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Essai Société

Le handicap dans la cité


par Pierre-Yves Baudot & Emmanuelle Fillion , le 30 mars 2021


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Accès au logement, à l’emploi, à l’éducation, à la culture : le handicap structure les chances sociales des individus. Loin des appels aux bonnes volontés, à « changer le regard », c’est en comprenant la construction politique du handicap qu’on pourra envisager des alternatives désirables.

Ce texte constitue l’introduction du livre Le handicap cause politique, qui paraît aux Puf/Vie des idées le 31 mars 2021.

Le tableau noir du handicap

L’étendue des inégalités et discriminations vécues par les personnes concernées se donne à voir en quelques chiffres. En 2016, moins d’un quart des enfants en situation de handicap (contre presque 100 % des enfants non handicapés) accédait au CM2. En dépit des politiques d’inclusion scolaire, le nombre d’enfants scolarisés en établissements médico-sociaux reste stable de 2004 à 2017 (environ 70 000). En 2018, seuls 34 553 étudiants handicapés sur 2,7 millions d’étudiants étaient recensés dans l’enseignement supérieur [1]. Aucune statistique publique ne recense le nombre d’enfants handicapés entre 6 et 16 ans non scolarisés, estimés à plusieurs milliers lors de la rentrée 2020.

Le taux de chômage des travailleurs reconnus handicapés est presque le double de celui de la population générale. Les retraites sont également moins favorables, les personnes handicapées accédant à des emplois moins qualifiés, étant plus souvent et plus longtemps au chômage et moins en mesure d’avoir des carrières complètes. Une seule étude des niveaux de vie des personnes handicapées a été publiée en 2017 sur des données de 2010 [2] : si l’on considère toutes les personnes qui déclaraient soit une reconnaissance administrative du handicap, soit une ou plusieurs limitations, même « légères », leur niveau de vie médian annuel était de 18 500 euros, contre 20 500 euros pour l’ensemble des adultes de 15 à 64 ans. Le niveau de vie médian des personnes qui ne déclaraient qu’une limitation légère, était de 19 700 €. A contrario, les personnes ayant une reconnaissance administrative et une limitation sévère avaient un niveau de vie médian de 14 800 € et le revenu maximal des 25 % les plus pauvres était de 11 500 €.

Le vieillissement des personnes handicapées est plus précoce et elles meurent aussi plus jeunes, quoique leur espérance de vie augmente globalement depuis plusieurs décennies. La crise sanitaire du COVID19 du printemps 2020 a confirmé ces inégalités de santé.

Ces données statistiques reflètent le vécu des personnes concernées. Dans son dernier rapport, le Défenseur des Droits indique que le handicap est le premier motif de saisine pour discrimination.

Entrer dans une salle de cinéma lorsque l’on est en fauteuil suppose souvent d’être portée par ses amies ou par le personnel ; si faire ses courses dans un supermarché avec son chien lorsque l’on est aveugle est un droit, des responsables de magasin mal informés peuvent s’y opposer ; se déplacer, c’est se confronter à des stations de métros inaccessibles ou aux horaires contraignants des transports spécialisés, être en butte à une signalétique peu lisible ou peu compréhensible. Les personnes handicapées pour lesquelles une aide humaine est nécessaire doivent composer avec l’intrusion dans leur intimité, la manipulation de leur corps, la disponibilité du travail de care, la dignité des acteurs et actrices de cette relation, que l’aidant soit professionnel.le ou membre du cercle familial, salarié.e ou non. Cette réalité fait obstacle à la participation sociale et à l’accès à une citoyenneté « à égalité avec les autres ».

Comme le montrent Michelle Maroto et David Pettinichio [3], les personnes handicapées sont structurellement désavantagées. Cela ne signifie pas qu’elles sont misérables, ni que leur vie est tragique, loin s’en faut, mais cela implique un travail additionnel, spécifique et constant pour endiguer les déséquilibres, réduire les asymétries, déjouer la production des inégalités. Or cet état de fait est lié à l’organisation de nos sociétés, qui privilégient de fait les valides, et à des (non-)décisions politiques.

L’action publique ne parvient pas – voire renonce – à corriger ces inégalités. Le manque d’accompagnantes [4] (comme leur manque de formation ainsi que les quotités horaires attribuées) des élèves en situation de handicap ne permet pas d’actualiser pleinement leur droit à une scolarité ordinaire : un tiers d’entre eux sont en réalité à l’école à temps partiel [5]. En matière d’accessibilité, différents décrets ont rabattu les ambitions de la loi de 2005 : ainsi, la loi ELAN de 2018 réduit l’obligation de construction de logements accessibles de 100 % à 20 %. Les personnes directement concernées trouveront plus difficilement un toit et seront aussi plus souvent empêchées de se rendre chez leurs proches.

Ces barrières structurelles sont occultées quand elles sont ramenées à des choix individuels. Ce qu’il faut de travail en plus pour une personne avec des difficultés d’élocution, par exemple, pour intervenir dans une assemblée publique qui n’aurait rien prévu pour faciliter sa participation est le plus souvent invisible. Les conditions restrictives d’accès aux lieux de séduction et aux techniques de contraception ou de procréation médicalement assistée entravent la vie affective, sexuelle et la parentalité. Mais ces questions peuvent-elles être qualifiées de privées alors que les personnes handicapées – spécialement les femmes – ont fait longtemps l’objet d’un eugénisme plus ou moins assumé et qu’elles sont plus fréquemment des victimes ignorées d’abus sexuels ?

Ces asymétries s’étendent à l’ensemble des domaines de la vie sociale : relationnelles, éducatives, économiques, juridiques, culturelles, de santé, etc. Ces multiples discriminations, cumulées et intersectionnelles [6], marquent la biographie des personnes handicapées, traversée par des questions politiques, mais rarement formulées comme telles.

La longue histoire de la charité

Pour comprendre les ressorts de ces inégalités, un retour sur l’histoire des politiques du handicap s’impose. En France comme ailleurs, le handicap a été longtemps un objet de charité [7]. Tout au long de l’Ancien Régime et au-delà, les « infirmes » furent identifiés comme des « pauvres méritants » [8] (Castel, 1995), incapables de travailler et pouvant à ce titre bénéficier de la charité. La Révolution française a marqué un tournant en affirmant la responsabilité et le devoir de l’État et en créant des dispositifs publics de secours (comité de mendicité, bureaux de bienfaisance…). Ceux-ci perdurèrent au XIXe siècle, se greffant sur des formes traditionnelles de solidarités primaires et de charité chrétienne.

La « bienfaisance publique » n’a jamais tout à fait rompu avec un traitement assistantiel. Tout au long du XXe siècle, l’État français a cantonné les politiques du handicap au domaine des « politiques sociales », à l’écart du droit commun. Jusqu’à la toute fin du XXe siècle, le handicap fut pensé comme un ensemble de « faiblesses, des servitudes particulières par rapport à la normale » [9]. La première loi sur le handicap adoptée en 1975 proposait bien un projet intégrateur, mais pour des populations « à part », porteuses d’un stigmate. Certes, la puissance publique s’est de plus en plus engagée, structurant et finançant le secteur médico-social. Mais elle n’a pas complètement assumé son pouvoir de tutelle, préférant en déléguer la mise en œuvre au secteur associatif. Les associations de personnes handicapées et de leurs parents sont souvent devenues des gestionnaires d’établissements financés par l’État pour accueillir des individus administrativement reconnus handicapés et – à ce titre – bénéficiaires des politiques sociales.

À la différence de la France, le mouvement handicapé aux États-Unis s’est pour partie inscrit dans les luttes pour les droits civiques des afro-américains, des féministes, des gays et lesbiennes, dans les années 1970-80 : il s’est construit essentiellement contre les discriminations. Les revendications pour l’auto-représentation (« Nothing about us without us ») et contre la charité («  Piss on Pity » ou « We had your pity, we want our rights »), le répertoire de l’action directe (s’allonger devant des bus inaccessibles, gravir les marches du Capitole…), ont engagé les mobilisations dans une lutte explicitement politique. Cet activisme est inséparable du développement des disability studies qui se sont opposées à l’approche médicale du handicap par la déficience et l’incapacité des individus, pour se centrer sur la façon dont la société produit le handicap. Le « modèle social » est devenu un concept académique et une arme de mobilisation politique. Il a permis aux personnes concernées de se définir comme une « minorité politique » réunie par une même oppression validiste, dans une société construite par et pour des personnes sans déficience ni limitation, qui présuppose comme allant de soi la norme d’un individu valide et bien-portant. Ces mobilisations ont abouti à la reconnaissance de politiques formulées en termes de « droits à » (des minimas sociaux, à des aides humaines et techniques, etc.) et de droits humains fondamentaux à égalité avec les autres [10].

La France est longtemps restée en marge de ce mouvement mondial. Malgré des évolutions depuis le début des années 2000, on y observe un assez faible niveau de mobilisation politique des personnes handicapées. Ce n’est qu’à l’aube du XXIe siècle que le référentiel des droits et des revendications politiques identitaire et égalitaire s’y est imposé [11]. Le titre de la loi de 2005 « pour l’égalité des chances, des droits, la participation et la citoyenneté » témoigne de ce renversement conceptuel. Mais celui-ci est récent et vient se superposer au modèle assistantiel sans s’y substituer [12].

La dépolitisation au carrefour de trois logiques

Trois éléments principaux peuvent rendre compte de cette dynamique de dépolitisation : la structuration du champ associatif en France, la logique de l’activité politique et enfin les outils conceptuels à disposition pour penser le handicap.

Aujourd’hui, les collectifs de personnes handicapées en France ne se focalisent plus sur le seul traitement social du handicap et revendiquent une participation politique « à égalité avec les autres ». Le secteur associatif est associé en amont aux décisions via un système de concertation formalisé (le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées – CNCPH), mais aussi informel, aux niveaux local et national. La puissance publique exerce néanmoins un contrôle croissant, sur le plan financier et procédural : le secteur associatif est ainsi pris dans un maillage réglementaire dense, tout en se plaçant au cœur de la concertation. Cette participation croisée lui donne des capacités d’agir, mais diminue la conflictualité acceptable par les parties prenantes, comme en témoigne les recours limités au juge analysés par Aude Lejeune [13]. Ce consensus dépolitisé limite l’émergence d’alternatives à l’action gouvernementale et de problématiques nouvelles (comme la sexualité, qui clive ces associations). Cette co-construction et le consensus relatif à l’État-Providence expliquent en partie que la France soit restée longtemps à distance de l’activisme militant, même si des mobilisations politiques se structurent aux marges de cet espace de production des politiques publiques.

La structuration du champ associatif par groupes de déficiences (motrices, intellectuelles, psychiques, sensorielles) freine aussi les mobilisations transversales. Les dilemmes entre défense de la spécificité du handicap et élargissement de la coalition à d’autres associations et causes voisines, illustre cette difficulté qu’ont donné à voir les conflits autour de la reconnaissance de pathologies dans le champ du handicap : l’autisme, les « troubles dys », les troubles de déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH).

Comme d’autres causes, le handicap peut cliver fortement à l’intérieur même des organisations politiques. Les politiques de care en donnent une bonne illustration. L’Independent Living Movement, fer de lance des protestations des années 1970, revendiquait une assistance à la vie sociale la plus complète possible, mais sans en anticiper les effets sur les conditions de travail des pourvoyeuses de care. Selon que la focale est davantage placée sur la personne handicapée ou sur la professionnelle qui l’accompagne, la formulation des revendications affecte les chances d’alliances politiques et clive les forces de gauche. Or, quand la mise à l’agenda du handicap devient improbable, l’arène tend à se déplacer du Parlement, des partis et des tribunes politiques, vers le secteur marchand. Les entreprises s’appuient alors sur les revendications des personnes concernées pour promouvoir les « services à la personne » et inciter l’État à se défaire de ses obligations vis-à-vis du secteur médico-social, comme le montre Karen Soldatic [14].

La difficulté tient enfin à l’essoufflement du modèle social du handicap. Deux éléments contradictoires sont ici en cause. D’une part, le modèle social peut paraître victime de son succès. Porté par les mobilisations handicapées depuis une quarantaine d’années, il est partiellement traduit dans de nombreuses législations nationales et supranationales, comme la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées, signée à l’ONU en 2006 et ratifiée par la France et l’Union Européenne en 2010. L’action publique, en France comme à l’étranger, affiche les préconisations du modèle des droits, mais sans pleinement les mettre en œuvre. D’autre part, le concept de modèle social semble avoir atteint ses limites, du moins tel qu’il avait été défini dans les textes fondateurs des disability studies [15]. Construit en opposition à toute approche médicale du handicap, il a été critiqué, notamment parce qu’il faisait disparaître les corps et les expériences derrière l’idéal d’accessibilité. Des travaux ont complexifié depuis les modèles, notamment le concept de processus de production du handicap [16]. Mais cette attention fine à la diversité des situations, aux interactions, à leur réversibilité, a pour prix de les rendre non pas moins politiques, mais moins aisément politiquement appropriables et partageables.

Ce « modèle social » est aussi une construction historique dont la cible bouge parfois plus vite que ses archers. Dénoncées comme lieux de relégation et de maltraitance, les institutions spécialisées se sont transformées au fil d’évolutions législatives depuis vingt ans dans le champ de la santé. « L’institution totale » [17] comme instrument assumé du contrôle social n’est plus aussi présente. S’il n’y a pas eu en France de « désinstitutionnalisation », comme le déplore la rapporteuse mandatée par l’ONU, on constate un processus de « détotalisation », d’individualisation du soin et de promotion d’une figure de l’usager citoyen. Des solutions expérimentales sont soutenues par les pouvoirs publics. Les établissements accueillant des personnes handicapées sont incités à accompagner les personnes handicapées en milieu « ordinaire », comme le proposent par exemple les Instituts Médico-Éducatifs (IME) dits « hors les murs » qui scolarisent des enfants handicapés dans les écoles ou collèges de quartier ou les Établissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT) qui organisent le travail protégé au sein d’entreprises, d’associations ou de collectivités locales. Des habitats dits « partagés » ou « inclusifs » proposent aussi aux personnes handicapées des alternatives à l’hébergement en institution via des logements adaptés en ville. Mais ces initiatives peinent à échapper à leur statut d’innovations singulières et à trouver des financements pérennes.

Enfin, le mot d’ordre de la « société inclusive » adopté dans une apparente unanimité tend encore à couper l’herbe sous le pied au travail critique. Catégorie qui ne désigne rien de précis, l’inclusion peut donner naissance à des politiques très différentes. S’adresse-t-elle à tous les types et degrés de sévérité de handicaps ou uniquement aux personnes handicapées les plus facilement « éducables » et employables ? Désigne-t-elle une transformation en profondeur des pratiques et des organisations sociales permettant, sans surcoût financier et symbolique pour l’individu handicapé, une participation pleine et entière à la vie de la cité, ou soutient-elle le développement d’emplois précaires de services d’aide à la personne, sans remise en question de l’engagement de la collectivité ? Derrière cette injonction avec laquelle personne ne peut vraiment être en désaccord se cachent des questions complexes de mise en œuvre. Or le diable se niche dans les détails, sur lesquels il est bien plus ardu de mobiliser et de publiciser les controverses.

Pourtant, aussi dépolitisé soit-il, le handicap interroge inlassablement les choix de société. Reconnaître la présence des personnes handicapées dans la Cité, engage un travail politique, tant sur la façon dont sont pensés les problèmes sociaux et organisée l’action publique, que dans les rapports de pouvoir à l’œuvre dans les interactions individuelles.

Le handicap comme opérateur de changement politique

Le handicap n’est pas une cause sectorisée, mais une politique transversale qui recouvre aussi bien transports, aménagement du territoire, emploi, santé, éducation, culture, vie politique, économie, justice… Les associations le répètent à l’envi : agir pour l’inclusion des personnes handicapées permet de renouveler et de dynamiser la participation sociale de tous. La vélotypie, à savoir la saisie d’un discours et la visualisation immédiate de sous-titres, facilite le suivi des prises de parole dans une réunion, y compris pour les entendants ; le plancher surbaissé des bus facilite la vie des personnes âgées et des parents accompagnant leur enfant en poussette... Et cela va plus loin, car – comme le montre Myriam Winance [18] – l’accessibilité ne consiste pas seulement à ouvrir les portes d’espaces confinés, elle suppose de repenser la notion d’usage, les interactions de l’individu avec son environnement, physique et social. L’arrivée d’étudiant.e.s handicapés dans les universités reconfigure les modalités de transmission des savoirs, de même que les élèves sourds des premiers niveaux de scolarité incitent leurs camarades à signer en même temps qu’ils apprennent à parler. Les designs de recherche évoluent pour permettre aux personnes concernées de participer à la production des savoirs les concernant, modifiant les conditions de production de ces données, la position des acteurs impliqués, et les modalités de restitution et de valorisation des résultats.

Le handicap cause politique (Vie des idées/Puf, 2021) propose d’explorer différentes questions ou objets où le handicap se révèle comme cause politique. Les deux premiers chapitres proposent une mise en perspective sur la base de travaux anglo-saxons qui éclairent les enjeux actuels de la situation française. Michelle Maroto et David Pettinicchio analysent le cas nord-américain et montrent que le handicap combine pauvreté, inégalités de genre, ségrégations liées aux « origines ethniques » ou à l’âge, révélant ainsi tout l’intérêt d’une approche intersectionnelle, point aveugle qu’il est urgent de documenter en France. Karen Soldatic analyse l’exemple australien et montre le handicap comme un poste avancé permettant de voir les effets de politiques néolibérales poussées à leur paroxysme.

Les trois chapitres suivants éclairent plus spécifiquement la situation française. Myriam Winance y traite de la question cruciale de l’accessibilité, de l’élargissement de sa prise en considération dans la loi de 2005, des limites de sa mise en œuvre et des angles morts, voire des possibles effets contreproductifs, d’un traitement strictement technique de l’environnement. Pierre-Yves Baudot et Marie-Victoire Bouquet expliquent que la mise en accessibilité des élections n’a pas suffi à produire l’inclusion politique effective des personnes handicapées. Aude Lejeune explore enfin la mobilisation du droit via la saisie des tribunaux par les personnes handicapées et leurs collectifs en montrant que les actions en justice façonnent la cause du handicap de façon ambivalente et parfois inattendue.

Le handicap, comme d’autres identités assignées, est un opérateur qui met en question les dominations ordinaires. Il permet de repenser la notion de « normes » : au lieu de l’envisager comme écart à la moyenne, il invite à penser des normes plurielles et évolutives [19]. Aucune organisation ni aucun dispositif ne peut prétendre être totalement inclusif, car les variations des rapports d’un individu avec son environnement, matériel ou social, ne peuvent toutes être envisagées. Mais, loin d’être un facteur d’immobilisme commode face à une « demande infinie » [20], ce constat de l’inachèvement nécessaire des politiques du handicap amène à le concevoir comme un objet fondamentalement politique.

par Pierre-Yves Baudot & Emmanuelle Fillion, le 30 mars 2021

Pour citer cet article :

Pierre-Yves Baudot & Emmanuelle Fillion, « Le handicap dans la cité », La Vie des idées , 30 mars 2021. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./Le-handicap-dans-la-cite

Nota bene :

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Notes

[1Ministère de l’Éducation Nationale et Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche  », 2018, p. 20 et suiv.

[2«  Le niveau de vie des personnes handicapées  », Anais Levieil, Étude et Résultats, n° 1003, Drees, mars 2017.

[3Le handicap cause politique, Puf-Vie des idées, 2021

[4Le féminin générique est employé à chaque fois que des femmes sont majoritaires dans ces emplois.

[5Source : Ministère de l’Éducation Nationale et Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, op. cit.

[6L’intersectionnalité prend en considération les discriminations fondées sur des motifs multiples. Outre les discriminations cumulées (par exemple une femme sur le marché du travail peut être à la fois discriminée en tant que femme et en tant que personne handicapée), l’approche intersectionnelle met en évidence des discriminations particulières (par exemple, une femme handicapée rencontre des obstacles spécifiques dans l’accès aux soins gynécologiques et obstétricaux que ne rencontrent ni les autres femmes, ni les hommes handicapés).

[7Isabelle VILLE, Emmanuelle FILLION, Jean-François RAVAUD, Introduction à la sociologie du handicap : histoire, politiques, expérience, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2020.

[8Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Fayard, 1995.

[9François BLOCH-LAINÉ, De l’inadaptation des personnes handicapées, Rapport au Premier ministre, janvier 1968.

[10Gary ALBRECHT, Jean-François RAVAUD, Henri-Jacques STIKER, «  L’émergence des disability studies : état des lieux et perspectives  », Sciences sociales et Santé, vol. 19, n° 4, 2001, p. 43-73.

[11Pierre-Yves BAUDOT, Anne REVILLARD (dir.), L’État des droits : politique des droits et pratiques des institutions, Presses de Sciences Po, 2015.

[12Myriam WINANCE, Jean-François RAVAUD, Isabelle VILLE, “Disability Policies in France : Changes and Tensions between the Category-based, Universalist and Personalized Approaches”, Scandinavian Journal of Disability Research, 9 (3-4), 2007, p. 160-181  ; Pierre-Yves BAUDOT, «  Le handicap comme catégorie administrative. Instrumentation de l’action publique et délimitation d’une population  », Revue française des affaires sociales, n° 4, 2016, p. 63-87.

[13Le handicap cause politique, Puf-Vie des idées, 2021

[14Le handicap cause politique, Puf-Vie des idées, 2021

[15Michael OLIVER, The politics of disablement, London, Macmillan Education, 1990.

[16Patrick FOUGEYROLLAS, «  L’évolution conceptuelle internationale dans le champ du handicap : enjeux socio-politiques et contributions québécoises  », Pistes, 4-2, 2002.

[17Erving GOFFMAN, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Les Éditions de Minuit, 1968.

[18Le handicap cause politique, Puf-Vie des idées, 2021

[19Myriam WINANCE, «  Handicap et normalisation. Analyse des transformations du rapport à la norme dans les institutions et les interactions  », Politix, 2/66, 2004, p. 201-227.

[20Michel FOUCAULT, «  Un système fini face à une demande infinie (1983)  », Dits et Écrits. Vol. II  : 1976-1988, Gallimard, 2001.

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