Bhopal, Tchernobyl, World Trade Center, Katrina, Haïti, Fukushima… La liste est longue des désastres qui rythment régulièrement notre histoire récente. Les catastrophes semblent nous prendre au dépourvu, incapables que nous sommes de les anticiper et d’en maîtriser les effets. L’élan général de compassion qui les entoure et les solidarités, réelles ou symboliques, qu’elles tissent dissimulent mal l’impuissance à laquelle elles nous renvoient inévitablement. La catastrophe, n’est-ce pas le nom que l’on donne aujourd’hui à notre finitude ? N’est-ce pas l’expression toute contemporaine du sentiment qu’en dépit de tous nos efforts il existe de l’imprévisible et de l’inéluctable ? Et n’est-ce pas alors ce qui doit nous pousser à réinterroger notre emprise sur la nature, plus encore peut-être le contrôle de notre technique ? N’est-ce pas ce qui nous amène à envisager autrement notre rapport à l’avenir et notre capacité à prévoir ?
Ces questions sont au cœur de l’étude des catastrophes qui tend aujourd’hui, au sein des sciences humaines et sociales, à constituer un champ nouveau de recherche. Les catastrophes font sens, mais ce sens suppose, pour être ressaisi, d’interroger autrement notre manière d’appréhender les tragédies contemporaines, que celles-ci soient des désastres naturels, des accidents techniques ou des massacres délibérés. Il faut ainsi s’attacher à comprendre leurs significations (comment les catastrophes affectent et sont perçues par ceux qui les subissent, mais aussi par ceux qui en éprouvent les menaces ; ce qu’elles disent, ou ne disent pas, de notre impuissance ou de nos défaillances), à évaluer leurs effets (les histoires qu’elles déchirent, les certitudes qu’elles ébranlent, les croyances qu’elles avivent), à anticiper leur retour (en interrogeant ainsi notre rapport à l’expertise scientifique ou notre capacité à agir collectivement).
Chacun conviendra que la notion de catastrophe est féconde pour penser ce qui caractérise notre rapport au contemporain. Il est cependant nécessaire de l’interroger davantage tant elle sature aujourd’hui le discours public et médiatique au point de le rendre parfois inaudible. D’où tire-t-elle en effet sa spécificité et sa validité scientifiques ? La question s’impose, tant le terme de catastrophe désigne des événements aussi différents que des cataclysmes naturels ou des actes terroristes. Comment l’étude des catastrophes construit-elle son objet et délimite-t-elle un champ d’analyse qui lui est propre ? C’est à ces questions que ce dossier entend répondre en montrant la diversité des approches disciplinaires et des regards portés aujourd’hui sur la notion de catastrophe. S’y joue assurément la constitution d’un nouveau paradigme scientifique, distinct de celui du risque, et qui marque une inflexion majeure dans la façon de penser la relation de l’homme à ce qui l’environne, et plus encore peut-être à ses capacités.
Au menu du dossier :
- Lydie Cabane, « Catastrophe et Etat-providence », recension de Romain Huret, Katrina 2005. L’ouragan, l’Etat et les pauvres aux États-Unis (Paris, Editions de l’EHESS, 2010).
Déjà dans La Vie des Idées :
- Antoine Grandjean, « La condition atomique », recension de Günther Anders, Hiroshima est partout, 18 décembre 2008.
- Yann Bérard, « Quand l’événement structure », recension de Marc Bessin, Claire Bidart, Michel Grossetti (dir.), Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, 18 novembre 2010.
Lire aussi, ailleurs sur le web :
Pour citer cet article :
Florent Guénard & Philippe Simay, « Le sens des catastrophes »,
La Vie des idées
, 19 avril 2011.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr./Le-sens-des-catastrophes
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