Comment surfer sur la vague de l’engouement suscité par l’atelier 2tonnes, outil de formation ludique à l’action climatique, pour en faire un véritable levier vers une transition juste ?
Comment surfer sur la vague de l’engouement suscité par l’atelier 2tonnes, outil de formation ludique à l’action climatique, pour en faire un véritable levier vers une transition juste ?
Depuis quelques années, dans la foulée de la création de la Fresque du Climat en 2015, les ateliers pédagogiques en lien avec les enjeux de soutenabilité foisonnent et sont déployés massivement auprès de publics divers (cadres d’entreprise, fonctionnaires, étudiants, etc.). Quelques chiffres permettent de saisir l’ampleur du phénomène. En avril 2023, un communiqué de presse est publié à l’occasion du franchissement du cap symbolique du million de participants aux ateliers de la Fresque du Climat. À ce moment, l’outil pédagogique de 42 cartes, dont le contenu est issu des rapports scientifiques du GIEC, a été traduit dans plus de 45 langues et le rythme accéléré de sa diffusion est soutenu par une communauté de 45 000 formateurs.
La Fresque du Climat, créée par Cédric Ringenbach qui dirige l’association du même nom, se présente comme un outil neutre et objectif ayant comme objectif de permettre au grand public de mieux comprendre les causes et les conséquences des dérèglements climatiques. Durant l’atelier d’environ 3h, une dizaine de participants sont invités à collaborer pour relier les liens de cause à effet en situant les différentes cartes les unes par rapport aux autres. Chaque carte illustre ainsi une composante des dérèglements climatiques invitant notamment les participants à prendre conscience de l’impact des activités humaines. Un animateur guide les joueurs et facilite un moment de partage sur les émotions suscitées et les pistes d’action.
Parallèlement, depuis 2020, de multiples « ateliers amis » sur des thématiques diverses et complémentaires associées à la transition socio-écologiques sont développés (Fresques de la Biodiversité, du Numérique, de l’Économie Circulaire, de l’eau, du sexisme, du facteur humain, de la Diversité, Fresque des nouveaux récits, etc.). En juin 2023, un inventaire en recensait près d’une centaine.
L’atelier 2tonnes, outil de formation ludique à l’action climatique, s’inscrit dans cette lignée. Trois ans après son lancement officiel, l’entreprise d’économie sociale et solidaire « 2tonnes Compagnie » compte une vingtaine d’employés et environ 4 000 animateurs qui ont rencontré plus de 60 000 personnes dans 25 pays. Cette trajectoire se poursuivra vraisemblablement dans les années à venir, d’autant plus que cet atelier commence à être intégré dans des politiques publiques. Ce dernier sera en effet au programme de la nouvelle formation à la transition écologique au sein de la fonction publique française, avec l’ambition de former 25 000 cadres supérieurs de la fonction publique d’État d’ici fin 2024 et 5,6 millions d’agents à l’horizon de 2027.
On peut se réjouir de la diffusion massive de ces nouvelles modalités de formation. La diffusion des connaissances sur les enjeux climatiques est une tâche urgente qui a trop longtemps été ignorée dans la formation continue. Il est en effet essentiel de former non seulement les plus jeunes, mais aussi les actifs, dans tous les secteurs d’activités, aux questions des dérèglements climatiques et, plus largement, des transitions socio-écologiques. Et il faut le faire rigoureusement et rapidement.
Le succès des ateliers 2tonnes peut s’expliquer par la qualité pédagogique du dispositif, à la fois ludique et fondé sur des connaissances scientifiques sérieuses. Toutefois, après avoir participé à cet atelier, cet article invite à mettre en question un certain nombre de ses présupposés. De manière générale, les réflexions plus critiques ou les études d’impact de ces nouveaux dispositifs pédagogiques déployés dans le sillage de la Fresque du Climat sont rares. Récemment, une chronique du journaliste Stéphane Foucart a ouvert la discussion en pointant du doigt le risque d’une dépolitisation associée à l’approche neutre et objective prônée dans la Fresque. Ainsi, le risque est de ne pas suffisamment identifier les causes idéologiques à la racine des dérèglements climatiques et les freins aux décisions politiques ambitieuses ou controversées. D’autres voix s’élèvent pour questionner le modèle économique, sur lequel repose de nombreuses fresques, associé notamment à des droits d’utilisation sur les revenus générés par les fresqueurs professionnels. À cet égard, si les ateliers développés dans le sillage de la Fresque du Climat présentent certains points communs au niveau de leur dispositif pédagogique, il est important de ne pas les assimiler. Certains se positionnent de manière ouvertement dissidente. Ainsi, les chercheurs à l’origine de la Fresque One Health ont publié unetribune pour défendre le caractère volontairement politique de leur dispositif.
Ce texte n’aborde pas les questionnements potentiellement soulevés par le modèle économique ou les mesures d’impact des ateliers, mais se concentre sur leur contenu, et plus particulièrement, étant donné la variété des dispositifs pédagogiques proposés, sur l’atelier 2tonnes afin de développer une réflexion approfondie et de proposer des pistes d’amélioration. Plus largement, une focalisation sur cet atelier permet d’aborder des problématiques récurrentes liées aux modalités de l’action climatique. Cette réflexion n’est donc qu’une première étape et devrait idéalement être enrichie et complétée notamment par un travail systématique d’évaluation et de comparaison des différents outils disponibles. Ceci est d’autant plus important dans un contexte où ce type de dispositifs sont recommandés, à l’instar du rapport Jouzel-Abbadie, dans l’optique d’une multiplication des approches pédagogiques pour favoriser une meilleure appréhension par le plus grand nombre.
L’atelier 2tonnes se déroule par groupes de 6 à 15 personnes pendant une durée d’environ 3h. Après avoir calculé leur empreinte carbone individuelle, les participants sont invités à identifier des mesures, à la fois individuelles et collectives, pour la réduire à 2 tonnes de CO2e par an en 2050. Les actions proposées dans chacun des huit tours sont regroupées par thématiques : alimentation, mobilité, consommation de biens et de services, énergie, etc. Dans l’optique de « responsabiliser » sans « culpabiliser », la stratégie adoptée est incrémentale : durant les tours individuels chaque personne est ainsi invitée à prendre des engagements tandis que, durant les tours collectifs, le groupe doit choisir des mesures politiques à mettre en œuvre. Dans un cas comme dans l’autre, les décisions sont limitées par un budget (motivationnel ou financier) symbolisé par des cœurs (dans les tours individuels) ou des symboles monétaires (dans les tours collectifs). Après chaque phase de jeu, les empreintes carbone individuelles et moyennes sont recalculées. Elles diminuent donc progressivement pour tenter d’atteindre les 2 tonnes de moyenne au niveau collectif à la fin de la partie.
Un des choix assumés du jeu est de se concentrer sur l’enjeu de la décarbonation de nos modes de vie. La question des interactions avec les enjeux posés par les huit autres frontières planétaires (Boutaud et Gondran 2020) (comme l’érosion de la biodiversité, l’acidification des océans ou la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore) est donc laissée de côté. Ainsi, la formation 2tonnes pourrait conduire à conclure que l’agriculture biologique n’est pas si importante dans la transition écologique car, en moyenne (toutes pratiques confondues), elle ne réduirait pas significativement l’empreinte carbone. Certaines formes prises par ce modèle agricole, à l’instar de l’agroécologie, peuvent néanmoins contribuer à ralentir l’érosion de la biodiversité et la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore. Autre exemple significatif des risques d’une stratégie axée sur l’objectif de décarbonation : l’impact des énergies renouvelables sur la raréfaction des ressources, notamment géologiques, n’est pas intégré dans le jeu.
L’accent sur l’objectif de décarbonation a l’avantage de simplifier le jeu en utilisant une mesure univoque et une formation de quelques heures ne peut pas traiter tous les aspects de la transition socio-écologique. De plus, la multiplicité des outils pédagogiques développés ces dernières années et leur complémentarité permettraient potentiellement d’approfondir d’autres thématiques associées aux frontières planétaires, à l’instar de la Fresque de la Biodiversité par exemple. Mais ne faudrait-il quand même pas souligner davantage les interactions (arbitrages et tensions) entre les politiques climatiques et les autres enjeux sociaux et environnementaux ? L’enjeu est notamment d’ouvrir les participants à toute la complexité d’une pensée systémique interdisciplinaire de la transition socio-écologique. Les versions les plus récentes de l’atelier commencent à intégrer cette problématique, notamment en mentionnant l’existence des frontières planétaires dans l’introduction, sans toutefois en faire l’objet d’une réflexion systématique.
La dimension temporelle est au cœur du scénario pédagogique proposé dans l’atelier 2tonnes. Or, la conception de la temporalité sous-jacente à ce dispositif (autrement dit, les caractéristiques temporelles associées aux processus telles que le rythme, la durée, la vitesse, l’intensité, la synchronicité…) est problématique à au moins deux égards. D’une part, la scénarisation du jeu superpose une logique thématique et une logique chronologique (2020-2050) : les différentes thématiques sont abordées les unes après les autres et le temps passe entre chaque tour sans influence sur le contexte et les contraintes sociétales. Cette situation conduit à une aberration : il faut ainsi attendre 2040 pour que la thématique de l’énergie soit abordée, alors que la transition énergétique est cruciale pour réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre et que la transformation de l’infrastructure énergétique prendra du temps. De plus, le contexte d’incertitude radicale dans lequel nous évoluons n’est pas pris en compte. Ainsi, la société de 2040 telle qu’imaginée dans le jeu n’est pas affectée par les conséquences, souvent imprévisibles, des émissions de gaz à effet de serre supplémentaires émises depuis le début de la partie. Le risque de cette posture est de favoriser la procrastination souvent associée à l’approche par échéances en estimant que les décisions fondamentales peuvent être reportées dans le temps (Ruwet, 2021). Or, l’aggravation des dérèglements climatiques dans les prochaines décennies va limiter les options et créer de nouvelles urgences. Prendre au sérieux les impacts en cours des dérèglements climatiques impliquerait notamment d’intégrer dans l’atelier une réflexion sur les enjeux de l’adaptation et les risques liés à la maladaptation.
D’autre part, l’évolution de la partie ne tient pas compte des caractéristiques temporelles spécifiques inhérentes aux dérèglements climatiques (Ruwet, 2021) et à leurs interactions avec les autres phénomènes liés aux limites planétaires. Or le rythme de changement des processus en cours est principalement caractérisé par une vitesse croissante et des rythmes additifs, c’est-à-dire des chocs irréguliers provoqués par des transformations brusques et irréversibles se produisant en même temps (boucles de rétroaction). En d’autres termes, les leviers d’action proposés présupposent une vision linéaire, progressive et réversible du changement. Or, les changements en cours sont essentiellement non linéaires, abrupts et irréversibles à l’échelle de temps des civilisations humaines.
Une des visées de l’atelier 2tonnes et de donner aux participants l’envie et la puissance d’agir en leur proposant des leviers d’actions concrets au niveau individuel et collectif tout en les sensibilisant aux ordres de grandeur. Certains petits gestes emblématiques comme le tri des déchets paraissent ainsi insignifiants, en termes d’empreinte carbone, par comparaison avec un vol transatlantique par exemple. Pour autant, les leviers d’action proposés aux participants ne reflètent pas toute la richesse des alternatives actuellement déployées sur les territoires. Pour la plupart, les actions proposées dans l’atelier ne semblent pas fondamentalement remettre en cause les logiques de consommation actuelles. Par exemple, plutôt que d’interroger les finalités, d’ouvrir l’imaginaire en repensant en profondeur notre rapport à la mobilité et à ses usages (par exemple, dans une logique d’économie de la fonctionnalité [1]), les cartes se focalisent sur les moyens (augmentation du télétravail, investissement dans les transports en commun, électrification du parc automobile…). Des innovations sociales comme les communautés d’énergie, l’habitat partagé (co-living, habitat groupé…), l’allocation universelle ou l’agriculture soutenue par la communauté ne sont pas mentionnées. Cette observation rejoint les analyses des recherches en sciences politiques portant sur l’usage des "bonnes pratiques" (best practice) comme mode de gouvernance. Steven Bernstein et Hamish van der Ven (2017) ont ainsi montré qu’une stratégie portant sur la mise en exergue de "bonnes pratiques" est rarement disruptive. L’identification des "bonnes pratiques" est en effet davantage un consensus autour de pratiques existantes plutôt que sur des pratiques qui devraient ou pourraient être mises en œuvre.
De manière générale, l’approche développée dans le jeu est essentiellement axée sur les changements techniques ou comportementaux. Si on se place dans la perspective des différents scénarios proposés par l’ADEME (2021), l’atelier se place ainsi davantage dans les horizons des scénarios « technologie verte » et « coopération territoriale » plutôt que ceux de la « génération frugale » et du « pari réparateur ». Or, comme le montre l’atelier Horizons Décarbonés, il s’agit de voies parfois distinctes auxquelles correspondent des choix de société différents et parfois contradictoires. Contrairement à la terminologie neutre et apolitique adoptée dans l’atelier, le choix des leviers d’action proposés constitue ainsi un incitant à adopter certaines lignes de conduite et horizons de société (Berstein et van der Ven, 2017).
Outre un accent particulier mis sur l’éducation et la sensibilisation via les pairs, l’atelier omet les dimensions plus culturelles et subjectives indispensables pour une transformation en profondeur de nos sociétés. L’approche développée par la théorie des pratiques sociales (Dubuisson-Quetellier et Plessz 2013) est intéressante à cet égard, car elle permet de remettre en cause les construits culturels liés à nos façons d’habiter, de nous alimenter ou de nous mouvoir. Elle remet également en cause l’influence réelle des choix individuels dans la transformation effective des pratiques de consommation (Sahakian et Wilhite 2014). Le projetSlowheat est une illustration de ce changement d’approche via l’exploration de pratiques de chauffage de rupture qui remettent en question à la fois les normes établies (chauffer à 16°C plutôt que 19°C) et les pratiques habituelles (chauffer les corps et non plus l’ensemble des bâtiments).
La problématique des inégalités sociales est au cœur de la transition vers des modes de vie décarbonés. Rappelons par exemple que, d’après certains économistes (Chancel et al. 2022), l’empreinte carbone annuelle moyenne des 50% des Français les moins riches est d’environ 5 tCO2e alors que celle des 10% les plus riches est cinq fois plus grande (environ 25 tCO2e). À l’échelle mondiale, selon un article récent de Bloomberg News, les émissions des 0,001% les plus riches sont telles que leurs choix de consommation pourraient avoir autant d’impact que des décisions de politiques publiques prises à l’échelle nationale. Face à cette réalité, certains activistes vont jusqu’à remettre en cause l’utilisation de l’empreinte carbone individuelle, accusée d’être un outil de distraction (notamment utilisé par la compagnie pétrolière BP au début des années 2000), freinant la création d’un véritable mouvement porteur d’actions collectives.
De manière générale, la nécessité de penser conjointement les enjeux environnementaux et de justice sociale est au cœur de modèles économiques alternatifs comme la théorie du Donut [2] développée par Kate Raworth (Raworth & Bury, 2018), associant au plafond environnemental des frontières planétaires, le plancher social des besoins et droits humains essentiels. La dernière version des frontières planétaires publiée dans Nature fin mai 2023 intègre également pour la première fois les enjeux de la justice sociale dans le modèle. Or les enjeux de la transition juste ne sont pas abordés de manière systématique dans l’atelier 2tonnes. Dans le jeu, lors des tours individuels, tout le monde dispose du même budget (symbolisé sous forme de cœurs et identique dans les différents tours) pour entreprendre des actions individuelles de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Chaque personne est invitée à se mettre dans la peau de son futur soi et est responsable de gérer son budget « cœurs » selon ses critères personnels sans devoir les expliciter ou argumenter leur légitimité d’un point de vue sociétal (notons que des discussions liées à des choix politiques ont toutefois lieu lors des tours consacrés au collectif). Dans la réalité, en revanche, les inégalités sociales font que tout le monde n’a pas les moyens économiques d’investir, par exemple, dans une pompe à chaleur, une voiture électrique ou l’isolation de son logement.
Par ailleurs, du point de vue de l’égalité des chances, certaines personnes ont des circonstances, indépendantes de leur volonté (personne porteuse d’un handicap, par exemple), qui justifient d’avoir une part plus importante du budget carbone que d’autres. Ces débats éthiques sont cruciaux pour renforcer la cohésion sociale, un facteur central pour favoriser le changement social. En effet, à l’instar des controverses récentes sur l’usage des jets privés, les injustices sociales perçues influencent négativement la motivation de réduire son empreinte carbone individuelle.
L’atelier pourrait donner lieu à un débat sur la justice climatique à condition de faire discuter des participants aux profils suffisamment divers. Toutefois, on peut redouter que l’homogénéité sociale des groupes qui participent à la formation 2tonnes renforce, au contraire, cette occultation de la question des inégalités face à la transition. La question de la justice climatique est pourtant un élément central à la fois dans le processus international de négociations climatiques, mais aussi dans le débat public à l’échelle nationale.
Enfin, à l’instar de l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 2°C d’ici la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle, l’objectif moyen de 2 tCO2e par an et par personne en 2050, tend à devenir un totem, un outil de communication dont les fondements scientifiques et les postulats devraient être examinés. Quelle est la trajectoire globale dans lequel s’inscrit cet objectif : limiter le réchauffement à 1.5°C ou 2°C ? Quelles sont les hypothèses au niveau de l’évolution démographique et des capacités et modalités de captation et de séquestration des émissions excédentaires ? Rappelons que chaque tonne de CO2 émise aujourd’hui a des conséquences, parfois irréversibles, et que la stabilisation du climat implique d’atteindre la neutralité carbone, comme le rappelle le sixième rapport d’évaluation du GIEC (GIEC 2021). Tant que le solde net d’émissions de gaz à effet de serre, c’est-à-dire la différence entre les émissions brutes et celles qui sont captées par la biosphère, sera positif, le réchauffement planétaire continuera de s’amplifier. Si on suppose, par exemple, une population mondiale de 10 milliards d’habitants en 2050, il faudrait qu’on puisse capter et séquestrer de manière pérenne 20 milliards de tonnes de CO2e par an. En outre, les travaux sur la justice climatique soulèvent des enjeux sur la part équitable des efforts revenant à chaque pays. L’Accord de Paris stipule ainsi que les États ont une responsabilité commune, mais différenciée. Si on prend en compte les responsabilités historiques et moyens économiques des pays riches, l’objectif de 2 tonnes ne devrait-il pas être revu à la baisse [3] ?
Des dispositifs tels que l’atelier 2tonnes permettront vraisemblablement de former rapidement un large public aux ordres de grandeur de la décarbonatation de la société et aux mesures individuelles, mais surtout collectives qui peuvent y contribuer. Néanmoins, pour permettre aux citoyens de s‘interroger de manière plus complète sur les enjeux d’une telle transition et les faire accéder à une certaine autonomie et un esprit critique sur ces sujets, il est essentiel d’intégrer certaines dimensions aujourd’hui occultée par le jeu, comme les interactions avec les autres enjeux environnementaux, les changements de pratiques, l’horizon sociétal, les inégalités sociales et la justice. Cela paraît d’autant plus crucial que certains gouvernements, comme en France, font le choix d’un tel atelier pour former les fonctionnaires. Les récentes versions de l’atelier comme 2Tonnes World vont dans ce sens. Par ailleurs, de multiples ateliers, à certains égards complémentaires, viennent enrichir ou challenger l’approche proposée par 2 tonnes.
Pour élargir la focale, les discussions après chacun des tours du jeu et le bilan que font les animateurs avec les participants en fin de séance ont un rôle clef à jouer. Cela pourrait permettre de tirer les principales leçons de l’expérience tout en soulevant les angles morts du jeu. Il serait toutefois essentiel que l’ensemble des animateurs puissent être formés dans ce sens pour que ces éléments de réflexion puissent être intégrés et transmis de manière systématique aux participants.
par , le 20 juin 2023
Références bibliographiques
– ADEME (2021), Transition(s) 2050. Choisir Maintenant. Agir pour le climat, ADEME Editions, 685p.
– Bernstein, S., & van der Ven, H. (2017). Best practices in global governance. Review of International Studies, 43(3), 534-556.
– Boutaud A., Gondran N., 2020, Les limites planétaires, Paris, éd. La Découverte, coll. Repères écologie, 126 p.
– Chancel, L., Piketty, T., Saez, E., & Zucman, G. (Eds.). (2022). World inequality report 2022. Harvard University Press.
– Dubuisson-Quellier S. et Plessz M. (2013), « La théorie des pratiques », Sociologie, N°4, vol. 4
– Raworth, K., & Bury, L. (2018). La théorie du donut. Plon.
– Ruwet, C. (2021). La durabilité au prisme des temporalités impensées. Regards croisés sur l’économie, 29, 112-120. https://doi.org/10.3917/rce.029.0112
– Sahakian, M., & Wilhite, H. (2014). Making practice theory practicable : Towards more sustainable forms of consumption. Journal of Consumer Culture, 14(1), 25-44.
Coline Ruwet, « L’atelier 2tonnes au service d’une transition juste ? », La Vie des idées , 20 juin 2023. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./L-atelier-2tonnes-au-service-d-une-transition-juste
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[1] L’économie de la fonctionnalité est conçue comme un ensemble de modèles d’affaires par lesquels la vente de l’usage et des services liés à un bien se substitue à la vente du bien lui-même. Les organisations ne visent plus à vendre un maximum de biens mais ont plutôt pour objectif de maximiser la performance des services qu’elles proposent. L’économie de la fonctionnalité conjugue donc une logique « servicielle », qui s’incarne par une proposition de valeur fondée sur la fourniture d’une solution intégrée et d’une performance d’usage, et une logique de « cycle de vie » visant à boucler les boucles matérielles ou à les raccourcir, à écoconcevoir et à maximiser les usages pour augmenter la durée de vie des biens.
[2] Le modèle du Donut combine le concept de frontières planétaires développé en 2009 par une équipe de 26 scientifiques sous la direction de Johan Rockström et Will Steffen avec l’idée de fondements sociaux inspirés par les Objectifs de Développement Durable de l’ONU. Le nom de cette théorie a été inspiré par la forme de beignet du diagramme (un disque avec un trou au milieu). Dans cette perspective, une économie est considérée comme pros père lorsque les douze fondements sociaux sont réunis sans dépasser les neuf frontières planétaires.
[3] L’important n’est pas ici de fixer un nouvel objectif (comme 1,5 tonnes) mais surtout d’inviter les participants à développer un esprit critique par rapport aux processus de quantification et à s’interroger sur les hypothèses qui les sous-tendent.