Au cours des années 1990, l’épidémie de VIH/sida a fait l’objet d’une attention proportionnelle à l’effroi suscité par cette maladie. Cette période est marquée par la prolifération des discours et des initiatives : productions artistiques, recherches, actions militantes, campagnes de prévention, levée de fonds, etc. Ce traitement exceptionnel appartient désormais au passé. L’arrivée des trithérapies, en 1996, a contribué à normaliser la maladie, aujourd’hui souvent présentée comme traitable et chronique, du moins dans les pays du Nord. Les usages des antirétroviraux, comme traitement et comme prévention, permettent de soigner les malades, de les rendre non contaminants, ou de protéger les individus séronégatifs. Ce sont ces éléments qui permettent à l’ONU d’envisager, depuis 2011 et à long terme, la « fin du sida ».
Ce récit de la fin du sida implique une conception linéaire et héroïque de médecins progressant peu à peu dans leur lutte contre la maladie, si la mobilisation internationale, et en particulier les moyens financiers, sont à la hauteur. Il occulte cependant les disparités des politiques et des expériences de la maladie, les débats que suscitent les nouvelles stratégies de prévention et les recompositions de la lutte contre l’épidémie. Si la bataille a perdu son aspect spectaculaire, le sida constitue toujours une clé pour comprendre les évolutions contemporaines de la sexualité, les rapports entre science et pouvoirs, les nouvelles formes de militantisme ou le développement de marchés médicaux.
Ce dossier a pour objectif d’analyser les évolutions contemporaines de l’épidémie, d’en restituer les tensions et les débats, pour mieux comprendre les rapports de pouvoir qui contribuent à lui donner sa forme actuelle. Historiquement, le sida a été pensé comme un fait social total, en ce qu’il engageait la société dans son ensemble.
Gabriel Girard, Sida : un monde associatif en crise ?, cherche à saisir ce qu’il en est, trente ans après le début de l’épidémie : son analyse des rapports entre les différentes composantes du mouvement associatif et l’État éclaire les enjeux de l’action publique bien au-delà du cas du sida. Le texte de Maud Gelly sur les pratiques du dépistage et celui de Caroline Izambert sur l’histoire des luttes pour le droit à la santé des étrangers mettent en évidence certains effets de ces recompositions.
Le sida reste une expérience dont les conditions sont très variables d’un espace ou d’une population à l’autre : Marie-Ange Schiltz le souligne à propos des gays, Fanny Chabrol le montre également au sujet de la fabrication occidentale de l’Afrique comme laboratoire médical et politique idéal.
On sait que l’épidémie de sida a été un accélérateur des études sur la sexualité, le besoin de connaissance légitimant ce champ de recherches. Cependant, comme le montrent Elise Marsicano et Julie Castro, c’est une certaine conception de la sexualité qui est promue ici, plutôt épidémiologique, indissociable de l’histoire coloniale et post-coloniale, et des rapports de genre.
Guillaume Lachenal met en évidence les représentations raciales qui grèvent la recherche sur l’origine du sida. Au-delà des questions sexuelles, les enjeux économiques sont de plus en plus prégnants dans la mise en forme de la maladie : la diffusion des antirétroviraux a créé de nouveaux marchés, et donc de nouveaux terrains de lutte pour l’activisme sida.
Enfin Gaëlle Krikorian identifie, du côté des militants, les ressources qui rendent possible de tels déplacements. Le récit de la fin du sida ne doit donc pas masquer les fronts qui s’ouvrent et les nouveaux développements de la recherche en sciences humaines.
Ce dossier a été pensé et élaboré dans le cadre d’un projet de recherche (2012-2014) financé par l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les hépatites virales (
ANRS).
Pour citer cet article :
Maud Gelly & Gabriel Girard & Mathieu Trachman, « La fin du sida ? »,
La Vie des idées
, 14 octobre 2014.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr./La-fin-du-sida
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