Le livre de Godechot est un petit bijou de lecture : style fluide et fleuri, il a cette capacité à accrocher le lecteur dès la première phrase, comme un très bon roman.
Dossier / Classes sociales et inégalités : portrait d’une France éclatée
À propos de : Olivier Godechot, Working rich. Salaires, bonus et appropriation du profit dans l’industrie financière, La découverte
Le livre de Godechot est un petit bijou de lecture : style fluide et fleuri, il a cette capacité à accrocher le lecteur dès la première phrase, comme un très bon roman.
Godechot reprend le coup de projecteur donné par Thomas Piketty sur les plus riches (plus précisément les 0,01% les plus riches) et rappelle qu’un des points intéressants à soulever est que l’accroissement des inégalités et l’enrichissement relatif et absolu de ces plus riches n’est plus dû tant à la propriété du capital qu’aux salaires. Comme le dit l’auteur, « on représentait traditionnellement le riche comme un rentier. Le voilà désormais salarié ». Est-ce la fin de la lutte entre le capital et le travail ? Non, car l’auteur réexamine le partage de la valeur ajoutée et montre comment l’employé n’est pas uniquement un salarié mais aussi un capitaliste, un investisseur dans un capital, investissement qui est son savoir spécifique.
L’originalité du travail de Godechot dans l’abondante littérature économique sur les inégalités salariales, leurs causes et leur évolution, se trouve dans la méthodologie adoptée, empruntée à la sociologie. L’ouvrage est un exemple de sociologie économique. L’auteur a mené une enquête de terrain de près de trois ans entre 2000 et 2002 (questionnaires, 70 entretiens, 7 mois d’observation participante en tant que stagiaire, etc.) auprès d’une catégorie spécifique de « working rich » : les salariés riches des milieux financiers.
Que nous montre Godechot ? Que le milieu de la finance est entièrement tourné vers le profit ? Jusque-là, rien de très étonnant. L’économiste a l’habitude de modéliser le comportement de tout entrepreneur comme la maximisation du profit. L’auteur montre surtout que la théorie économique des incitations échoue à rendre compte de l’ampleur des bonus. Pour simplifier, on pourrait dire que la théorie des incitations nous dit que l’employé possède une information cachée sur l’effort qu’il fournit. Cette information cachée procure un bénéfice à celui qui la possède. L’entreprise souhaite mettre en place un système de rémunération lui permettant de révéler cette information cachée, autrement dit de rémunérer le salarié à son effort, qu’elle n’observe pas. Les indicateurs de performance jouent ce rôle d’être observables et corrélés à l’effort de l’employé. Certes l’entreprise réussit à aligner les objectifs de ses salariés sur les siens propres grâce à l’utilisation adéquate d’une rémunération à la performance liant les revenus des traders au profit de l’entreprise. En effet, les traders peuvent espérer toucher entre 5 et 8% des résultats de leur portefeuille, ce qui est compatible avec la théorie des incitations. Pourtant non, la théorie des incitations ne suffit pas à rendre compte de l’importance de ces bonus, car, nous dit Godechot, un montant moindre suffirait à inciter n’importe quel travailleur. De plus, la théorie des incitations montre également que le salaire fixe que reçoit le salarié doit être déterminé de telle manière que l’agent accepte de participer à ce contrat de travail, autrement dit qu’il gagne au moins autant que ce qu’il pourrait gagner ailleurs. L’auteur soutient que le salaire fixe des traders est trop élevé au regard de ce que gagnent leurs homologues dans d’autres secteurs. Ce système d’incitation paraît dès lors très (trop ?) coûteux pour l’entreprise. Non, ce n’est pas leur qualification initiale qui justifie une productivité importante et par conséquent des salaires importants, puisque les traders ne sont pas plus qualifiés que de nombreux autres cadres.
Godechot veut montrer que les traders ne sont pas à proprement parler des salariés détenteurs d’une force de travail : ils sont bien davantage des capitalistes, en ce qu’ils possèdent un capital propre et ont des droits de propriété sur le profit de l’entreprise financière. Quel est ce capital ? Le capital spécifique (actif spécifique) accumulé et fructifié au sein de l’entreprise (portefeuille, réseau de clients, etc.). L’auteur retrouve donc une conception marxienne ou bourdieusienne plaçant l’avoir au cœur du pouvoir. Il réexamine l’idée que les salariés ont du capital et possèdent donc une part de l’entreprise. Pour cela l’auteur mobilise des notions déjà développées par de nombreux auteurs, parfois très différents, de Williamson à Becker, sur l’investissement dans un capital spécifique (à l’entreprise dans le cas du travail, mais également au couple dans le cas d’un mariage, chez Becker) et les situations de hold-up qui peuvent en résulter.
Ce que ne nous dit pas réellement l’auteur c’est dans quelle mesure son étude de terrain se veut généralisable et si le milieu des traders est exemplaire en ce qu’il permet de rendre compte de l’ensemble des bonus ou bien au contraire s’il reste un point aberrant dans le système des incitations.
Le dernier numéro du 5 décembre de la revue Problèmes économiques est consacré à la même question (« Quelle rémunération pour les dirigeants d’entreprise ? ») et apporte un éclairage complémentaire à la question posée par Godechot.
par , le 18 décembre 2007
Maya Bacache-Beauvallet, « Les « Working rich » : salariés ou capitalistes ? », La Vie des idées , 18 décembre 2007. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./Les-Working-rich-salaries-ou-capitalistes
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