Selon les sondages menés par le centre de recherche Pew, l’économie est le thème de campagne le plus important de l’élection présidentielle étatsunienne cette année (Pew, 2024). Durant le premier débat de la campagne opposant la vice-présidente Kamala Harris et l’ancien président Donald Trump, les deux candidat·e·s ont tou·te·s les deux évoqué la question des impôts, tentant de rassurer les Américain·e·s qui craindraient leur augmentation, tout en promettant une économie stimulée et prospère. Kamala Harris a attaqué son adversaire, déclarant que son projet était « d’accorder une réduction d’impôt aux milliardaires et aux grandes entreprises ». La question fiscale apparaît, dans ces discours, comme un enjeu affectant les classes moyennes étatsuniennes et leur pouvoir d’achat : l’augmentation des impôts, les avantages fiscaux ou encore les déclarations d’impôts des candidat·e·s sont des exemples ponctuels décontextualisés du système fiscal étatsunien dans son ensemble. Rarement remise en question dans sa structure, la fiscalité aux États-Unis est pourtant un outil majeur de la fabrique des inégalités économiques et raciales.
En 2024, le think tank progressiste Institute on Taxation and Economic Policy (ITEP) a publié un rapport dénonçant les effets des systèmes fiscaux de 44 États dont, selon les données traitées par l’Institut, la structure régressive exacerbe les inégalités de revenus (ITEP, 2024). Aux États-Unis, les divisions de classe sont intrinsèquement liées à la question raciale. L’écart de richesse qui sépare les foyers blancs et noirs est considérable : de 2019 à 2022, il est passé de 841 900 à 1,15 million de dollars, soit une hausse de 38 % (Addo et al, 2024). Alors que cet écart est souvent compris comme le simple reflet des différences de ressources entre populations blanches et noires héritées de l’esclavage et de la ségrégation, ce fossé continue de se creuser, encore investi et orchestré par les régimes fiscaux étatsuniens et leurs nombreuses couches administratives—municipale, de comté, d´État fédéré et fédéral—qui génèrent ou amenuisent les richesses et servent d’outils de dépossession, invisibilisés par leur complexité.
Loin d’être neutre, la fiscalité joue un rôle capital dans la production des inégalités économiques et raciales. La juriste Dorothy Brown, dans son ouvrage The Whiteness of Wealth consacré à l’impact discriminatoire des impôts aux États-Unis, affirme que les politiques fiscales des États fédérés et de l’État fédéral contribuent à augmenter la richesse des foyers blancs et à désavantager les étatsunien·ne·s racisé·e·s. L’effet du mariage, par exemple, diverge selon les foyers : plus l’écart de salaires entre les conjoint·e·s est important, plus le couple bénéficiera d’un avantage fiscal élevé (Brown, 2021, pp. 29-63). Au contraire, si les revenus des deux personnes sont équivalents ou proches, il est possible que le fait d’être marié·e·s ne soit pas un avantage et puisse même coûter au foyer. Pour Brown, ce modèle a un impact discriminatoire pour les foyers les moins aisés, et les foyers racisés puisque les couples noirs ont statistiquement moins d’écart de revenus.
L’impôt sert à financer les infrastructures et services publics et lorsqu’il est conçu de façon progressive, il répartit l’impact du prélèvement de façon équitable, proportionnellement aux revenus et ressources. Or la structure fiscale étatsunienne contribue à renforcer les inégalités et à déposséder les populations les plus pauvres ayant le moins de pouvoir politique et tout particulièrement les populations racisées. Aux États-Unis, les récits et représentations de l’État taxateur informent ou déforment parfois les discours autour de la capacité égalisatrice de l’impôt ou de son rôle dans la dépossession économique et raciale. Le champ de l’éducation publique, partiellement financé par l’impôt foncier local, montre de manière paradigmatique comment la fiscalité, imbriquée avec la ségrégation raciale, participe à la fabrique des inégalités.
Penser l’impôt : récits et représentations
Dans le récit national étatsunien, la résistance à l’impôt tient une place prépondérante : un des cris de ralliement de la Révolution américaine était l’opposition aux taxes imposées par l’Empire britannique en l’absence de représentation politique au Parlement. Au cœur de l’idéologie révolutionnaire, l’enchevêtrement entre liberté et injustice de l’imposition a marqué l’identité nationale étatsunienne, gravant au cœur de celle-ci un paradoxe fondamental : l’élite politique de la nouvelle nation prônait l’idéal de liberté alors que le pays tirait la plupart de ses richesses de l’esclavage, institution qui façonnait son économie, son organisation politique et toute sa société.
L’historienne Robin Einhorn a souligné l’influence de l’institution de l’esclavage dans la structuration du système fiscal des États-Unis (Einhorn, 2006). Dans les premières décennies de la nation, les puissants planteurs du Sud craignaient que les États du Nord ne leur imposent des taxes trop importantes en raison de la nature de leur propriété—les personnes esclavagisées (Einhorn, p. 112). La Constitution des États-Unis a entériné le lien entre esclavage et imposition puisque la clause des « trois-cinquièmes » indexait la représentation au Congrès et les taux d’imposition selon une formule qui comptait cinq personnes esclavagisées comme trois, là où les autres, hormis les personnes amérindiennes, comptaient pour une personne à part entière. Einhorn pousse sa démonstration jusqu’à affirmer, à l’encontre de toute une tradition historique, que « la rhétorique anti-étatique qui continue de saturer la vie politique des États-Unis trouve ses racines dans la défense de l’esclavage et non dans celle de la liberté » (Einhorn, 2006, p. 7, traduction de l’autrice).
Le Parti Républicain de la seconde moitié du XXe siècle a pleinement épousé la rhétorique de l’opposition à l’état taxateur à partir des années 1960, dans un tournant stratégique identifié par les historien·ne·s comme le réalignement politique majeur du XXe siècle (Martin, 2008 ; Mound, 2020 ; Huret, 2014). Ce nouveau conservatisme étatsunien s’attaque de plus en plus à un ennemi fantasmé—la pauvreté paresseuse, profitant des aides non méritées et financées par un impôt excessif dérobant aux contribuables le fruit de leur dur labeur (Boussac, 2023). Ainsi, dans les manifestations contre l’aide sociale en 1961 à Newburgh, dans l’État de New York, le « monde conservateur » se « met en mouvement » et se présente comme une « minorité muselée par le pouvoir libéral » dont l’un des outils d’oppression est l’impôt (Boussac, 2023 p. 95). La dimension raciale et socio-économique des arguments qui caractérisent cette révolution conservatrice est flagrante à Newburgh : l’arrivée d’une population africaine-américaine ayant quitté le Sud en quête d’opportunités professionnelles dans le Nord industriel est l’un des catalyseurs des mouvements de contestation de l’été 1961. Des nouvelles personnalités politiques de l’époque, comme le fonctionnaire municipal conservateur Joseph Mitchell, agitent le spectre de la fraude à l’assistance sociale en racisant le stéréotype des assisté·e·s non méritant·e·s. Contre cette rhétorique néfaste, les historien·ne·s de la nouvelle histoire du capitalisme replacent le curseur de l’injustice à une échelle systémique afin de mettre en lumière le rôle des régimes fiscaux dans le maintien ou même l’exacerbation des inégalités économiques et raciales aux États-Unis.
Continuité historique de la dépossession fiscale
Au cours des dernières années, plusieurs ouvrages ont examiné les liens historiques entre impôts—foncier, municipaux—et inégalités raciales (Jenkins, 2021 ; Kahrl, 2024). L’historien Destin Jenkins, l’une des figures de proue du mouvement historiographique ayant adopté le cadre théorique du « capitalisme racial », démontre le rôle de la dette municipale de San Francisco, de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1970, dans la fabrique d’une métropole inégalitaire (Jenkins, 2021). L’élite de la ville, alliance entre technocrates et financiers, a systématiquement donné la priorité aux besoins de certains quartiers blancs, renforçant la ségrégation urbaine et ses hiérarchies. La ville, devenue dépendante des marchés pour financer son développement et ses infrastructures par des mécanismes de dette municipale, s’est construite en dépossédant les populations les plus défavorisées : le recours accru au financement par emprunts obligataires après la Seconde Guerre mondiale a consolidé, ancré et exacerbé les inégalités raciales et spatiales de la ville.
Dans la tradition marxiste, la notion de dépossession fait référence au processus systémique de saisie ou de dépréciation de ressources, droits, pouvoirs et opportunités, souvent au profit des plus puissants et des plus riches (Harvey, 2003). Dans le récent ouvrage de l’historien Andrew Kahrl intitulé The Black Tax : 150 Years of Theft, Exploitation, and Dispossession in America, la dépossession par l’impôt apparaît de façon particulièrement violente : tout retard dans les paiement d’impôts de la part de résident·e·s vulnérables, par exemple, peut mener à une expulsion ou à une spirale de dettes sans issue. Allain Blair, un créancier prédateur dont le fonds de commerce consistait à racheter les dettes d’impôts pour s’emparer de droits sur la propriété à Chicago, pouvait ainsi demander aux personnes débitrices des sommes exorbitantes, sous la menace de l’éviction. Bob Rosborough, un résident de Chicago souffrant de schizophrénie, avait par exemple accumulé un retard de paiement d’impôts s’élevant à 1200 dollars. Lorsqu’il a refusé de payer 12 000 dollars pour racheter sa maison à Allan Blair, ce dernier l’a fait expulser, le condamnant à vivre dans un motel insalubre alors que lui-même vivait dans un appartement luxueux au bord du lac Michigan.
Kahrl analyse des « cycles d’extraction » et son récit retranscrit un sentiment de répétition sans fin, par le biais de nouveaux stratagèmes, de la même histoire : des pratiques prédatrices qui s’attaquent aux personnes vulnérables par appât du gain (Kahrl, 2024, p. 285). Un fil rouge se dessine cependant : le recours à l’autorité locale pour manier l’outil fiscal à des fins de dépossession. « Dans l’arsenal de pouvoirs à l’échelle locale dont disposent les Blancs », écrit-il, « peu sont sortis plus indemnes de la révolution des droits civiques des années 1960 que les pouvoirs fiscaux locaux » (Kahrl 2024, p. 132). Alors que les mouvements pour la défense des droits civiques ont souvent cherché à élargir le champ d’action de l’État fédéral, dans les écoles, les bureaux de vote et les lieux de travail, les autorités locales ont gardé le contrôle des registres fiscaux et les pouvoirs associés aux impôts locaux.
Dans mes travaux, je montre les continuités des mécanismes de dépossession raciale par le financement scolaire avant et après la période de la déségrégation des écoles—une permanence orchestrée par les tribunaux et corps législatifs étatsuniens (Cyna, 2022). Si elle a provoqué une révolution juridique et une reconfiguration majeure des écoles publiques aux États-Unis, la déségrégation n’a cependant pas eu d’impact direct sur les règles de financement des écoles, ce qui a limité son potentiel de redistribution des ressources (Ryan, 2010). Les sources de financement scolaire que sont l’impôt foncier, les emprunts obligataires, les taxes de vente, font l’objet de votes ou sont à la discrétion des élu·e·s. La déségrégation des écoles et les mouvements pour les droits civiques n’ont pas pu remettre en cause ce système décentralisé, puisque la Cour Suprême a confirmé sa constitutionnalité en 1973 avec l’arrêt San Antonio v. Rodriguez. Dans de nombreux comtés de Caroline du Nord, où j’ai mené mes recherches, les élites blanches ont utilisé les frontières des districts scolaires comme remparts à la déségrégation : l’arrêt Milliken v. Bradley de 1974 a grandement limité les possibilités de déségrégation des écoles, puisqu’il rendait presque impossible le mélange des populations issues de deux districts scolaires différents. Pour certaines populations blanches, le jeu sur la délimitation des frontières des districts est devenu un stratagème pour se « protéger » d’une éventuelle mixité raciale.
La fiscalité comme rempart : impôts et éducation publique
Dans tous les États fédérés, les écoles sont en partie financées par l’impôt foncier prélevé dans le périmètre d’un district scolaire donné, mais la part de ce financement dans le budget des écoles varie d’un État à l’autre. L’assiette fiscale d’un district affecte donc directement les ressources à disposition de ses écoles. Plus un district scolaire est riche, plus ses écoles bénéficieront d’un budget élevé. Au contraire, un district pauvre ne pourra prélever que de maigres ressources pour celles-ci, même si sa population choisit de s’imposer plus lourdement pour financer ses écoles. Ainsi, la délimitation des plus de 14 000 districts scolaires étatsuniens est cruciale, puisqu’elle façonne leur assiette fiscale. Les autorités locales, parfois municipales, de comté ou de l’État fédéré selon les lois des États, peuvent ainsi manier cet outil pour accroître ou diminuer la valeur de la propriété foncière à l’intérieur d’un district et manipuler avec elle le budget des écoles.
Le système de financement des écoles par l’impôt foncier est hérité du XIXe siècle. Des réformateurs de différents États cherchaient alors à promouvoir l’institutionnalisation de l’éducation publique tout en conservant l’autorité locale qui caractérisait celle-ci depuis la période coloniale. Dans son étude portant sur la Californie, Matthew Gardner Kelly analyse le choix, inégalitaire, de l’impôt foncier comme source de financement des écoles dans le contexte de la colonisation du territoire et de la dépossession des terres amérindiennes au XIXe siècle (Kelly, 2024). Loin d’être une évidence, ce choix ne peut être compris qu’à la lumière d’une idéologie qui souhaitait valoriser le travail de culture des terres par les colons. Dans une logique suprémaciste auto-réalisatrice, les colons blancs, par leur présence et leur exploitation de terres expropriées, augmentaient la valeur de celles-ci. Afin de jouir de cette valorisation, les autorités de l’État ont avancé que le choix de l’impôt foncier était le plus juste, le présentant comme proportionnel au labeur des colons. Si, aujourd’hui, celles et ceux qui défendent ce système de financement soulignent l’importance de cette tradition localiste dans l’histoire du pays, il est primordial de comprendre les racines colonialistes et racistes de celle-ci.
La méthode de financement des écoles par l’impôt foncier, héritée de ces logiques impérialistes, exerce depuis son adoption une force centrifuge qui continue de façonner l’éducation publique étatsunienne : plus le district scolaire est pauvre, moins ses écoles sont attractives, ce qui fait diminuer la valeur de la propriété foncière des logements dans ce district scolaire, l’entraînant dans une spirale de sous-financement. En Californie, par exemple, les responsables des comtés et des municipalités de la région de Los Angeles ont maintenu la banlieue de Compton à l’écart du district scolaire de Los Angeles, la privant des importantes ressources fiscales de la métropole, tout en annexant d’autres banlieues blanches et plus aisées au district de Los Angeles. Alors que les valeurs immobilières continuaient de chuter à Compton dans les années 1990, ses écoles n’avaient d’autre choix que de récupérer du mobilier d’occasion dont les écoles privées se débarrassaient. Elles étaient si délabrées qu’il pleuvait dans certaines salles de classe (Straus, 2014, p. 3).
Les assiettes fiscales ne sont pas statiques, elles sont construites par les politiques locales et celles des États fédérés. Les décisions portant sur la délimitation des districts scolaires sont éminemment politiques : en Caroline du Nord, les descriptions des limites de certains districts scolaires occupent plusieurs pages des lois adoptées par l’Assemblée législative de l’État, précisant les nombreuses contorsions dessinées pour la maximisation ou au contraire la dévaluation de la propriété qu’elles contiennent et qui génèrent, via l’impôt, une partie des budgets des districts scolaires. Érigeant des barrières grâce à ces lignes administratives, souvent complètement décorrélées des autres frontières existantes, topographiques, routières, ou même administratives comme les frontières municipales, ces remparts génèrent une accumulation des ressources ou au contraire la dépossession. Le district scolaire de la ville de Lumberton, en Caroline du Nord, a par exemple annexé un club de golf en 1969 alors que celui-ci ne se trouvait ni à l’intérieur des frontières municipales de Lumberton ni de celles de son district scolaire, et n’en était même pas contigu. Les autorités municipales et du district scolaire local ont ainsi créé une annexe « satellite » dans l’unique but de collecter les gains fiscaux de cette inclusion, la retirant au district scolaire rural majoritairement amérindien de Robeson County Schools (Cyna, 2021).
Le changement d’affiliation de certains quartiers « satellites » dans le comté de Robeson avait également pour but de bâtir un paysage scolaire ségrégué. Dans un petit quartier, nommé Clyburn Pines, des parents blancs se sont battus pour que leurs résidences soient associées au district scolaire blanc de Lumberton, mieux doté, même si Clyburn Pines était situé dans le district rural de Robeson à majorité amérindienne, afin que leurs enfants puissent se rendre dans des écoles majoritairement blanches. En effet, outre leur impact fiscal et financier, les frontières des districts scolaires déterminent aussi l’affectation des élèves. Puisqu’elles agissent sur la composition démographique des écoles, ces frontières cristallisent et rejouent la discrimination systémique autour de la race et de la pauvreté.
Dans un rapport de 2016, l’organisation EdBuild, fondée en 2005 pour mener des recherches sur les inégalités éducatives, a répertorié les frontières de districts dont le pouvoir de ségrégation et de manipulation fiscale était le plus fort. Selon EdBuild, la frontière qui sépare la ville de Détroit d’une de ses banlieues, Grosse Pointe, dans le Michigan, est l’une des plus puissantes du pays, car son tracé est tel qu’il assure l’isolement fiscal et démographique de la banlieue blanche aisée de Grosse Pointe (EdBuild, 2016). La valeur médiane des biens immobiliers dans le district de Detroit, Detroit Public School, est de 45 100 dollars, contre 220 100 dollars à Grosse Pointe. Environ la moitié des élèves de la ville vivent sous le seuil de pauvreté, contre un élève sur 15 de l’autre côté de la ligne.
Afin de souligner les nombreuses imbrications entre la dépossession par l’impôt foncier, la ségrégation raciale et l’expropriation capitaliste, le philosophe de l’éducation David I. Backer et moi-même avons défini la Critical School Finance, une approche critique du financement scolaire (Backer & Cyna, 2024). Nous adoptons un point de vue critique sur les modalités techniques de financement des écoles et mettons en lumière les choix qui produisent des injustices perpétrées par un système inéquitable. Allant plus loin que la simple juxtaposition des écarts entre les écoles bien financées et pauvres, souvent décrits comme inéluctables en raison de la répartition inégale des richesses, ce cadre théorique insiste sur les décisions politiques qui sont à l’origine de ces différences. Une approche critique du financement des écoles examine ainsi les relations de pouvoir qui façonnent, maintiennent ou atténuent ces inégalités.
Conclusion
En mars 2024, pour la première fois, l’État fédéral a reconnu, au détour d’une phrase, que certaines règles fiscales étaient davantage favorables aux populations blanches : le budget pour l’année fiscale 2025, communément appelé « livre vert », indique qu’en plus de profiter aux foyers les plus fortunés, « les taux d’imposition préférentiels profitent également de manière disproportionnée aux contribuables blancs, qui bénéficient de la grande majorité des avantages des taux réduits » (U.S. Department of the Treasury, 2024, p. 79). Cette phrase est peut-être le signe d’une prise de conscience politique d’une injustice systémique.
Alors toujours conçue comme intimement liée à l’oppression raciale, la fiscalité a été une question centrale des combats pour les droits civiques, bien qu’elle ait été ultérieurement minorée. Ainsi, en 1966, alors qu’elle était candidate au poste de contrôleuse experte en évaluation immobilière du comté de Lowndes, dans l’Alabama, Alice Moore avait pour slogan de campagne « taxer les riches pour nourrir les pauvres » (Jeffries, 2009, 179). Moore était membre du parti Lowndes County Freedom Organization, le premier à adopter la panthère noire comme symbole, inspirant plus tard le Black Panther Party. Aujourd’hui, des groupes comme The Poor People’s Campaign (PPC), dont le nom reprend celui du mouvement de Martin Luther King, dénoncent les effets dévastateurs d’un système fiscal injuste. PPC appelle à une réforme progressive visant à redistribuer la richesse pour financer des services publics essentiels comme l’éducation et la santé (PPPC, 2024, p. 3). Dans leur vision antiraciste d’un monde plus égalitaire, l’impôt apparaît comme un outil de libération. Une imposition conçue de façon progressive permettrait non seulement de réduire les inégalités, mais aussi de créer les conditions d’une véritable transformation sociétale. Au sein des luttes pour la justice sociale et raciale, ce sujet ne peut être ignoré ou minimisé, tant la fiscalité organise la dépossession des populations les plus marginalisées.