nous ont appris que le lien social n’est pas seulement fait de calculs et d’intérêts mais repose sur des échanges humains qui ne passent pas par le marché. Plus encore, la solidarité est un vieux concept politique en France et le solidarisme de Léon Bourgeois, que l’on peut comprendre comme un devoir d’assister ceux de nos semblables qui sont dans l’infortune, a toujours eu ses adeptes. On peut dire que la théorie du care appartient à cette mouvance des sciences humaines qui déborde largement l’idée d’homo œconomicus et la perspective d’une rationalité de l’action structurée par l’intérêt. Plus encore, ses enquêtes psychologiques et sociologiques montrent combien les pratiques liées à un souci des autres, qu’elles constituent un travail ou seulement une activité domestique, sont rendues invisibles et ne font pas l’objet de la même reconnaissance que des activités issues des sphères financières, productivistes ou politiques.

On peut donc se demander ce qu’exprime l’intérêt français aujourd’hui pour le concept de care , intérêt mêlé de beaucoup d’inquiétude et d’ignorance tant il s’agit d’une pensée éthique et politique qui se détourne des rationalités utilitariste et kantienne pour s’enraciner de manière non marxiste dans le monde social et ses particularités. Il est difficile de trouver pour ce courant intellectuel une tradition de pensée, sinon dans la critique de la raison spéculative et l’analyse des nouvelles compétences confiée à l’affectivité chez les philosophes des Lumières. Trois publications récentes permettent de mieux cerner cet intérêt, sa réception en France, et sa forte portée à la fois morale, sociale et politique. Il s’agit du livre de Frédéric Worms, Le moment du soin. À quoi tenons-nous ?, de celui de Marie Garrau et Alice Le Goff, Care, justice et dépendance et d’un collectif consacré à Carol Gilligan, intitulé Carol Gilligan et l’éthique du care (coordonné par Vanessa Nurock). Les trois ouvrages sont très différents. En particulier, celui de Frédéric Worms porte sur le soin et le « prendre soin », et engage des discussions avec Levinas, Ricoeur ou Simone Weil, l’éthique du care ne valant que comme l’un des lieux de discussion privilégié.

Du sensible dans les institutions

Il n’en reste pas moins que ces livres ont en commun de concevoir la philosophie comme une étude générale des relations entre les êtres. Le fait de « prendre soin » ou de pratiquer le care suppose que la relation n’est pas seulement une relation à, relation froide pourrait-on dire, mais une relation entre, relation chaude, ayant une profondeur temporelle, affective, et supposant de l’engagement personnel, de la compétence, de l’attention pour pouvoir exister comme telle. Bref, ces philosophies de la relation ne sauraient être considérées sans un préalable essentiel : introduire du sensible dans le lien social, préconiser un retour de la pensée aux vies ordinaires, repartir des pratiques individuelles et collectives telles qu’elles peuvent se déployer dans les institutions plutôt qu’analyser ces institutions comme des structures sans individus qui, pourtant, les font vivre ou les servent, et donc les modifient !

Tout d’abord, le propos de Frédéric Worms sur « le moment du soin » se nourrit de tout un travail sur la philosophie contemporaine qui lui fait comprendre le soin comme séquence caractéristique de notre époque. Pourquoi ? La perspective d’une philosophie sensible, qui fait la genèse des subjectivités individuelles tout en montrant les agencements dans les situations de soin, permet de porter la reconnaissance d’une humanité qui se perçoit de plus en plus à travers la vulnérabilité.

Le soin peut faire l’objet d’une définition générale : « toute pratique tendant à soulager un être vivant de ses besoins matériels ou de ses souffrances vitales, et cela, par égard pour cet être même » (p. 21). Il rend visible un sujet de besoins qui requiert l’attention des autres pour se développer, se maintenir dans l’existence ou être protégé. En même temps, l’acte de soigner ne doit être ramené ni à sa dimension de technique, ni se réduire à être une réponse à une nécessité physiologique ou biologique ; le soin est une nécessité relationnelle. Toutefois, deux logiques relationnelles distinctes sont à l’œuvre dans le soin. La première, que Worms nomme le « modèle parental », revient à définir la relation parentale comme relation de soin ou encore d’adresse, les soins parentaux devant être compris comme ce qui permet à un être humain de devenir un être ou un enfant individuel. Du coup, la théorie de l’attachement (malgré des différences notables de Bowlby à Winnicott) doit être comprise, par-delà la réponse à un besoin biologique spécifique comme ce qui porte « le besoin constitutif pour le sujet individuel d’un soin adressé », ce qui suppose une réponse (p. 25). À l’intérieur même du modèle parental, il faut souligner le travail de la psychanalyse et la possibilité pour elle de soigner les relations elles-mêmes. La pratique psychanalytique peut valoir alors comme un écho à la deuxième dimension du soin, le soin « médical », non pas « global » et « intégratif » à la différence du premier mais « partiel » et « dissociatif ». Si le premier modèle du soin repose sur un lien expressif entre les corps et les individus, ce deuxième modèle s’enracine dans un lien cognitif, technique ou une compétence.

Plus encore, analyser la complexité des relations de soin revient à mettre sur le devant de la scène une contradiction qui concerne le sujet moderne et démocratique : celle de la vulnérabilité et du pouvoir. Dans cette perspective, une éthique et une politique de ces relations reposent sur l’attention mutuelle entre les hommes afin de faire que la vulnérabilité, rendue visible dans des relations pourtant asymétriques, vaille toujours comme une préoccupation adressée aux autres et à soi.

Cette philosophie du soin doit alors être complétée par une interrogation sur les limites du soin, ce qui le met en péril et le rend en même temps d’autant plus pressant : les catastrophes, les pandémies, les violations. Elle doit par ailleurs s’accompagner d’une réflexion sur le tissu social d’une éthique du soin, liée à l’attention aux autres. F. Worms se souvient alors de Bergson et de la perspective d’une société ouverte. L’éthique en appelle à une conception de l’humanité sur le mode d’une communauté ouverte, ce qui revient à penser l’autre comme celui avec qui un lien est toujours possible, sur le mode de la densité que peuvent préfigurer les relations concrètes quelles qu’elles soient. Le livre renvoie à une conception de la vie comme viabilité, avec une vulnérabilité fondamentale en toile de fond.

Soin et dépendance

Le concept de vulnérabilité est également au cœur du livre de Marie Garrau et d’Alice Le Goff même s’il est largement ramené à la question de la dépendance dès l’introduction : « Cette vulnérabilité renvoie à la dimension relationnelle d’une existence marquée par la passivité et l’exposition, que les relations de dépendance ne viennent pas d’abord limiter, mais soutenir et protéger » (p. 7).

La notion de dépendance doit être alors repensée. On doit tout d’abord rappeler qu’elle peut porter deux sens, le premier négatif et le second positif. D’un côté, elle désigne l’idée d’emprise d’un individu sur un autre et une relation de sujétion. Est dépendant celui qui se trouve sous l’autorité ou la domination de quelqu’un d’autre. De l’autre, elle renvoie à la solidarité existant de fait entre deux ou plusieurs éléments. Elle témoigne de relations productives qui unissent alors un élément passif et un élément actif pour que le premier puisse se réaliser, déployer sa propre allure de vie. L’éthique du care valorise le second sens de la dépendance contre le premier qui en fait un concept en creux pour conforter une idéologie de l’injonction à l’autonomie, la dépendance stigmatisant certaines catégories d’humains et soulignant des incapacités ou des déficiences. Défendre une positivité ou une « dignité de la dépendance » (pour reprendre une expression de Richard Sennett dans Respect) revient alors à souligner un potentiel moral plutôt que des données sociologiques qui risquent d’opter pour des compréhensions séparées et locales des dépendances : souvent, les politiques de prise en charge des personnes âgées ou d’assistance sociale sont construites autour de l’isolement de ces populations que l’on fait sortir d’un lien social ordinaire alors que l’on pourrait bâtir des synergies avec la société et structurer l’aide apportée comme un accompagnement pour restaurer de la puissance d’agir. Le potentiel moral des relations de dépendance est à comprendre, à partir des travaux de Carol Gilligan, en réaction à une psychologie du développement moral qui glorifie le raisonnement abstrait, les résolutions en termes de droits et de devoirs dans les dilemmes moraux, les conflits de valeurs. Seulement, défendre l’abstraction morale, c’est en rester à une conception du sujet de droits qui se reconnaît dans un moi distancié à l’égard d’autrui, et dont les conduites promeuvent l’autonomie. Or, comment faire une place aux situations de dépendance dans ce dispositif ? Elles ne peuvent déployer une dignité que si, comme Gilligan, on associe leur reconnaissance à une autre morale qui repose sur l’attention aux autres, la prise de conscience des besoins des autres et de mondes différents mais tout aussi viables. Dès lors, l’éthique du care se caractérise par le maintien des relations avec les êtres les plus vulnérables (ceux qu’il faut aider, soigner ou protéger pour qu’ils déploient leur propre rapport à la vie), ce qui suppose une importance accordée à la notion de responsabilité : prendre soin ne relève pas d’un vague impératif humanitaire mais d’une conscience des injustices réelles.

Le care comme politique

Les analyses de Garrau et le Goff quittent alors le domaine moral pour des approches sociales et politiques. Il s’agit de revenir sur le livre de Joan Tronto, sa compréhension du care non seulement comme activité mais comme travail, pour redéployer sa théorie critique du care maintenant mieux connue en France (en dévoilant le contexte idéologique des activités de care dans les sociétés de marché, les attributions des tâches de care aux moins puissants – femmes, immigrés ou travailleurs pauvres). Il existe aujourd’hui une crise du care parallèlement à la crise du capitalisme : double journée des femmes qui creuse les inégalités de genre, déficit de care pour de nombreuses familles, faible reconnaissance des métiers liés au soin ou à la sollicitude. Cette crise s’exprime dans la difficulté qu’ont ces professions à être reconnues dans leur dimension soignante, à cause d’une naturalisation du soin ramené aux valeurs féminines et aux pratiques discrètes de la sphère domestique.

On pourrait d’ailleurs insister plus que ne le font Garrau et le Goff sur le sens politique des analyses de Tronto : dénoncer l’exploitation néolibérale de ces pratiques pourtant cruciales au fonctionnement du marché, considérer les mouvements sociaux plus ou moins organisés (associations humanitaires, clinique sociale, organisations non gouvernementales, etc.) qui, déjà, mettent en pratique le care et ne se réduisent absolument pas à une logique compassionnelle, comme une véritable force sociale à laquelle il faudra bien faire une place.

Quand elles abordent les problèmes d’une politique du care, Garrau et le Goff prennent pour point de départ les critiques de la théorie rawlsienne de la justice faites du point de vue de la question de la dépendance, principalement celles d’Eva F. Kittay et de Martha Nussbaum. Kittay prend pour appui des formes extrêmes de dépendance (comme des handicaps mentaux sévères) pour montrer combien une théorie abstraite de la justice fondée sur une position originelle qui exclut toutes les particularités ne permet pas de penser un projet politique soucieux des capacités propres des individus – capacités enracinées dans des histoires individuelles et collectives qui ne s’effacent pas devant la figure d’un agent rationnel et autonome. Certains individus vivent de manière plus fragile que d’autres en société, et il est nécessaire de les accompagner, de créer avec eux des liens spécifiques plutôt que de les isoler et de les rendre invisibles en les considérant comme inadaptés socialement. Or, la théorie rawlsienne de la justice ne rend pas compte de cette mission politique d’entraide et de responsabilité à l’égard des plus dépendants ou des plus faibles. Kittay soutient l’idée d’un State of care en quelque sorte, d’une démocratie qui soutient des institutions capables de fabriquer du lien, du bien commun tout en prenant en compte des différences. Plus encore, selon Nussbaum, la philosophie politique doit comprendre la vie humaine comme vie vulnérable, ce qui passe pour elle par la pertinence d’un sujet de besoin ou par la reconnaissance d’une égalité des capacités de base combinant des états les plus élémentaires (comme manger à sa faim, être en bonne santé, etc.) et des états plus complexes (avoir une vie sociale, être heureux, avoir accès à la culture et au savoir, etc.). Le projet de Nussbaum, tout à fait en accord avec l’esprit du care, est de ne pas en rester à une égalité abstraite tant on sait combien il est facile de la proclamer et de la transformer en outil rhétorique. Partir du monde social dans sa diversité, c’est en appeler à une égalité réelle, ce qui suppose d’introduire du pluralisme. Le care vaut comme la possibilité de déployer des politiques d’accompagnement, dans l’idée de pouvoir rétablir de la puissance d’agir au nom de capacités les moins normatives possible mais au service de la définition d’une vie digne. Plus encore, il s’agit de défendre des pratiques et des institutions qui luttent contre une société qui, au nom de la performance individuelle calibrée, crée de plus en plus de marges en discriminant tous ceux qui, selon ses grilles de lecture, ne sont plus utiles socialement. Avec la théorie politique du care, il s’agit de défendre la possibilité de créer du lien social là où on ne sait pas quoi faire sinon isoler, séparer ou exclure.

Toutefois, Garrau et Le Goff restent mal à l’aise avec la question d’une politique du care qu’elles n’osent pas aborder frontalement. Du coup, on a envie de leur adresser la question suivante : faut-il en rester à l’analyse du potentiel moral et à une théorie sociale critique ? Ne faudrait-il pas prendre vraiment au sérieux la perspective d’une politique du care, de politiques publiques qui s’en réclameraient, d’institutions qui font de toute façon du care (santé, travail social, éducation) et auraient besoin de soubassements théoriques pour les revaloriser ? Quel type de politique peut combiner attention aux autres et protection, égalité des voix et diagnostic des différences ?

La gêne de Garrau et Le Goff s’explique car une politique du care dérange deux de nos habitudes de pensée en France :

  • Elle considère que la politique n’est pas principalement une affaire de souveraineté ou d’autorité, et les rapports sociaux des relations verticales. Elle évoque la politique à partir de la diversité du monde social, des vies ordinaires et de ce qui fait leur vulnérabilité (vitale, sociale ou environnementale). La politique du care ne revendique pas une logique de puissance mais s’enracine dans les initiatives des dominés, des pauvres, des non-décideurs tout en réclamant une visibilité de leurs pratiques. Elle propose une redistribution du pouvoir.
  • Elle interroge toutes les séparations établies par nos sociétés au nom du productivisme et de la tyrannie du monde du travail, y compris tous ces lieux où nous avons mis ceux et celles dont nous ne savons que faire : les vieux, les fous, les handicapés, les malades, les repris de justice.

Le devenir politique du care est d’ailleurs au centre du texte de Carol Gilligan dans le collectif qui lui est consacré. Le care désigne aujourd’hui pour elle une voie politique qui est celle de la contestation de la société de marché et de l’idéologie de l’individu performant/consommateur : « La voix différente est une voix de résistance » (p. 20) aux hiérarchies existantes, aux relations de sujétion (dont celles des femmes aux hommes dans le patriarcat). Dans cette perspective, le care ne désigne pas une morale féminine, qui reflète la dichotomie du masculin fort et du féminin faible, mais une éthique féministe qui préconise une société démocratique fondée sur l’égalité des voix masculine et féminine, qui articule la pluralité des valeurs démocratiques. Le care ne saurait être une affaire de femmes ; il concerne le genre humain. Les questions d’attention aux autres, de soin et de protection doivent pouvoir être croisées avec celles de justice, de droits et de principes. Ce projet revient à valoriser la dimension sensible de la démocratie à partir d’une définition des êtres humains comme êtres de relations, à la fois responsables (pouvant s’engager dans des actes de soin et de protection) et sensibles à ce qui arrive aux autres. L’éthique du care ne peut se déployer que grâce à des transformations sociales, une volonté politique de libérer la démocratie du patriarcat et de toute tentation autoritaire. L’égalité des voix (forme principale de l’égalité réelle qui consiste à dire que toutes les vies ont la même valeur, le même droit à la parole) commence avec l’égalité des femmes et des hommes, ce qui ne se fera pas sans la reconnaissance de tout ce qui renvoie à la sphère du soin et de l’attention aux autres. Le care fabrique du lien, il relie les individus au lieu de les isoler ; il privilégie des solidarités concrètes qui reposent davantage sur des actions appropriées à la situation précise (les restos du cœur relèvent du care mais aussi la défense de l’hôpital de proximité contre la vision de l’hôpital plateau technique) que sur une bureaucratie censée déployer une impersonnalité et une distance nécessaire à une aide apportée. L’avantage politique du care tient dans le fait qu’en préconisant de se rapporter au traitement de vulnérabilités spécifiques, il se donne les moyens de trouver des réponses appropriées et adaptées. Morale ordinaire, politique ordinaire : le modèle de la pratique n’est plus le sujet impartial qui renonce à prendre en compte ce qui particularise.

Finalement, Gilligan, procédant comme elle l’écrit à « un regard prospectif à partir du passé », insiste sur « la réalité de l’interdépendance » (p. 21) plutôt que sur la dépendance. Par ce choix conceptuel, elle réintroduit de la responsabilité collective et du dialogue social dans un monde où nous sommes tous liés pour le meilleur et pour le pire. Elle affirme, contre le présupposé individualiste du néo-libéralisme, que nulle part nous n’avons accès à un individu indépendant, maître et possesseur de lui-même. Il est grand temps de se défaire de ce paradigme anthropologique et d’insister sur l’interdépendance généralisée des vies. Il est grand temps également de considérer la politique à travers l’ensemble des pratiques ordinaires qui peuvent la réenchanter en construisant des figures concrètes de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. La politique ne se réduit pas à un calcul d’intérêt. Elle implique de redonner sens aux logiques de don qui sous-tendent la possibilité du soin mutuel en tant qu’il restaure la puissance d’agir des individus et rend le monde meilleur.

par Fabienne Brugère, le 4 octobre 2010

Aller plus loin

  • J. Bowlby, Attachement et perte, Paris, PUF, trad. J. Kalmanovitch vol.1, 1978 ; trad. B. de Panafieu vol.2, 1978 et trad. D. Weill vol.3, 1984.
  • D. Winnicott, Jeu et réalité, trad. C. Monod et J. B. Pontalis, Paris, Gallimard, 1975.

Pour citer cet article :

Fabienne Brugère, « Jusqu’où ira le care ? », La Vie des idées , 4 octobre 2010. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./Jusqu-ou-ira-le-care

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1Autour de la revue du MAUSS, des travaux d’Alain Caillé et de Jacques T. Godbout.

Partenaires


© laviedesidees.fr - Toute reproduction interdite sans autorisation explicite de la rédaction - Mentions légales - webdesign : Abel Poucet