Alors que l’université accueille les enfants de la démocratisation scolaire, la réforme Macron permet aux établissements d’enseignement supérieur de sélectionner leurs étudiants. Défendant l’université comme lieu de formation et de recherches, S. Beaud et M. Millet invitent à s’interroger sur le sens de la poursuite d’études dans une société démocratique.
Au moment où commencent les choses sérieuses, à savoir la mise en place concrète de la loi ORE (Orientation et Réussite des Étudiants) qui, à travers la production par chaque formation universitaire de prérequis (appelés « attendus »), remet en cause le principe sacré de la liberté d’accès à l’université de tous les bacheliers de France et de Navarre [1], ce texte souhaite revenir sur certains enjeux de cette réforme qui semblent insuffisamment évoqués dans les débats en cours. Celle-ci est en effet historique dans la mesure où, depuis l’échec du projet Devaquet de 1986, toute idée de sélection à l’université a été exclue par les gouvernements de notre pays. Or cette loi, malgré ses précautions sémantiques, vise à faire sauter ce verrou et entrer l’université française dans une nouvelle ère.
Au delà des questions pratiques, bien sûr importantes, que pose le pilotage de cette réforme et de la situation actuelle de l’université, affaiblie par la conjonction de 10 ans de LRU, de disette budgétaire et de plusieurs décennies d’accroissement des effectifs étudiants, il apparaît essentiel de replacer au cœur des débats la réflexion sur la fonction sociale de l’université en France. Depuis 30 ans, il a été assigné à la plupart des formations universitaires (hormis le secteur de Médecine/Pharmacie, protégé par le concours de fin de première année) la fonction d’accompagner, le plus souvent avec les moyens du bord, le puissant mouvement de poursuite des études issu de ce qu’on a coutume d’appeler la « seconde explosion scolaire » [2] (Chauvel, 1998). Aussi l’université a-t-elle été avec les STS [3], de tous les segments de l’enseignement supérieur, celui qui a accueilli la plus forte proportion des « enfants de la démocratisation scolaire » (Beaud, 2002) issus de la politique des 80 % au bac décidée par J.-P. Chevènement en 1985. La loi ORE vise clairement à rompre avec cette mission. Elle donnera sans doute satisfaction à tous les partisans du tour de vis qui espèrent ainsi pouvoir choisir (enfin) leur public. Mais elle laisse en suspens, dans le flou ou le non-dit, la question - décisive à nos yeux - du sens et de la forme que doit prendre la dynamique de poursuite d’études supérieures pour les nouvelles générations de bacheliers, appelée par l’économie de connaissance qui est celle désormais des pays développés.
L’occultation des ressorts sociaux du processus de « démocratisation » universitaire
L’urgence de cette réforme accélérée a eu pour alibi la mise en avant du « scandale » de la loterie APB et, plus précisément, le fait que de très bons bacheliers ont vu leurs premiers vœux refusés et que leurs parents ont fortement protesté auprès des rectorats. L’indicateur statistique, le chiffre noir officiel, qui sous-tend la mise en place des prérequis, est le taux d’échec en première année de L1 à l’université, annoncé comme toujours plus élevé dans les débats publics (30 %, 40 %, 50 % selon les cas) (Bodin, Millet, 2011 ; Bodin, Orange, 2013). Pour y mettre fin, il suffirait d’écarter les importuns, les étudiants qui « n’ont rien faire à la fac », en particulier les fameux bacs pro dont on exagère fortement - et à dessein - la présence en première année d’université : en effet seulement 36,8 % d’entre eux poursuivent leurs études après le bac en 2015 et, parmi eux, seuls 8 % entrent en Licence 1 à l’université (contre 27,5 % en STS).
Mais comment en est-on arrivé là ? Un détour par l’histoire montre que, en France, après la deuxième explosion scolaire liée à la politique des 80 % au bac (1985), l’université française a eu pour (noble, il faut y insister) tâche d’accueillir les cohortes d’élèves de cette nouvelle phase de « démocratisation » scolaire.
Celles-ci comprenaient, cette fois en bien plus grand nombre, des étudiants d’origine populaire et aux cursus scolaires diversifiés. La poursuite dans l’enseignement supérieur s’est ainsi peu à peu imposée comme un prolongement logique et naturel de la scolarité obligatoire pour tous les néo-bacheliers. En 2015, plus de 75 % des bacheliers poursuivent leurs études dans l’enseignement supérieur, dont pratiquement 100 % des bacheliers généraux. Ce nouvel horizon n’apparaît jamais aussi bien que lorsqu’on regarde l’évolution des taux d’inscription dans le supérieur des bacheliers des filières professionnelles et technologiques. Ainsi, le taux de poursuite dans l’enseignement supérieur des bacheliers professionnels a bondi, de 17 % en 2000, à 37 % en 2015 (essentiellement en direction des STS), tandis que celui des bacheliers technologiques est passé de 77,6 % à 82 % sur la même période. Ces taux de poursuite dans le supérieur sont d’autant plus remarquables que la proportion de bacheliers par génération a dans le même temps cru fortement : pratiquement 79 % en 2016 contre 63 % en 2000 [4], autour de 33 % en 1986 (voir Graphique 1). Ce double accroissement de la proportion de bacheliers par génération et des taux d’inscription des bacheliers dans l’enseignement supérieur a donc eu pour corollaire l’augmentation rapide et massive des effectifs via, notamment, la forte croissance de bacheliers généraux et l’essor du baccalauréat professionnel [5]. Si, entre 2000 et 2015, le taux d’inscription à l’université a diminué de 3 points (de 48 % à 45 % environ) quand celui des autres secteurs (CPGE, STS, DUT, etc.) est resté stable, les effectifs étudiants à l’université ont en réalité augmenté de manière très significative : de + 200 000 unités environ (1,4 million en 2000, 1,59 million en 2015). Cet accroissement considérable, qui désigne de fait l’université comme plus gros contributeur à l’effort de massification [6] (voir Tableau 2), s’est (socio) logiquement traduit par l’arrivée rapide sur les bancs de l’université, souvent dans des conditions d’encadrement très insuffisantes et parfois indignes, de profils étudiants plus hétérogènes sous l’angle des parcours et des acquis scolaires, certains d’entre eux entrant à l’université moins armés ou préparés pour affronter l’univers des exigences académiques. Elle s’est aussi traduite par une distribution inégale de l’accueil de ces nouveaux étudiants selon les filières d’études. Certains secteurs disciplinaires, comme les Lettres et sciences humaines, ont ainsi été les réceptacles privilégiés de cette forte démographie étudiante.
Néanmoins, ce processus de poursuite d’études dans l’enseignement supérieur ne peut se comprendre indépendamment de la situation du marché du travail en France. L’entrée croissante à la fac de larges fractions de la jeunesse française s’est en effet imposée au cours de ces deux dernières décennies pour au moins trois raisons. Primo, comme l’attestent toutes les enquêtes d’insertion du CEREQ depuis 15 ans, le salut social passe désormais en France par une certification scolaire de type bac + 3 ou 5, reconnue comme un bon niveau d’insertion professionnelle. L’absence d’une filière d’apprentissage valorisée (elle aussi historiquement constituée) a en outre pour résultat que le salut professionnel des jeunes passe de nos jours principalement par l’obtention de diplômes du supérieur [7].
Secundo, le maintien dans le système d’enseignement post-bac permet parallèlement de repousser - au moins temporairement - le spectre des « petits boulots » et d’un chômage endémique depuis les années 1980, qui n’a cessé tout au long de leur scolarité de hanter ces nouvelles générations, historiquement malchanceuses, et qui rend la poursuite d’études dans le supérieur plus impérative que jamais. L’injonction au diplôme est aujourd’hui devenue, pour une large part, injonction au diplôme du supérieur (Millet, Moreau, 2011).
Tertio, l’accès au statut d’« étudiant » donne aussi la possibilité aux ex-sans-grades des lycées (les élèves des sections technologiques ou professionnelles), titulaires de « petits » ou de « mauvais » bacs, comme beaucoup disent en entretien, d’espérer jouer eux aussi, un moment, dans la cour des grands : profiter du modèle de la vie étudiante et de ses parenthèses, réintégrer le courant social de la jeunesse en formation, être semblable aux autres. Mais aussi renouer, une fois leur baccalauréat en poche, avec des ambitions sociales et des aspirations de poursuite d’études auxquelles ils avaient cru devoir renoncer (Rochex, 2002). Dans un rapport au MEN sur l’accès des bacs pro à l’université, nous avions montré combien la poursuite d’études à l’université des bacs pro de la région ouvrière de Sochaux correspondait pour ces blessés de l’école à une « quête de réparation sociale » (Beaud, Pialoux, 1999). En ce sens, il est vain de réduire la poursuite d’études à la fac des bacheliers les moins légitimes à une stratégie utilitariste (« ils sont là uniquement pour toucher la bourse », entend-on parfois, par exemple, lors des surveillances d’examens de L1). Elle doit être interprétée dans le cadre des luttes symboliques qui traversent les diverses fractions de la jeunesse française. Aller à la fac pour les « petits bacs » exprime, chez ceux qui sont les moins bien nés de la société, une sourde volonté : celle de résister au décrochage social et de rejoindre la norme étudiante, si prégnante de nos jours dans la jeunesse française.
Adopter le point de vue de ces prétendants à l’université, qui sortent des filières moins valorisées de l’enseignement secondaire, permet de voir dans leur poursuite d’études autre chose qu’une sorte de foucade ou de mouvement de Panurge de la part de jeunes dont on dit qu’ils sont « mal orientés ». En fait, ce processus a une rationalité : il prend sens dans un mouvement de fond d’allongement de la scolarité qui travaille les sociétés riches (concurrence des économies de la connaissance, besoin de main-d’œuvre très qualifiée, etc.) et qui s’est traduit par l’objectif politique, sous le gouvernement Fillon, d’atteindre le niveau de 50 % d’une classe d’âge diplômés à bac + 3 en France.
Vouloir infléchir cette trajectoire historique du système d’enseignement supérieur (qui est, à sa manière, « très française » et qui, par ailleurs, a été largement voulue par les politiques publiques des dernières années) semble inconcevable. Ce serait simplement tourner les talons au moment même où des milliers de futurs bacheliers comptent sur l’université pour leur formation supérieure. Ceux qui pensent pouvoir revenir à l’université des héritiers des années 1960 et défendent la sélection caressent un rêve chimérique. On peut ce point de vue interpréter la réforme du gouvernement comme une rupture majeure avec la trajectoire historique du système d’enseignement supérieur français.
L’université survit à l’ombre des grandes écoles
Il reste que l’analyse centrée sur la seule université est trompeuse, car elle fait perdre la vue d’ensemble qu’il faut avoir du système d’enseignement supérieur français et notamment de la place qu’elle y occupe dans sa relation aux autres institutions : celle d’une institution profondément dominée et fortement pénalisée par le dualisme - jamais remis en cause par les pouvoirs publics - qui l’oppose aux grandes écoles. Faut-il rappeler que, dans ce système dual, l’absence de moyens donnés à l’université, qui contribue aujourd’hui à faire que tout le monde ne peut plus avoir accès à la filière souhaitée, s’explique par ce choix préférentiel des grandes écoles comme des crédits recherche accordés aux grandes entreprises plutôt qu’au service public et national de recherche ?
Une grande part des difficultés actuelles des universités découle des dépossessions successives qui lui ont été infligées comme de l’inégalité structurelle inscrite dans les murs de l’enseignement supérieur, laquelle profite toujours aux mêmes, et d’abord à ceux qui initient les réformes de l’université. Au delà du mépris et des anathèmes, ceux qui réforment l’université s’accommodent en réalité très bien du système d’enseignement supérieur tel qu’il est. D’un côté, une université et une scolarité supérieure de masse (il est vrai inégalement représentée selon les secteurs disciplinaires), sans moyens (voir Graphique 4), mais qui objectivement remplit des missions de service public d’accueil, de formation et de gestion du grand nombre. On a pu montrer ailleurs comment l’université servait de système de régulation des flux scolaires, comme des aspirations et des orientations des étudiants nouvellement inscrits, et comment une partie d’entre eux, qui nourrissent parfois les cohortes des non-réinscrits, trouvaient dans les premiers cycles universitaires l’occasion de « retravailler » leurs espérances subjectives en fonction de nouveaux objectifs possibles (Bodin, Millet, 2011). Dans un contexte de chômage endémique et d’injonction au diplôme, le sens et les modalités d’une entrée à l’université ont incontestablement changé. À côté du diplôme qu’elle permet de préparer, l’entrée à l’université sert aussi parfois à ne pas perdre une année, à voir jusqu’où l’on peut poursuivre ses études, à retarder le moment redouté d’une entrée sur le marché du travail, à tester ou définir des orientations possibles, mais aussi à obtenir un titre permettant l’accès à un concours, un diplôme plus élevé que le baccalauréat, à accompagner la recherche d’un emploi. Ces situations peuvent contribuer à compliquer sérieusement le travail des enseignants, contraints de faire avec des étudiants aux aspirations, aux investissements et aux niveaux parfois très divers. Elles font néanmoins partie des héritages souvent contradictoires, pour l’essentiel en raison de politiques d’ouverture jamais menées à leur terme, d’un mouvement de « démocratisation » universitaire dont l’effet contribue en même temps à élever le niveau de formation des nouvelles générations dont on sait l’importance pour les réussites nationales.
Face aux universités surchargées et appauvries, trônent des classes préparatoires et de grandes écoles plus que jamais surdotées [8] (voir Graphique 2), fréquentées par une majorité d’héritiers et une minorité de boursiers (toujours mis en avant pour faire bien dans la vitrine). C’est cette inégalité, chaque décennie plus flagrante, qui vicie le système d’enseignement supérieur à sa base et mérite d’être, une nouvelle fois, interrogée. On peut ici se référer à Durkheim qui, dans un livre magnifique, L’Évolution pédagogique en France (1938) a mis au jour les liens qui, en France, unissent étroitement classes sociales (et fractions de classe) et système d’enseignement. Bourdieu et Passeron comme Baudelot et Establet ont, dans les années 1965-75, renoué avec cette grande œuvre sociologique, rappelant que la sociologie de l’éducation est fondamentalement une « anthropologie du pouvoir », pour reprendre l’expression de La Noblesse d’État. Il faut ainsi dépasser une analyse purement interne du système d’enseignement supérieur et observer les transformations de la structure de classes, pour pouvoir mieux le penser.
Aujourd’hui, en France, les membres des classes supérieures - tant ceux qui appartiennent à la bourgeoisie économique que ceux de la bourgeoisie intellectuelle - ont à cœur, dans une alliance rare, mais particulièrement efficace et pérenne, de tenir dans leurs mains le système des grandes écoles. On peut ajouter ici les écoles de médecine ou de santé, dont les statuts à l’université sont à part, ne serait-ce qu’en raison de l’existence d’un concours d’entrée extrêmement sélectif qui les apparente aux grandes écoles. En 2015, les enfants des cadres supérieurs et professions intellectuelles supérieures représentent 69 % des effectifs de l’ENA (contre 4,5 % pour les ouvriers), 63 % des effectifs de l’École polytechnique (contre 1,3 %), 53 % des effectifs des Écoles normales supérieures (contre 4,5 %), 52,4 % des facultés de médecine/odontologie (contre 5,5 %), 52 % des écoles de commerce, de gestion et de comptabilité (contre 4 %), 49 % de pharmacie (contre 8 %) 46,5 % des écoles d’ingénieurs (contre 6 %), 45,5 % des écoles artistiques, d’architecture et de journalisme (contre 8 %), 34 % de l’université (contre 12 %) alors qu’ils ne pèsent que 15 % de la population active (22 % pour les ouvriers) (voir Graphique 3). Ces taux sont par ailleurs d’une étonnante stabilité au fil des ans, alors même que la structure de l’origine sociale des étudiants s’est profondément modifiée ces dernières décennies.
Accéder aujourd’hui à ces fameuses institutions conduit plus que jamais aux positions sociales prestigieuses et aux postes de commande économique et de pouvoir politique. De fait, des classes préparatoires aux grandes écoles elles-mêmes, le système est sous contrôle. L’appareil central de production et de reproduction des élites, qui s’appuie sur le diptyque des classes préparatoires (principalement publiques) et des grandes écoles (privées pour presque toutes les écoles de commerce et une majorité d’écoles d’ingénieurs), est bien huilé. La critique de Bourdieu et Passeron dans les années 1960 ou dans La Noblesse d’État (1989) a été bien digérée par le système et a pu même être habilement récupérée si l’on pense à la réforme de « démocratisation » (dite Descoings) de Sciences-Po Paris qui occupe, avec HEC, le sommet de la reproduction sociale en France [9].
Il est ainsi frappant que la très forte expansion des effectifs étudiants du premier cycle au cours de ces 30 dernières années ait laissé comme intact et pur ce noyau dur - ce cristal scolaire - des classes préparatoires. Au total, moins de 7 % d’une classe d’âge, triés sur le volet dans toute la France, avec, pour finir, une sélection sociale qui n’en finit pas de se confirmer et de perpétuer la croyance en une différence d’essence des heureux élus. 50 % d’enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures dans les classes préparatoires aux grandes écoles, 10 % d’employés, 7 % d’enfants d’ouvriers, 6 % des bacs technologiques, 0 % des bacs professionnels, tels sont les chiffres. On ne peut qu’être frappé par la capacité qu’ont eue les membres des classes dominantes à assurer cette fermeture sociale des grandes écoles, comme si l’essentiel avait consisté à maintenir solidement les hiérarchies dans un contexte marqué, ces 20 dernières années, par un fort accroissement de la compétition des titres scolaires. La « marque » X (Polytechnique), HEC ou ESSEC, Sciences-Po, Agro, Véto, etc., continue d’assurer en France aux titulaires de ces diplômes une rente professionnelle et sociale à vie.
En dépit de la situation dominée de l’université française, il faut dire pourtant, contre tous les prophètes de malheur, que l’institution universitaire n’a pas démérité. Elle a permis, et permet toujours, de faire accéder en nombre ces enfants de la démocratisation universitaire (tous n’ont pas été de bons élèves au lycée, mais certains deviennent de bons étudiants ensuite) au niveau master, avec généralement d’excellents taux d’insertion dans l’emploi [10], conduisant bon nombre dans des métiers de « profession intermédiaire » et dans des positions sociales de classes moyennes.
Il importe d’autant plus de le dire dans le contexte actuel où l’idéologie dominante en la matière dévalorise systématiquement l’université comme un lieu d’échec, de vacuité, d’idéologie ou d’inanité professionnelle. La vérité est autre : si l’on excepte le cas de la première année [11], l’université forme des centaines de milliers de jeunes d’horizon divers, leur délivre des diplômes (DU, Licences, Masters 2, etc.) qui, pour l’essentiel, leur permettent d’entrer sur le marché de l’emploi dans des conditions honorables (Hugrée 2010). On peut aussi évoquer les potentiels bénéfices en cascade, intergénérationnels, que produisent ces accès plus nombreux d’étudiants de première génération à des niveaux d’études et de savoirs plus élevés. Non seulement leur destinée socio-professionnelle en tire avantage, mais ils trouvent aussi là le moyen de forger des dispositions cognitives et éducatives susceptibles d’agir « dans un sens favorable aux performances scolaires de leurs enfants » (Coulangeon, 2011, p. 81).
Un lieu de production et de formation à la recherche
Rien n’interdit pourtant d’imaginer des perspectives différentes pour l’université. Encore faut-il proposer une juste évaluation des rapports de forces en présence. L’université doit rester un lieu de production et de formation à la recherche. En premier lieu, il faut rappeler que le rôle de formation à la recherche ne peut être pris en charge par les seules grandes écoles - du moins pas à un niveau qui permettrait de continuer à faire de la France l’un des principaux acteurs mondiaux de la recherche fondamentale. Il y a, au moins sur ce point, une contradiction interne à la rhétorique du gouvernement ; d’un côté, celui-ci promeut l’excellence de la France dans la compétition internationale et entend motiver par cet objectif cette réforme de l’université et, de l’autre, il diminue (par-delà les annonces d’augmentation) de près de 10 %, comme le montre très bien Thomas Piketty, la dépense par étudiant dans l’enseignement supérieur (voir Graphique 4).
En second lieu, les savoirs de la recherche, ses postures, ses outils d’analyse et d’objectivation valent et sont attendus bien au delà du monde académique, attestant d’un haut niveau de formation, décisif dans la place que la société et l’économie françaises occupent dans le monde. De ce point de vue, il est nécessaire de contester la voie étriquée dans laquelle nous enferme l’injonction à la professionnalisation [12] quand celle-ci, supposée utile et en phase avec le réel, est opposée aux savoirs et outils de la recherche. Former à la recherche et par la recherche, c’est professionnaliser, c’est-à-dire donner à des individus des outils pour penser et agir dans l’emploi, découvrir, transformer, mettre en problème, inventer.
Il faut à cet égard desserrer l’étau administratif et institutionnel dans lequel sont de plus en plus pris les enseignants-chercheurs [13] et redonner du temps de recherche à l’université. C’est un choix de société. D’un côté, les personnels administratifs et techniques doivent être démultipliés pour permettre aux enseignants-chercheurs de se recentrer sur leurs missions régaliennes : la formation et la recherche. D’un autre côté, on ne peut demander à l’université d’accueillir des milliers d’étudiants aux trajectoires scolaires et sociales et aux compétences scolaires hétérogènes sans augmenter massivement ses taux d’encadrement. Soit il faut renoncer à l’enseignement supérieur de masse, soit il faut se donner les moyens d’encadrer temporellement et cognitivement tous ces étudiants. Il n’y a pas, de notre point de vue, d’autre voix que cette seconde solution. La voie politique d’une sous dotation de nos universités dans laquelle semblent vouloir persister nos gouvernants atteste à l’évidence d’une absence de souci du bien commun, lorsque l’on sait l’importance des universités dans la production et le développement de la connaissance, et la place d’un pays dans le concert des nations.
L’université des années 1950 pouvait fonctionner par connivence culturelle, avec des amphithéâtres de 500 étudiants, dans la séduction des hauteurs et de la distance de la parole magistrale. Ce mode de communication présuppose la connivence, car il repose sur l’éloignement spatial et social des enseignés et de leurs enseignants. Ce qui faisait la séduction hier se traduit souvent aujourd’hui par du découragement ou de l’incompréhension. De ce point de vue, il faudrait indexer des niveaux inégaux de dotations budgétaires des différentes universités et filières à la composition sociale et scolaire de leurs publics. Les filières et les établissements qui accueillent les étudiants les moins pourvus socialement et scolairement devraient être mieux dotés que les autres. D’un autre côté, un très grand nombre d’étudiants, et d’abord dans les filières à faible visibilité sociale et professionnelle, occupent un emploi, souvent pour financer les études, au point parfois d’en être purement et simplement détournés. Michel Verret l’a bien montré dans sa thèse sur Le temps des études (1975) : le temps des études suppose la délégation matérielle et la remise de soi qui, seules, rendent possible la concentration sur des enjeux scolaires et l’exercice de la scholè, c’est-à-dire la concentration sur l’apprentissage scolaire qui, par définition, relève d’une activité improductive. Quand certains étudiants disposent de la totalité de leur temps disponible pour le consacrer aux études, d’autres doivent le partager avec un emploi et à des fins reproductives. Cette inégalité fondamentale doit être, elle aussi, abolie par l’augmentation très significative des bourses étudiantes et, pourquoi pas, l’instauration d’un salaire étudiant pour les moins dotés (Casta, 2017). Ce système existe déjà dans certaines grandes écoles dont les étudiants, c’est-à-dire ceux qui sont déjà plus dotés, sont rémunérés. L’un des enjeux de l’université à (re) construire réside sûrement dans l’invention des moyens institutionnels qui lui permettraient de s’imposer comme une force d’entraînement, capable de mettre et de maintenir au travail les étudiants académiquement les moins autonomes. L’université doit, plus que jamais, demeurer le lieu de la formation de l’esprit critique et de la culture savante. Elle doit être universaliste et ne peut être subordonnée aux seuls impératifs du marché de l’emploi et de l’opérationnalité immédiate. Car c’est bien de là, d’abord, que viennent les problèmes qui nous occupent. Les mauvais chiffres du chômage chez les jeunes Français en phase d’insertion servent trop souvent à mettre injustement en cause une formation universitaire, accusée d’être éloignée des réalités professionnelles, alors qu’ils sont avant tout la conséquence d’un marché du travail atone et d’un manque de places. Le chapeau de la crise ne saurait être porté par le seul système scolaire et universitaire, ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas sans faiblesses ou mêmes failles.
Au fond, la loi ORE - tant sur sa forme, brutale, que sur le fond - procède essentiellement d’un regard d’en haut sur l’université qui est lui-même intimement lié à l’« élitisme républicain » (Baudelot, Establet, 2009) dont on peut souligner qu’il imprègne de part en part les premiers mois de la Présidence Macron. La priorité est accordée à la promotion de filières d’excellence comme fer de lance de la start up nation qui se conjugue avec l’abandon de toute conception progressiste et démocratique de l’université.
La mise en place de la loi ORE ne manquera pas, à terme, d’avoir de profonds effets structurels, déjà inscrits dans la loi LRU (2007) : une nouvelle hiérarchisation des universités et des filières, une tendance à leur polarisation, sans compter un sérieux coup de pouce pour le secteur privé du supérieur qui pourrait s’engouffrer un peu plus [14] dans les brèches ouvertes par le flou institutionnel (voir Graphique 5) et les très probables, et durables, dysfonctionnements de l’usine à gaz qui s’annonce dans ce secteur stratégique de la première année post-bac, à l’université.
Sans compter que cette réforme du premier cycle universitaire, en instaurant une sélection à l’entrée de l’université, feint de ne pas voir deux processus essentiels qui lui sont associés. D’une part, sa mise en œuvre pratique a de fortes chances de finir de détruire l’investissement dans leur métier de personnels administratifs sous-payés et d’enseignants-chercheurs soumis à rude épreuve depuis la mise en place de la LRU, devant faire face à une criante pénurie de moyens. D’autre part, cette réforme, en rompant avec la fonction sociale objectivement assignée depuis 30 ans au premier cycle universitaire - celle d’amortisseur social de la crise, de régulation de la longue transition professionnelle des bacheliers « moyens » - ne dessine aucune perspective d’avenir aux futurs refusés à l’entrée de l’université. Parce que cette réforme fait payer aux nouveaux étudiants les conséquences de politiques d’ouverture inconséquentes, jamais accompagnées ni assumées jusqu’au bout, cette politique de sélection à l’entrée dans l’université ne débouche, pour eux, sur aucun autre horizon que celui du précariat et de la galère.
– Baudelot Christian, Establet Roger, L’école capitaliste en France, Maspéro, 1971.
– Baudelot Christian, Establet Roger, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, Seuil, coll. « La république des idées », 2009.
– Beaud Stéphane, 80 % au bac… et après : Les enfants de la démocratisation scolaire, La Découverte, 2002.
– Beaud Stéphane, « »La fac, c’est moins pire que je croyais !« . Sur certaines contradictions de l’université d’aujourd’hui », La Revue du Mauss, 2006/2, p. 323-333
– Beaud Stéphane, Pialoux Michel, Les bacs pro à l’université. Une quête de réparation sociale ? Rapport au MEN, 2001.
– Bodin Romuald, Orange Sophie, L’université n’est pas en crise. Les transformations de l’enseignement supérieur : enjeux et idées reçues, Croquant, 2013.
– Bodin Romuald, Millet Mathias, « L’université, un espace de régulation. L’ »abandon« dans les premiers cycles à l’aune de la socialisation universitaire », Sociologie, vol. 2 (3), 2011, p. 225-242.
– Bourdieu Pierre, Passeron Jean-Claude, La reproduction. Élément pour une théorie du système d’enseignement, Minuit, 1970.
– Bourdieu Pierre, La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Minuit, 1989.
– Casta Aurélien, Un salaire étudiant. Financement et démocratisation des études, La Dispute, 2017.
– Chauvel Louis, « La seconde explosion scolaire : diffusion des diplômes, structure sociale et valeur des titres », Revue de l’OFCE, n° 66, 1998.
– Convert Bernard, « Des hiérarchies maintenues : espace des disciplines, morphologie de l’offre scolaire et choix d’orientation en France, 1987-2001 », Actes de la recherche en sciences sociales, 149 (4), 2003, p. 61-73.
– Coulangeon Philippe, Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui, Grasset, « Mondes vécus », 2011.
– Durkheim Émile, L’Évolution pédagogique en France, Puf, 1990.
– Hugrée Cédric, « Les classes populaires et l’université : la licence… et après ? », Revue française de pédagogie, 167, 2009, p. 47-58.
– Hugrée Cédric, « Le Capes ou rien ? Parcours scolaires, aspirations sociales et insertions professionnelles du »haut« des enfants de la démocratisation scolaire », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 183, 2010, p. 72-85.
– Lahire Bernard, « Les manières d’étudier », Cahiers de l’OVE, La documentation française, 1997
– Millet Mathias, « Milieux populaires (Scolarisation des élèves des) », in Agnès Van Zanten ; Patric Rayou (dir.) Dictionnaire de l’éducation, Presses universitaires de France, 2017, p. 606-612.
– Millet Mathias, Moreau Gilles, La société des diplômes, La Dispute, 2011.
– Piketty Thomas, « Budget 2018 : la jeunesse sacrifiée », consulté le 3 février 2018.
– Rochex Jean-Yves, « Échec scolaire et démocratisation : enjeux, réalités, concepts, problématiques et résultats de recherche », Revue suisse des Sciences de l’Éducation, n° 2, 2002, 339-356.
– Soulié Charles, « L’adaptation aux »nouveaux publics« de l’enseignement supérieur : auto-analyse d’une pratique d’enseignement magistral en sociologie », Sociétés Contemporaines, n° 48, 2002.
– Terrail Jean-Pierre, « Réussite scolaire : la mobilisation des filles », Sociétés contemporaines, n° 11-12, 1992, p. 53-89.
– Verret Michel, Le temps des études (Thèse de sociologie soutenue à Paris V, 1970), Champion, 1975.
Pour citer cet article :
Stéphane Beaud & Mathias Millet, « La réforme Macron de l’université »,
La Vie des idées
, 20 février 2018.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr./La-reforme-Macron-de-l-universite
Nota bene :
Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.
[1] Bien sûr, il faut rappeler que ce principe a déjà été largement mis à mal par les précédentes procédures comme le tirage au sort, pratiqué, il faut le dire, à cause du manque de moyens bien plus qu’en raison de dysfonctionnement d’APB. Mais Parcoursup franchit un pas décisif, qui marque une volonté politique claire de rompre avec le principe du baccalauréat comme premier grade universitaire et le principe d’égalité des chances.
[2] On distingue généralement une première explosion scolaire, située entre les années 1950 et 1970, et une seconde explosion scolaire plus tardive, à partir des années 1985 et 1995. La première est pour l’essentiel le résultat de politiques de scolarisation volontaristes ayant œuvré au report de l’âge limite de scolarité obligatoire et à l’unification au sein d’un cursus commun des scolarités de niveau collège. Elle voit ainsi venir massivement les élèves d’origine populaire au collège. Ces changements attestent d’une forte croissance de la durée de scolarisation dans les milieux populaires, qu’une seconde explosion scolaire (années 1985-95), touchant cette fois les lycées et à un moindre niveau le supérieur, vient amplifier. Le sens de cette seconde explosion scolaire est néanmoins assez différent de la première. Si on la doit aux politiques de « démocratisation scolaire » (objectif d’amener 80 % d’une génération au « niveau bac » [1989], création des lycées et bacs professionnels [1985]), elle est aussi liée à la montée d’une préoccupation scolaire (Terrail, 1992) dans les milieux populaires, c’est-à-dire à la conscience de l’importance croissante de l’école et d’un chômage endémique frappant les moins diplômés. La part des diplômés de l’enseignement supérieur parmi les enfants des milieux populaires nés après 1970 s’accroît au point que l’on assiste à la naissance des premières générations d’étudiants au sein des milieux populaires. Le fait est d’autant plus remarquable que ces détenteurs d’un diplôme du supérieur devancent désormais la part de ceux qui, dans ces générations, détiennent un CAP ou un BEP (Hugrée, 2009). Pour les enfants de milieux populaires, l’enseignement supérieur n’est plus un destin scolaire improbable (pour une synthèse chiffrée de ces évolutions, voir Millet, 2017).
[3] Dans des conditions et à des niveaux d’effectif néanmoins bien différents pour les STS.
[4] En 2000, la répartition d’une classe d’âge selon le type de bac obtenu était la suivante : 33 % de bacs généraux, 18,5 % de bacs technologiques, 11,5 % de bacs professionnels. En 2016, elle était de 40,5 % (+ 7,5 %) de bacs généraux, 16 % (-2,5 %) de bacs technologiques, 22,5 % (+ 11 %) de bacs professionnels (MEN-MESRI-DEPP, RERS 2017).
[5] L’état de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, n° 10, avril 2017, p. 26.
[6] +17 000 pour les STS, + 16 000 pour les CPGE, - 3000 pour les IUT sur la même période. Cet accroissement des effectifs universitaires est encore de 430 000 unités depuis 1990, 57 000 pour les STS, et 22 000 pour les CPGE (ibid.).
[7] En 2016, 52,4 % des personnes actives âgées de 15 ans ou plus, dépourvues de diplôme ou détentrices d’un CEP ou brevet, et ayant achevé leur formation initiale depuis 1 à 4 ans sont au chômage. Ce pourcentage tombe à 25,5 % pour les détenteurs d’un CAP, BEP ou d’un baccalauréat, et à 11 % pour les diplômés d’un niveau bac + 2 ou plus (INSEE, enquête Emploi). Par ailleurs, il est possible de montrer que le surcroît de chômage depuis 2008/2009 a été quasi intégralement absorbé par les non-qualifiés : « Depuis le milieu des années 2000, le taux de chômage des diplômés du supérieur a diminué alors que celui des peu qualifiés, hormis un léger recul en 2008, a fortement augmenté, creusant encore les inégalités. La forte progression du chômage amorcée depuis 2009 a particulièrement frappé les non-diplômés : leur taux de chômage est passé de 12,7 % en 2008 à 17,1 % en 2012. Au total, le taux de chômage des non-diplômés était 2,2 fois supérieur à celui des diplômés du supérieur, le rapport va aujourd’hui de 1 à 3. » (L’observatoire des inégalités, 2015.)
[8] La dépense moyenne par étudiant était en 2015 de 15 100 € en CPGE (en augmentation par rapport à 2013) contre 10 100 à l’université (en baisse par rapport à 2013) (MEN-MESRI-DEPP, Repères et références statistiques, Évolution du prix moyen par élève et par étudiant, 2017).
[9] Dans son travail sur l’espace social de l’enseignement supérieur, Bernard Convert montre que dans la constellation des grandes écoles françaises, Sciences-Po Paris et HEC se livrent à la plus forte sélection sociale, et Sciences-Po Paris à la plus faible sélection scolaire, relativement à d’autres comme l’ENS et l’École polytechnique (Convert, 2003).
[10] En 2013, 30 mois après leur sortie du système de formation, 90 % des diplômés de master sont en emploi, 92 % en Droit-Économie-Gestion, 86 % en SHS (MEN-MESRI-DEPP, RERS 2017).
[11] Nous ne sous-estimons pas la question dite de « l’échec en première année » d’université. Celle-ci est souvent mal posée et mériterait à elle seule une longue analyse. Il se trouve que nous l’avons étudiée dans nos travaux respectifs (voir la bibliographie), si bien que nous ne pouvons pas nous reconnaître dans la forme de fatalisme sociologique qui voudrait que la réussite en L1 soit réservée aux seuls bons bacs généraux. Bien d’autres paramètres entrent ici en jeu.
[12] Il ne s’agit pas de contester la nécessité qu’il y a à former professionnellement les étudiants, mais d’affirmer que les termes dans lesquels cette professionnalisation est enjointe témoignent d’une conception étroitement adéquationniste et idéologique de la formation professionnelle. L’impératif de professionnalisation passe en effet de plus en plus souvent par la subordination des savoirs universitaires à l’idée de compétences immédiatement opérationnalisables sur le marché du travail et aux logiques de marché.
[13] Il ne faut pas être grand clerc pour établir le diagnostic d’une forte dégradation des conditions de travail des universitaires depuis une quinzaine d’années. Beaucoup de collègues ont chaque jour le sentiment de ne plus pouvoir faire face à l’ensemble de leurs missions, de devoir effectuer un travail de prof qui aurait dû être fait plus tôt - grammaire, français, etc. Sans compter l’impression de plus en plus tenace que leur travail de chercheur n’est pas considéré à sa juste valeur. Il y a bien là un état général de grande lassitude et d’épuisement du personnel dans la plupart des universités, avivé par le sentiment d’être aujourd’hui lâchés par les pouvoirs publics. Il y a fort à parier que le sentiment de déclassement multiforme qui touche une partie des universitaires français n’est pas pour rien dans l’émergence possible d’une sorte de majorité silencieuse dans le corps des enseignants-chercheurs : celle-ci semble ne pas désapprouver cette réforme, dire prudemment « ne pas être contre la sélection », exprimant par là le malaise diffus que, de toute façon, « cela ne peut plus continuer comme ça ».
[14] La part de l’enseignement supérieur privé a déjà connu une progression spectaculaire ces dernières années.