Une exposition et une nouvelle biographie sont consacrées à Léopold Sédar Senghor, à son regard sur les arts et à sa pensée de l’universel. Elles révèlent l’héritage du poète-président, qui éclaire d’une façon singulière les enjeux de notre temps.
Une exposition et une nouvelle biographie sont consacrées à Léopold Sédar Senghor, à son regard sur les arts et à sa pensée de l’universel. Elles révèlent l’héritage du poète-président, qui éclaire d’une façon singulière les enjeux de notre temps.
Plus de vingt ans après sa mort, la figure de Léopold Sédar Senghor (1906 – 2001), poète et homme politique, penseur de la Négritude et du métissage, est présentée au travers d’événements concomitants. Avec l’exposition Senghor et les arts. Réinventer l’universel, le musée du quai Branly - Jacques Chirac explore l’universel senghorien à travers ses engagements et la politique culturelle mise en place lors de son accession au pouvoir en 1960. Si Senghor est l’objet de vives critiques de la part de ses contemporains et des générations postindépendances, le catalogue de l’exposition souligne qu’il fait actuellement l’objet d’un « retour en grâce [1] ». Celui-ci se manifeste aussi par la parution de différents ouvrages consacrés à son action et à son œuvre poétique, comme par l’ouverture au public de la maison de Verson où il vécut ses dernières années. Une nouvelle biographie paraît ainsi aux Presses universitaires de France, dans laquelle Elara Bertho retrace la vie du « poète-président » tout en montrant comment la pensée senghorienne peut enrichir les débats actuels [2].
Cette mise en lumière conduit à s’intéresser à l’héritage de Senghor, à sa production intellectuelle, à la complexité de ses engagements et à l’actualité de sa pensée au regard d’enjeux contemporains tels que la renégociation des rapports entre l’Afrique et l’Europe, la valorisation des patrimoines africains, la pensée du métissage ou encore l’écologie. Comment expliquer que le legs intellectuel, littéraire et politique de Senghor entre à ce point en résonance avec les préoccupations de notre temps ?
La complexité d’une figure telle que celle de Senghor explique l’avertissement fait au visiteur dès le début de l’exposition du Quai Branly. En effet, l’exposition ne cherche « ni à encenser ni à réhabiliter Senghor » mais « reconstruit une aventure intellectuelle replacée dans son contexte historique ». La biographie d’Elara Bertho se situe, elle, « loin de l’hagiographie, loin des anathèmes ». Ces précautions soulignent la complexité d’une telle figure, qu’il « faut prendre le temps de lire et de comprendre » (p. 12).
Comprendre Senghor, c’est avant tout s’intéresser à la manière dont il construit les composantes essentielles de sa pensée : la Négritude et l’universel. Celles-ci se forgent dès sa jeunesse et, notamment, à son arrivée à Paris. Dans la biographie qu’elle lui consacre, Elara Bertho retrace les premières années parisiennes de Senghor, marquées par des rencontres comme celle avec Georges Pompidou, son condisciple à Louis-Le-Grand, de laquelle naîtra une profonde amitié ; ou celle avec Blaise Diagne, premier Africain à accéder à la députation en France et partisan de l’assimilation – c’est-à-dire, pour l’époque, une « égalité de droits entre Africains et Français, et une meilleure insertion au sein du dispositif colonial » (p. 32). La jeunesse de Senghor en France est empreinte d’efforts et de multiples désillusions : l’échec au concours d’entrée à l’École normale supérieure, l’expérience du racisme et de l’exil, et la précarité de son séjour. Pour Bertho, ces expériences constituent « les ferments de la Négritude qu’il va théoriser plus tard » (p. 34).
Senghor est l’un des fondateurs du mouvement de la Négritude qui prend naissance dans les années 1930 – lui-même ayant rappelé qu’Aimé Césaire avait « forgé le mot » [3]. Si la définition de la Négritude comme la « fierté noire, consciente de ses origines africaines, capable de revendiquer la multitude de ses héritages et ses influences » (p. 37) fait consensus entre ses fondateurs, son projet reste objet de débats. Elara Bertho rappelle que Senghor porte quant à lui la lutte « non sur le politique mais sur l’unité culturelle des peuples noirs » (p. 39). Ce positionnement peut s’expliquer par la précarité du statut de Senghor, alors étudiant, et sa crainte d’être associé à des troubles à l’ordre public et renvoyé pour cette raison au Sénégal.
La poursuite et la réussite de ses études en France apparaissent en effet primordiales au jeune Senghor, qui entreprend d’être naturalisé français lorsqu’il comprend qu’il s’agit d’une condition nécessaire à son admission à l’agrégation de grammaire (p. 40). Ce n’est qu’après sa réussite au concours qu’il se positionne publiquement contre l’assimilation et la colonisation.
La Seconde Guerre mondiale vient brutalement interrompre cet élan. En 1940, Senghor, mobilisé, rejoint l’infanterie coloniale (p. 55). Il est rapidement fait prisonnier et connaît plusieurs camps d’internement (stalag). Parce qu’il est noir, il y subit un traitement différencié et des humiliations répétées. C’est là aussi qu’il découvre les récits et expériences des autres soldats noirs issus des colonies, et c’est au stalag de Poitiers qu’il rédige la majeure partie du recueil Hosties noires, dénonçant le sort qui leur est réservé.
L’exposition Senghor et les arts ouvre le parcours avec les photographies du premier Congrès des écrivains et artistes africains, organisé à la Sorbonne du 19 au 22 septembre 1956. Elles comptent parmi les premiers témoignages visuels de l’engagement de Senghor présentés au public. Qualifié de véritable « Bandoeng culturel » par Alioune Diop, son organisateur et directeur de la revue Présence africaine, le congrès revêt une importance décisive pour ses participants [4]. L’intervention de Senghor porte sur la civilisation et la culture négro-africaine : selon Elara Bertho, l’idée d’« africanité » qu’il défend est « connexe à celle de Négritude […] pour dépeindre les valeurs culturelles du monde africain et de ses diasporas » (p. 85).
Au cours de son intervention, Senghor fait en particulier référence au penseur haïtien Jean Price Mars, présent au Congrès, pour définir la Négritude, celle-ci étant une conscience raciale, qui n’est pas une « conscience raciste », et devant contribuer à la « civilisation de l’universel » qui « ne sera pas le fait d’un seul continent, ni d’une seule race ». Aussi la Négritude peut-elle rencontrer l’universel, « au rendez-vous du donner et du recevoir » [5], Senghor convoquant ici l’idée de réciprocité entre l’Afrique et l’Occident.
Rappeler que la Négritude n’est pas une conscience raciste est pour l’intellectuel nécessaire. Elara Bertho note que Senghor « se débat » pendant plusieurs années avec la définition de la Négritude à la suite de sa reformulation par Jean-Paul Sartre dans la préface de l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française parue en 1948. Sartre y qualifie la Négritude de « racisme antiraciste », la réduisant ainsi à une réponse au racisme colonial. Pour Bertho, les accusations de racisme résultant de la définition proposée par Sartre conduisent Senghor à orienter « une partie de sa pensée vers une définition de l’universel, de l’humanisme puis du métissage » (p. 48). Car pour lui, la Négritude est tout le contraire, ainsi que le souligne encore le philosophe Souleymane Bachir Diagne : elle définit « avant tout sa visée d’un monde métis et qui ne le serait pas par les accidents de la rencontre mais dans la compréhension advenue que le métissage est un devoir-être [6]. »
L’exposition Senghor et les arts offre d’ailleurs quelques témoignages précieux de la vision senghorienne de l’universel, en particulier un entretien filmé avec l’artiste sénégalaise Younousse Seye (née en 1940). Celle-ci raconte comment Senghor, alors président, s’était montré frappé par sa pratique artistique, mêlant plusieurs techniques empruntées à son expérience du monde, et divers matériaux issus de différentes régions du monde, ainsi que par le fait qu’elle soit autodidacte. Younousse Seye accorde en effet une place particulière à la recherche sur la couleur ou encore au batik, pratique traditionnelle héritée de sa mère teinturière. Elle utilise également du marbre reconstitué et des cauris, petits coquillages utilisés comme motif décoratif courant et revêtant une signification mystique dans certains cas, au sein de ses créations. Pour ces différentes raisons, Senghor identifie son œuvre comme l’une des manifestations de l’universel tel qu’il le conçoit.
Léopold Sédar Senghor est élu président de la République du Sénégal à la suite de son indépendance en 1960. Décrivant son exercice du pouvoir, Bertho écrit : « Senghor est autoritaire, sans aucun doute, mais il n’est pas un tyran pour autant et il a surtout une vraie vision du Sénégal à construire » (p. 99). La culture fait partie de ce projet pour Senghor, qui y voit le fondement autant que le but du développement. Elle occupe, dès lors, une place prépondérante dans la politique qu’il mène, et il œuvre à positionner le Sénégal comme la vitrine et le catalyseur culturel de l’Afrique, en créant de nouvelles institutions telles que le Théâtre national Daniel Sorano (1965), le Musée dynamique de Dakar (1966) ou la Manufacture nationale de tapisserie de Thiès (1966) et en organisant le premier Festival mondial des arts nègres (FESMAN).
La Négritude et l’universel senghoriens sont, d’une certaine manière, concrétisés par du festival de 1966. Dans son discours d’ouverture, le président Senghor déclare que
pour dialoguer avec les autres, pour participer à l’œuvre commune des hommes de conscience et de volonté qui se lèvent de partout par le monde, pour apporter des valeurs nouvelles à la symbiose des valeurs complémentaires par quoi se définit la Civilisation de l’Universel, il nous faut, nous Nègres, être nous-mêmes […] en cultivant nos valeurs propres telles que nous les avons retrouvées aux sources de l’art nègre […].
Affichant son ambition artistique et culturelle pour son pays, et plus largement le monde noir, Senghor revient ainsi sur la nécessité de construire un humanisme tenant compte de la totalité des hommes, et dépassant la race et la nation. Le FESMAN est un succès et réunit plus de 2 000 artistes venus du monde entier et 10 000 visiteurs.
Toutefois, ce festival cristallise les tensions. Césaire émet de vives critiques sur l’utilisation du concept de Négritude par Senghor, le jugeant désormais daté, et « potentiellement raciste » (p. 116). Sékou Touré, depuis la Guinée, qualifie l’événement de « festival des sales nègres », et dénonce la forte présence de la diplomatie française, ainsi que l’essentialisme de la notion de Négritude. Les militants anticoloniaux critiquent l’événement pour des raisons analogues et préparent en réaction à ce premier festival un autre événement, le festival panafricain d’Alger (Panaf) en 1969.
Pour Elara Bertho, le FESMAN instaure néanmoins un standard : « le format du festival imaginé par Senghor sera repris par les autres festivals ultérieurs, avec la même visée bien que réalisée de manière différente à chaque fois, à savoir d’incarner un panafricanisme concret pour les arts », à Alger en 1969, ou encore à Lagos en 1977 (p. 115).
Avec son analyse consacrée à Senghor le « poète-président », Bertho discute aussi des renoncements et des avancées intervenus durant ses mandats présidentiels. Si Senghor fait l’objet de critiques en Afrique, sa politique culturelle est également discutée et contestée au Sénégal.
Attaché à promouvoir le rayonnement culturel de son pays, Senghor fait de la création artistique l’un des principaux leviers de sa diplomatie, notamment dans la renégociation de ses rapports avec l’ancienne puissance coloniale. L’historienne de l’art Coline Desportes rappelle que Senghor pense les relations postcoloniales avec la France en termes « d’apports mutuels [7] ». Or, cette conception n’est pas partagée par Paris. Le gouvernement français s’implique peu dans les projets de coopération conçus par le Sénégal et refuse plusieurs demandes de prêts et la circulation d’objets d’art africain émanant de la présidence sénégalaise. Senghor entretient pourtant des liens étroits avec certains hommes politiques français de premier plan. Il fait aussi preuve d’une volonté constante d’intensifier la coopération bilatérale, en facilitant les formations d’artistes et d’acteurs culturels sénégalais au sein des institutions françaises, ou encore en sollicitant l’expertise culturelle française dans le déploiement de projets d’envergure. Pourtant, le président Senghor ne parvient pas à instaurer un rapport de réciprocité, la France ne soutenant alors que les projets jugés présenter un intérêt diplomatique, à l’instar du FESMAN ou de l’exposition L’Art sénégalais d’aujourd’hui organisé au Grand Palais, en 1974.
La persistance de cette relation asymétrique est interrogée par Mohamed Mbougar Sarr dans un article rédigé à l’occasion de l’exposition Senghor et les arts. L’écrivain sénégalais, prix Goncourt 2021, y questionne la pertinence de la politique culturelle senghorienne lorsqu’il écrit à propos du poète-président : « sans doute n’était-il pas dupe du piège de la Négation qu’il combattait : vouloir prouver à l’Autre qu’on a une culture aussi valable que la sienne, c’est encore donner à cet Autre le pouvoir de la reconnaître ou non. [8] » L’écrivain saisit ici toute la complexité du positionnement de Senghor. Sa tentative d’établir une nouvelle relation à cet Autre – que l’on comprend être l’Occidental – doit-elle être perçue comme une forme d’assujettissement ou l’accomplissement de sa vision postcoloniale ?
Peut-être l’engagement de Senghor en faveur de la Francophonie offre-t-il un élément de réponse. Elara Bertho montre comment, même après la fin de sa carrière politique, Senghor continue à œuvrer par elle à la construction d’un universel non eurocentré. Pour lui, l’usage de la langue française en tant qu’outil de domination ou de soft power doit être dépassé. Avec la Francophonie, la langue française pourrait être envisagée comme « un lien dont les communautés pourraient se saisir pour bâtir des collectivités à l’échelle globale » (p. 135). L’idée du dépassement des frontières matérielles et identitaires restent au cœur de ses conceptions, pour ne rechercher que la complémentarité et la symbiose.
S’il faut le rappeler, les artistes sénégalais jouent un rôle central dans le projet politique senghorien. Considérés comme des ambassadeurs, ils sont à ce titre encouragés à se former au sein des institutions mises en place par Senghor depuis son accession au pouvoir. Sous sa présidence, ils prennent part à plusieurs manifestations majeures hors de leur pays et accèdent à une reconnaissance internationale, à l’instar de Philippe Sène (né en 1945). Cette visibilité des artistes sénégalais concrétise le projet de Senghor, parvenu à les faire considérer comme représentants de l’art africain dans le champ contemporain, leur production densifiant la contribution africaine à la « civilisation de l’universel ». Pourtant, plusieurs d’entre eux s’élèvent contre cette politique qu’ils considèrent comme une entrave à leur créativité. Bien que Senghor ait été l’un de ses interlocuteurs privilégiés, Younousse Seye critique sa politique culturelle, qu’elle estime avoir été en décalage avec la réalité de la vie des artistes. Des artistes comme Issa Samb (1945-2017), dont l’œuvre « Affiche Plekhanov 6 » est présentée dans le cadre de l’exposition Senghor et les arts, ou encore El Hadj Sy (né en 1954), adoptent une démarche radicale et « refusent que leurs œuvres illustrent la négritude et son idéologie politique [9] ».
Le musée du quai Branly consacre l’une des parties de l’exposition à ces « dissidences ». Face au courant officiel dès lors désigné comme « l’École de Dakar », ils fondent le Laboratoire Agit’Art en 1974. Peintres, comédiens, acteurs, plasticiens se réunissent autour de l’idée de déconstruction des canons esthétiques établis par le pouvoir en place et promeuvent une « ré-indigénisation du discours et des pratiques esthétiques [10] ». Comme le relève l’historienne de l’art Elisabeth Harney, « Agit’Art cherche à libérer le médium de ses chaînes politiques et idéologiques [11] ». Les membres du laboratoire organisent des ateliers, créent leurs propres spectacles et lancent le Village des arts de Dakar en 1977. Leur première manifestation remet en question le poème « Chaka » de Senghor, publié en 1956. Bien que critique, le mouvement entretient des relations suivies avec le pouvoir. Même opposés au gouvernement, ses membres s’appuient sur ses infrastructures pour organiser leurs manifestations, et plusieurs membres occupent un emploi dans la fonction publique sénégalaise. Même si Senghor n’a jamais visité le site, Harney formule, avec d’autres, l’hypothèse que celui-ci voyait dans ce projet dissident la preuve du développement et de la maturité de la scène artistique sénégalaise qu’il avait souhaitée.
L’exposition du quai Branly s’achève sur la question des « héritages » de Senghor. Envisagés au pluriel, ils sont cependant évoqués au sein de cette dernière section, une nouvelle fois, sous l’angle institutionnel, le propos se concentrant sur le dernier grand projet senghorien : le musée d’art négro-africain de Dakar, dénommé ensuite Musée des civilisations noires. Confié à l’architecte moderniste mexicain, Pedro Ramírez Vázquez, le projet architectural devait allier l’esthétique négro-africaine aux grands courants de l’architecture moderne, matérialisant ainsi le métissage des cultures voulu par Senghor.
Il faut lire la préface intitulée « Le musée d’art négro-africain de Dakar [12] » écrite par Senghor pour comprendre les raisons pour lesquelles les commissaires de l’exposition du Quai Branly, ne parlant que d’un seul projet, évoquent des héritages pluriels. Dans sa préface, le poète-président confère en effet une triple ambition au musée qu’il imagine : nationale, régionale et universelle. Au niveau national, il y voit un legs tangible pour le Sénégal, et un témoignage durable de la centralité de la culture dans le développement du pays. Au niveau régional, le musée devait être représentatif de la culture ouest-africaine et symboliser le refus de toute « balkanisation ». Enfin, sur le plan universel, ce musée, parce qu’il ambitionnait de préserver et promouvoir l’art africain, était envisagé comme « partie intégrante du patrimoine culturel de l’humanité » et dès lors contribuer, lui aussi, à l’édification de la civilisation de l’universel. Même si ce projet de musée est abandonné à la démission de Senghor, il constitue donc une part de son héritage, dans la mesure où il permet déjà d’illustrer le rôle de l’Afrique et des Africains comme acteurs de la mise en valeur de leur art.
Pour l’affiche de l’exposition Senghor et les arts, le musée du quai Branly reprend une œuvre intitulée Hosties noires, de Roméo Mivekannin (né en 1986), artiste béninois qui s’intéresse particulièrement au « rapport ambigu entre la métropole et les colonies » [13], entre fascination et idéologie raciste. En superposant une photographie de Senghor datée de 1949, lorsqu’il occupait des fonctions de délégué au Conseil de l’Europe à Strasbourg, et le « Poème liminaire » tiré de Hosties noires, Roméo Mivekannin positionne son sujet à la fois au-devant des institutions occidentales, et comme locuteur d’un discours dénonçant les traitements réservés à l’homme noir.
Cette œuvre, d’ailleurs présentée dès le début du parcours de l’exposition, témoigne de la réactivation de la figure de Senghor auprès de jeunes artistes africains aujourd’hui. Les débats autour de la nécessité à repenser le monde et l’art depuis les Suds, et notamment l’Afrique, incitent en effet ceux-ci à mobiliser Senghor. Par son procédé, Roméo Mivekannin concrétise d’une certaine manière le projet senghorien d’un dialogue entre égaux, permettant à l’homme noir d’être enfin entendu et de prendre part à la civilisation de l’universel.
Quant aux différentes pistes formulées par Elara Bertho « pour hériter de la négritude aujourd’hui » en conclusion de son ouvrage, peut-être celle de la « négritude écologique » constitue-t-elle l’approche la plus inédite, particulièrement afin de penser « le lien des vivants entre eux ». Ainsi revivifiée par la problématique environnementale, la Négritude serait apte à apporter la contribution propre de l’Afrique au débat planétaire, comme par la valorisation d’un retour à la sacralité de la terre, source potentielle d’un renouveau idéologique permettant de repenser « le droit des forêts, la force des fleuves, la subjectivité des animaux qui nous entourent » (p. 152). En tournant la page des controverses, la pensée de Senghor pourrait ainsi être réappropriée aujourd’hui, rendant possible une reformulation de la Négritude qui en conserverait la force, contre toute obsolescence, et en conserverait l’utilité face aux enjeux du XXIe siècle.
par , le 18 avril 2023
Marie-Adeline Tavares, « L’héritage de Senghor », La Vie des idées , 18 avril 2023. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./L-heritage-de-Senghor
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[1] Senghor et les arts. Réinventer l’universel [catalogue de l’exposition du musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris, 7 février - 19 novembre 2023] / sous la direction de Mamadou Diouf, Sarah Frioux-Salgas et Sarah Ligner. Paris : MQB, p. 25.
[2] Elara Bertho, Senghor, Puf 2023.
[3] Léopold Sédar Senghor. 1967, « Qu’est-ce que la Négritude ? ». Études françaises, vol. 3, p. 3, en ligne.
[4] Amady Aly Dieng, « Le 1er Congrès des écrivains et artistes noirs et les étudiants africains », Présence Africaine, 175-176-177, no. 1-2- 2008-1, 2007, p. 118.
[5] Extrait de l’intervention de Léopold Sédar Senghor au premier Congrès des écrivains et artistes noirs (1956), (consulté le 15 février 2023).
[6] Souleymane Bachir Diagne, « La Négritude comme mouvement et comme devenir », Rue Descartes, 2014/4 (n° 83), p. 52 (consulté le 1er mars 2023)
[7] Coline Desportes, « Négociations et « influence » sur le terrain des arts : un échange d’objets entre la France et le Sénégal dans les années 1960 », Politique africaine, vol. 165, no. 1, 2022, p. 107.
[8] Mohamed Mbougar Sarr, « Imaginer Sédar heureux », Le 1, n°433, 8 février 2023, p. 3.
[9] Extrait du texte « Dissidences » de l’exposition Senghor et les arts. Réinventer l’universel.
[10] Elisabeth Harney, 2023. « Le laboratoire Agit’Art », p. 129 in Senghor et les arts. Réinventer l’universel (catalogue d’exposition). Paris : Éditions du Musée du Quai Branly - Jacques Chirac.
[11] Ibid., p. 130.
[12] Musée de Dakar. Témoin de l’art nègre, Dakar, Nouvelles éditions africaines, et Paris, Éditions Delroisse, [n. d.] vers 1970, p. III-IV.
[13] Site de la galerie Cécile Fakhoury qui a organisé l’exposition (consulté le 10 février 2023).