Avant la guerre, l’économie ukrainienne était portée par ses exportations céréalières, minières et sidérurgiques. Ces trois activités ont été brutalement réduites par un conflit durant lequel le secteur informatique s’est imposé comme nouvelle branche de développement.
Une fois son indépendance acquise le 24 août 1991, l’Ukraine a progressivement renoué avec les structures et les formes économiques qui étaient les siennes au début du XXe siècle, selon un modèle économique libéral orienté vers l’exportation (Savchuk, 2019, p. 165). L’économie nationale ukrainienne est ainsi structurée par les cycles économiques du commerce international et seuls les secteurs de l’économie nationale qui parviennent à vendre leurs produits à l’étranger se développent. Cela détermine donc son rôle dans la division internationale du travail, caractérisé par l’export de matières premières et de certains types de biens industriels.
Un pays semi-périphérique typique
La décennie qui précède la guerre n’est pas sans rappeler la situation économique d’avant la Première Guerre mondiale. Pour répondre aux besoins des sociétés exportatrices, le système de transport ferroviaire, qui, comme il y a cent ans, est la propriété de l’État, s’est adapté à leurs contraintes (Savchuk, 2012, 2014). Une analyse spatiale de l’économie ukrainienne par région et par ville montre ainsi que la production agricole regagne en vigueur dans la nouvelle économie de marché (Atlas…, p. 42-43).
Quant au commerce, il n’y a vraiment que dans la capitale qu’il peut être considéré comme le leader du développement économique, car c’est là qu’est concentrée la quasi-totalité des sièges sociaux des 100 grandes sociétés nationales (source : Forbes in Ukraine). La contribution de Kyiv à l’exportation de biens a ainsi atteint 22,5% en 2021, et la ville a contribué à 24,0 % du PIB (source : Derzhstat). Kyiv reste le premier centre commercial du pays.
L’économie de la plupart des villes ukrainiennes repose sur les services de préparation de biens à exporter (Savchuk, 2020). C’est ainsi que, par exemple, Okhtyrka s’est spécialisée dans le stockage des marchandises. Dans les villes situées le long de la frontière, les services de transport routier (comme dans la ville de Slavutych) et la manutention des marchandises (comme dans la ville de Tchop) ont retrouvé leur primauté. Les villes dotées de grands nœuds ferroviaires ont repris leur spécialisation dans les services de transport de marchandises (par exemple, la ville de Konotop). Les ports maritimes sont, eux, redevenus les moteurs du développement économique des grandes villes côtières comme Odessa. La seule ville où les services de transport aérien comptaient pour la part la plus élevée du produit brut local est Boryspil où était situé le plus grand aéroport civil d’Ukraine (Atlas…, p. 42-43).
Les services de santé n’arrivent, quant à eux, en tête qu’à Myrhorod et autour de Kosiv et Shatsk, où sont situés de nombreux thermes. Le tourisme n’arrive, lui, en tête du produit brut local qu’à Yaremche, dans les Carpates, tandis que les services hôteliers ne déterminent le développement que d’une seule ville, Morshyn (Atlas…, p. 42-43).
Les services d’éducation supérieure sont essentiels au développement d’économie de la petite ville d’Ostroh (15195 habitants en 2021 selon de Derzhstat). Cela est lié à l’implantation d’une importante université – Académie Ostroh. Il n’y a qu’à Kharkiv (avant la guerre, bien sûr) que les services informatiques comptent comme la ressource la plus importante (Atlas…, p. 42-43).
Ce panorama de la structure économique des villes d’Ukraine suggère bien qu’il n’y a aucune raison de classer ce pays parmi les pays post-industriels.
Le rôle moteur du secteur informatique en temps de guerre
Le secteur informatique actuel a été créé pendant les années d’indépendance et il s’est développé rapidement au cours de la décennie d’avant-guerre.
Un puissant ordinateur connecté à l’Internet haut-débit est tout ce qu’il suffit à un informaticien malin pour gagner très correctement sa vie. C’est d’ailleurs pourquoi environ 80 % des entreprises du secteur informatique en Ukraine travaillent directement pour des clients étrangers (source : IT Ukraine Association).
En effet, l’Ukraine n’est pas parvenue à se concentrer sur l’innovation de logiciels ou de services informatiques, et le secteur est resté centré sur les standards établis internationalement. Une exception notable est l’exemple de l’application en ligne de correction de textes en anglais Grammarly. En 2022, ses créateurs, Maksym Lytvyn et Oleksiy Shevchenko (Grammarly), ont été reconnus la première fois comme 2e et 3e Ukrainiens les plus riches (Forbes en Ukraine).
Après une année de conflit, l’Ukraine compte près de 309 000 actifs dans le secteur informatique. Leur nombre est presque deux fois plus élevé que celui des fonctionnaires (167 000 actifs selon la National Agency of Ukraine of the Public Service). La majorité d’entre eux sont des jeunes qui viennent de sortir de l’université. Cependant, les programmeurs peuvent être appelés à servir sous les drapeaux, contrairement aux fonctionnaires qui sont exemptés de service militaire.
En effet, l’armée ukrainienne est friande de ce type de spécialistes en informatique, car les nouveaux équipements et armements militaires sont si sophistiqués qu’il faut avoir un minimum d’expérience du fonctionnement des logiciels et bien maîtriser le très technique jargon informatique anglais pour les utiliser de manière efficace. C’est là un défi majeur pour le secteur en Ukraine.
Pendant la guerre, pour les hommes ont interdiction de quitter le territoire national. C’est pourquoi, au début de la guerre, 70,8 % des entreprises du secteur ont été relocalisées afin de normaliser leurs activités. Ce flux de programmateurs est dirigé vers les principales villes d’Ukraine occidentale. Lviv est ainsi devenue la capitale nationale du secteur informatique en 2022 (IT Ukraine Association).
Pour survivre, le secteur informatique est forcé de conserver ses clients étrangers, car ils constituent l’unique source stable de revenus en temps de guerre. Cela explique la croissance inhabituelle et exceptionnelle des exportations de ces services qui représentent ainsi 6,6 milliards de dollars en 2022. Il s’agit du seul secteur de l’économie ukrainienne qui a connu une croissance régulière en termes aussi bien de revenus que d’exportations pendant la première année de guerre. La diminution drastique et soudaine, causée par la guerre, des services de transport de gaz et de pétrole explique en partie que, en 2022, les services informatiques réalisent 45% des exportations totales de services (source : Derzhstat). Il reste à voir ce qu’il en sera pour 2023.
Plus largement, la chute abyssale du chiffre d’affaires de l’économie réelle permet également de rendre compte du doublement de la part du secteur informatique dans le PIB de l’Ukraine en 2022 (source : IT Ukraine Association). Le budget ukrainien a reçu 0,6 milliard de dollars de droits de douane (source : Ministry of finance of Ukraine) tandis que la contribution fiscale du secteur informatique s’est culminée à 0,7 milliard de dollars (source : IT Ukraine Association). Ces données illustrent clairement les pertes colossales engendrées par le blocus maritime des ports ukrainiens.
Le secteur informatique, qui par nature ne connaît aucune contrainte de dé/re-localisation, est ainsi la principale source d’espoir après une première année de guerre. Il ne faut pas pour autant oublier que l’économie réelle de l’Ukraine indépendante est avant tout fondée sur l’exploitation de ses ressources naturelles – minéraux et sols fertiles – et sur la perpétuation des technologies mises en place sous l’ère soviétique.
Un retour cent ans en arrière ?
L’Ukraine indépendante a hérité d’une économie remodelée pendant l’ère soviétique et elle s’est efforcée de progressivement restaurer le modèle économique libéral de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, qui était principalement orienté vers l’exportation. Au cours de ces tentatives de restauration d’une économie fondée sur les exportations, un tissu économique polycentré s’est progressivement formé, qui ne ressemble en rien au caractère centralisé de l’économie française.
Une reprise de la croissance de la production dans les secteurs orientés vers l’exportation (par exemple, la sidérurgie) ou vers la consommation intérieure (par exemple, l’industrie alimentaire) (Savchuk, 2011). Certaines activités, principalement dans l’industrie manufacturière, ont été anéanties par la concurrence des entreprises étrangères (par exemple, la production des appareils de radio). C’est ce qui explique que, encore en 2021, la part des exportations de haute technologie dans les exportations totales de biens industriels d’Ukraine n’était que de 5,0%, contre 6,0% au Belarus, 9% en Pologne, 15% en Allemagne et 22% en France (source : World Bank).
L’économie ukrainienne d’avant la guerre restait fondamentalement orientée vers l’exportation et, en 2021, celles-ci représentaient 40,7 % de son PIB (source : Derzhstat). La croissance des exportations a d’ailleurs été officiellement saluée par la ministre de l’Économie d’Ukraine.
Les trois piliers de l’économie ukrainienne ont toujours été, dans l’ordre de leur importance, les céréales, suivies du minerai de fer puis des produits métalliques semi-finis. Aujourd’hui, chacun de ces secteurs-clés de l’économie est contrôlé par des oligarques, que ce soit au niveau de la production ou de l’exportation. La guerre n’a pas détruit ces trois piliers, mais les a affaiblis.
L’économie n’était pas préparée pour la guerre et le choc a donc été important. On estime qu’en 2022, le PIB de l’Ukraine aurait chuté de plus de 35 %, alors que, pour comparaison, il avait chuté de 22,9 % en 1994 – l’année la plus difficile des années de récession liées à la sortie de l’économie soviétique (World Economic Situation Prospects (2023), World Bank). Le blocus de ports maritimes par la Flotte russe de la mer Noire a eu un impact très négatif sur l’ensemble de l’économie ukrainienne. Aujourd’hui, seul un unique « corridor céréalier » reste encore ouvert. Pour une économie orientée vers l’exportation et dont 90 % des exportations de biens s’effectuaient par voie maritime, ce corridor revêt un enjeu crucial en attendant que les chaînes logistiques et les structures économiques soient remodélisées en conséquence de la guerre.
Les riches ukrainiens et leurs familles, à quelques exceptions près, sont partis à l’étranger avant le début de la guerre. En Ukraine, on les appelle péjorativement le « bataillon de Monaco ». Cependant, ils continuent de contrôler l’économie ukrainienne et d’exercer, au travers de pratiques de corruption, une influence sur la politique nationale.
Les milliardaires ukrainiens ont, pour la plupart, fait leurs fortunes en profitant de l’exportation des ressources naturelles du pays. Ils ont ainsi fondé les plus importantes corporations du pays, dont les titres sont désormais cotés sur les bourses mondiales (Holovko, 2012).
L’Ukraine est dépendante des fluctuations des prix mondiaux pour ses cinq principaux produits d’exportation : maïs, huile de tournesol, blé, minerai de fer et produits sidérurgiques plats. Ces matières premières constituent la base de son économie d’exportation. La seule différence avec le début du XXe siècle est que l’huile de tournesol et le maïs remplacent aujourd’hui le sucre et le charbon.
Le grenier du monde
Ce sont les agro-holdings qui contrôlent la production et l’exportation des produits agricoles du pays. La situation actuelle rappelle à bien des égards celle du début du XXe siècle lorsque le « grenier à blé » d’Ukraine ne profitait qu’à un petit groupe de grands propriétaires-exportateurs" (Beauvois, 1998, p. 307). Alors que la famille Falz-Fein possédait 218,5 milliers d’hectares de terres au début du XXe siècle, aujourd’hui, la plus grande agro-holding d’Ukraine, Kernel, entreprise cotée en bourse, dispose d’une ressource foncière de 499 milliers d’hectares (Kernel …, 2022, p. 30), soit plus que l’ensemble de la superficie cultivée de l’Irlande (445 milliers d’hectares, source FAO).
Kernel employait 10 200 personnes (Kernel …, 2022, p. 42), ce qui est comparable au nombre d’employés du géant de l’industrie nationale, Zaporizhstal (10 400 employés). En 2020, Kernel a généré des revenus de près de 4 milliards de dollars. Ce montant est égal à la somme de l’impôt sur les sociétés collecté par le budget ukrainien au cours de cette même année (source : National bank of Ukraine). Lors de la première année de la guerre, Kernel est parvenu à réaliser contre toute attente un chiffre d’affaires de 5,3 milliards dollars (Kernel …, 2022, p. 3), soit seulement 4,7 % de moins qu’en 2021.
Dans une économie de marché orientée vers l’exportation, seules les agro-holdings ukrainiennes, qui parviennent à vendre leurs produits sur les marchés étrangers, réussissent. Les denrées alimentaires et les matières premières destinées à leur production ont ainsi atteint, en 2022, 57,1 % du total des exportations ukrainiennes, contre 43,9 % en 2021.
Entre 2010 et 2020 l’agriculture ukrainienne a doublé les rendements de ses grandes cultures d’exportation (blé, maïs et orge), mais elle reste très en retard comparée à l’agriculture européenne. Par exemple, le rendement moyen du blé en France était de 6,9 tonnes par hectare, alors qu’il était de 4,6 tonnes par hectare en Ukraine. Le groupe Kernel fait à peine mieux, avec 4,9 tonnes par hectare en 2021 (source : FAO, Derzhstat, Kernel …, 2022, p. 30).
L’Ukraine a donc retrouvé sa place d’exportateur majeur sur le marché mondial des céréales en adaptant son économie aux besoins prioritaires des industries d’exportation. Tout d’abord, il y a eu des changements dans les transports (Savchuk, 2012). Ukrzaliznytsya, le gestionnaire et l’exploitant du réseau ferroviaire ukrainien, a développé un parc de wagons à céréales et des silos dans toutes les grandes gares, ce qui facilite le transport de grandes quantités de céréales vers les ports maritimes. Les ports maritimes sont, eux, redevenus les principaux nœuds de liaison de l’Ukraine avec le reste du monde et, avant la guerre, jusqu’à 90% des exportations transitaient par eux. Depuis le début de la guerre, la plupart des exportations sont acheminées par chemin de fer vers la frontière occidentale.
L’agriculture reste le secteur dominant de l’activité économique dans la plupart des districts d’Ukraine : les céréales dominant dans 210 districts et le tournesol dans 37 d’entre eux (Atlas…, p. 42-43). En 2021 les agro-holdings d’une superficie de 1 000 hectares et plus produisaient 41,5 % du blé, 55,6 % du maïs et 44,1 % des graines de tournesol (source : Derzhstat). Par conséquent, près de 80 % des céréales cultivées en Ukraine partent à l’étranger. Le sud de l’Ukraine a retrouvé son importance en tant que première région productrice de céréales (Savchuk, 2020) tandis que les régions centrales sont devenues les leaders de la production de graines de tournesol. Les régions occidentales sont, quant à elles, les leaders de la production de pommes de terre.
Quelle agriculture en temps de guerre ?
Le blocus des ports maritimes ukrainiens par la Flotte russe de la mer Noire ne permet plus la livraison de produits agricoles dans des volumes similaires à ceux de la période d’avant-guerre. En conséquence, les exportations de céréales ont fortement chuté en 2022 (-2,1% pour le maïs, -42,8% pour le blé, -66,7% pour l’orge et -91,8% pour le seigle). Le maïs est ainsi devenu le principal produit d’exportation ukrainien – 5,9 milliards de dollars, soit plus que l’ensemble des dépenses de santé du budget ukrainienne (5,7 milliards de dollars, source : National Bank of Ukraine).
La campagne de semis de 2022 a été extrêmement compliquée par la guerre et la superficie ensemencée a été réduite de 25 % (source Ministry of agricultural policy and food of Ukraine). Cela aura évidemment un impact négatif sur les exportations de produits cultivés.
Si la production et les exportations d’huile de tournesol ont été réduites de 14,4 % en 2022, les exportations de graines de tournesol ont, elles, été multipliées par 33 et ont rapporté 1,3 milliard de dollars, soit plus que les exportations de produits sidérurgiques semi-finis (1,1 milliard de dollars).
L’Ukraine continue de se battre. L’issue de la guerre étant incertaine, toute prédiction l’est aussi. Mais, quelle que soit l’issue du conflit, la structure agraire du pays aura nécessairement un nouveau visage en 2023. Les exportations ne pourront se faire qu’à partir de la partie du pays qui n’est pas occupée et sur la base du transport ferroviaire. La situation de 1918, où l’on a tenté d’exporter massivement des céréales et d’autres denrées alimentaires d’Ukraine vers l’Allemagne (Andreson, 1919, p. 192), se répète donc. La question est de savoir si l’histoire se répétera, ou si l’Ukraine sera capable de se maintenir en tant qu’État indépendant.
L’extraction intensive du minerai de fer
L’Ukraine se classe au 12e rang mondial en termes de réserves minérales exploitables dans son sous-sol (Restrukturyzatsiya…, p. 8). Les gisements principaux appartiennent à des oligarques ukrainiens qui contrôlent non seulement l’exploitation minière, mais aussi l’enrichissement du minerai, les exportations et l’approvisionnement des usines ukrainiennes.
Le minerai de fer est principalement destiné à l’étranger ainsi qu’aux usines sidérurgiques nationales qui exportent ensuite leurs productions : l’industrie du fer dépend donc, elle aussi, directement du marché mondial (Savchuk, 2011).
Près de la moitié de la production minéral est réalisée par les mines-usines de Central, d’Ingulets, de Northen et de Yuzhniy (toutes situées à Kriviy Rih). En 2021, le gouvernement a transféré la dernière usine publique du secteur, située à Dolynske dans la région de Kirovohrad, à la société privée Rudomine.
Le blocus des ports ukrainiens a entraîné une baisse de 57,8 % des exportations de minerai de fer en 2022, bien que celui-ci reste le troisième produit d’exportation. Si le principal marché reste la Chine (qui achetait 41,9 % du minerai de fer ukrainien en 2021), les exportations vers ce pays ont chuté dramatiquement (seulement 4,4 millions de tonnes en 2022). Pour satisfaire les besoins de la Chine, de nouvelles mines-usines avaient été mises en service dans les années d’avant-guerre à Horishni Plavni (Ferrexpo). Mais les exportations de la première année de la guerre ont principalement été générées par les mines-usines situées à Kriviy Rih, celles qui naguère fournissaient déjà du minerai et du concentré de fer aux aciéries des pays s voisins d’Ukraine (Savchuk, 2014). Cela contraste avec la situation d’avant-guerre pendant laquelle c’était au contraire les mines-usines de Horishni Plavni (Ferrexpo) qui fournissaient la plupart des exportations vers la Chine. En effet, la pénurie d’électricité a entraîné la suspension de la production de minerai de fer dans les mines-usines d’Ingulets, Northen et Yuzhniy (Metinvest ; Uyzhniy). Si la plupart des mines-usines ont réduit leur production, celle de Zaporizhzhya Iron Ore Plant a dû cesser toute activité économique après la prise de cette partie de la région de Zaporizhzhya par les troupes russes (source : Zaporizhzhya Iron Ore Plant). La baisse la plus importante a été enregistrée dans les mines de Horishni Plavni, où Ferrexpo, troisième exportateur mondial de pellets de fer, a suspendu ses activités (-46,0 % de la production et des exportations en 2022, source : Ferrexpo). Malgré tout cela, l’Ukraine reste le 7e producteur mondial de minerai de fer en 2022 (source : Minerals Yearbook).
Pour produire un acier de haute qualité, le manganèse est également nécessaire. L’exploitation, dès 1885, des gisements de ce minéral par les grandes mines-usines a permis à l’Ukraine, et ce malgré la guerre, de rester le 8e producteur au monde de ce minéral en 2022 (source : Minerals Yearbook). Les producteurs sont les mines-usines de Pokrovsky (Polohy) et Marhanetsky (Marhanets). Le groupe Privat possède également des usines de ferro-alliages dans la région de Dnipropetrovsk, et y fournit presque tout le concentré de manganèse. La production de concentré de manganèse a diminué de 33,3 % (2022) en raison des pannes de courant, de la réduction de la consommation de concentré de manganèse par les usines ukrainiennes et en raison également du blocus des ports. Alors que la mine-usine d’enrichissement Marhanetsky a réduit sa production de 41,2 % (MGZK), celle de Pokrovsky l’a réduite de 34,4 % par rapport à 2021 (PGZK). Depuis novembre 2022, ces deux usines sont à l’arrêt.
Parmi les autres minerais métalliques, seuls ceux contenant du titane et des métaux rares ont été exploités à grande échelle depuis l’époque soviétique. L’Ukraine reste le 9e producteur mondial de concentré de titane en 2022 (source : Minerals Yearbook). Dans les années qui ont précédé la guerre, le boom du marché mondial de l’éponge de titane, du métal de titane et des peintures au titane a entraîné des changements spectaculaires dans cette industrie stratégique en Ukraine.
Les mines-usines de la société publique UMCC d’Irshansk et de Vilnohirsk ont produit jusqu’à 600 milliers de tonnes d’ilménite et 65 milliers de tonnes de concentrés de rutile. Cette compagnie contribue en outre à hauteur de 4 % à la production mondiale de dioxyde de titane et exporte près de 2/3 de sa production (source : UMCC). Le principal concurrent de cette entreprise publique est le GroupDF de l’oligarque Dmytro Firtash, qui possède notamment la société Valki Ilmenite, la mine-usine Mezhyrichensk à Irshansk (région de Zhytomyr), la mine-usine Motronivsk à Vilnohirsk et, enfin, qui possède également 49,0 % des titres de Zaporozhye Titanium & Magnesium Combine (source : Group DF).
Avant la guerre, c’est l’Ukraine qui fournissait la majeure partie des matières premières aux usines russes, notamment pour fabriquer les pièces en titane des avions d’Airbus et de Boeing. En 2023 la dernière mine-usine Demurinsk a cessé d’exporter des concentrés de rutile à la Russie.
Malgré la guerre, la production d’éponge de titane en Ukraine a presque doublé de 2021 à 2022, reflétant une demande accrue et l’utilisation de chaînes d’approvisionnement basées sur le rail. Il s’agit probablement d’un phénomène temporaire destiné à suivre l’évolution de la production d’ilménite (qui a diminué de 36,7 %) et celle de concentré de rutile (qui a diminué de 40,0 %, source : Minerals Yearbook). De toute évidence, le bombardement des infrastructures clés ainsi que les pénuries d’énergie constituent un véritable défi pour cette industrie.
Le cœur d’acier de l’Ukraine
À partir de 1990, les exportations massives de métaux ont été à la base de la formation des empires des oligarques et de leurs fortunes (Holovko, 2012). Ils ont créé des chaînes de production verticales entre la sidérurgie et l’industrie d’extraction des minéraux (Savchuk, 2011). Pendant les années d’indépendance, une seule nouvelle grande entreprise a vu le jour : il s’agit de l’entreprise Dniprostal, créée en 2012 (Savchuk, Coudroy de Lille, Frerejean, 2017).
La guerre actuelle a profondément transformé le panorama de la sidérurgie ukrainienne. Les usines Ilyich et Azovstal (Mariupol), qui produisaient 40 % de l’acier d’Ukraine avant la guerre (Metinvest), ont complètement cessé leurs activités en 2022. L’usine Azovstal a été complètement détruite. La ville de Marioupol n’est donc plus, par la force des choses, le centre sidérurgique du pays.
Mais la guerre a conduit à une chute de 67,5% des exportations de produits sidérurgiques en 2022. La production d’acier laminé d’ArcelorMittal Kriviy Rih a chuté de 47,0 % (Metalurh). Zaporizhstal a réduit de 64,7% sa production de produits laminés, de 54,3% sa production de fonte brute et de 54,3% sa production d’acier (Metinvest). Peut-on pour autant parler de la fin du cycle d’exportation des métaux ? Il reste à voir comment la situation évolue en 2023, tant la plupart des grandes aciéries sont proches de la ligne de front.
Conclusions
L’économie ukrainienne, après avoir surmonté le premier choc de la guerre, commence à s’ajuster aux routines guerrières.
Par ailleurs, après une première année de conflit, de nombreuses questions restent encore ouvertes. Le secteur informatique pourra-t-il vraiment devenir un moteur décisif du développement post-industriel de l’Ukraine dans le cadre de l’intégration européenne ? Le « corridor céréalier » est-il un mécanisme visant à maintenir les agro-holdings ? Faudra-t-il restaurer les géants métallurgiques de Mariupol après la guerre ou est-il possible de modifier la spécialisation économique de la ville en misant sur les hautes technologies ? Tout l’enjeu est en effet de savoir si l’Ukraine d’après-guerre trouvera les moyens d’opérer une mue économique ou si elle en reviendra à son ancien régime économique.
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Pour citer cet article :
Ivan Savchuk, « L’économie ukrainienne en temps de guerre »,
La Vie des idées
, 21 février 2023.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr./L-economie-ukrainienne-en-temps-de-guerre
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