Longtemps ignorée ou déconsidérée, l’écologie n’a fait que récemment son entrée dans le programme de l’extrême droite. Mais sous couvert de localisme, ce dernier ne renonce en rien aux logiques productivistes.
Dossier / Ce que l’extrême droite fait au monde
Longtemps ignorée ou déconsidérée, l’écologie n’a fait que récemment son entrée dans le programme de l’extrême droite. Mais sous couvert de localisme, ce dernier ne renonce en rien aux logiques productivistes.
Le 13 avril 2023, le magazine Valeurs actuelles a organisé une soirée durant laquelle le journaliste, militant écologiste et animaliste Hugo Clément a accepté de débattre avec le président du Rassemblement national, Jordan Bardella. Cela a valu au premier de compromission avec l’extrême droite. Cette polémique offre l’occasion de revenir sur les rapports qu’entretient le Rassemblement national, nommé Front national (FN) jusqu’en 2018 [1], avec l’écologie. Nous verrons que cette dernière n’y est entrée que récemment, et surtout que partiellement.
L’écologie apparaît au sein des programmes du FN au début des années 1990, dans une optique identitaire, sous l’impulsion de Bruno Mégret, issu du Club de l’Horloge, un club politique national-libéral, qui a cherché à faire le lien entre la droite et l’extrême droite. Pour ce dernier, il s’agit de donner une direction nouvelle au FN, après la disparition de l’ennemi « historique » : le communisme. Il faut investir le champ de l’identité. Il crée alors une revue, Identité. Considérant que la chute des régimes communistes entérine un basculement géopolitique, affirme que « l’affrontement politique principal n’est plus celui du socialisme marxiste contre le capitalisme libéral », mais « celui des tenants du cosmopolitisme contre les défenseurs des valeurs identitaires » [2]. Parallèlement, il souhaite également montrer que le FN est soucieux de préserver l’environnement. La convergence des deux thématiques apparaît lors du congrès de Nice des 31 mars et 1er avril 1990 où l’écologie est rehaussée dans un sens identitaire, car, pour les responsables frontistes, Mégret en tête, être écologiste, c’est vouloir préserver le milieu nécessaire à la survie et à l’épanouissement des espèces vivantes endémiques. Dans cette optique, les « véritables » écologistes sont ceux qui prennent en compte l’immigration comme un facteur déterminant de déséquilibre culturel et/ou ethnique.
Cette tentative n’a pas pris, car le rejet de l’écologie est ancien et surtout profond. Ainsi, l’ancien membre du comité scientifique du Front national [3], l’identitaire Jean Haudry, a pu qualifier les écologistes d’« écolo-kagébistes » et de « peste verte » [4]. Aujourd’hui encore, il rejette l’écologie et se situe parmi les climato-sceptiques [5]. Membre du groupuscule « Terre et peuple » (il en a été le vice-président), créé initialement comme une association interne au Front national, il suit la scission mégrétiste [6], sans pour autant adhérer à une forme d’écologie identitaire. À la suite du départ des mégrétistes, la thématique est mise de côté. En outre, il existe un fort rejet de l’écologie chez certains militants d’extrême droite, qui ne voient que des « pastèques » dans les activistes écologistes (vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur), adeptes à la fois du « mondialisme » et d’une « écologie punitive ». Le FN part donc de loin sur ces questions.
En 2010, Jean-Marie Le Pen considérait encore l’écologie comme un passe-temps de « bobo », mais il est vrai qu’il se plaçait depuis le début des années 1980 dans une tradition de libéralisme économique, voire d’ultralibéralisme, se considérant comme le « Reagan français » [7]. Ce libéralisme économique est encore un marqueur important du RN de Marine Le Pen, qui insiste plus sur la productivité que sur la préservation de l’environnement. Aux journées d’été du FN en 2011, celle-ci, devenue la nouvelle présidente frontiste, avait appuyé sur plusieurs thèmes classiques de l’extrême droite, jouant sur la peur d’une arrivée massive d’une population extra-européenne, inassimilable du fait du nombre et des différences culturelles. En parallèle, elle parlait alors d’un « prétendu réchauffement climatique », minimisant la question écologique. Ce faisant, elle flirtait avec le « climato-scepticisme », doutant du rôle de l’activité humaine dans le réchauffement climatique et relativisant l’importance des travaux du GIEC, malgré la présence, durant un temps, de Laurent Ozon.
Militant de longue date à la fois de l’extrême droite identitaire et de l’écologie, ce dernier a intégré les instances dirigeantes du FN en tant que conseiller de Marine Le Pen de janvier à août 2011. Le 16 janvier 2011, à l’issue du Congrès de Tours, il est nommé par Marine Le Pen au bureau politique du FN, en tant que délégué national à la formation. Il est également membre de la commission d’investiture. Enfin, il est chargé de piloter le « Comité d’Action Présidentielle Écologie ». Son ascension s’arrête net, lorsqu’il écrit plusieurs tweets sur les attentats d’Oslo et d’Utoya commis par Anders Behring Breiviks, qui ont fait un total de 77 morts et 151 blessés le 22 juillet 2011. Le contenu de ces tweets, favorable aux actes du Norvégien, l’a poussé à démissionner du parti. À partir de ce moment, l’écologie disparaît de nouveau des programmes du FN.
Le programme présidentiel de Marine Le Pen de 2012 était quasi silencieux sur cette question [8], contrairement à d’autres tendances de l’extrême droite, qui s’intéressent à l’écologie depuis la fin des années 1980. Dans ce programme, le parti frontiste ne défendait qu’une forme de protection de la faune et de la flore, ainsi qu’une défense des paysages. Enfin, le FN se montrait sceptique vis-à-vis des énergies renouvelables :
En dehors de l’énergie hydraulique, les énergies dites “vertes” ne sont aujourd’hui pas réalistes en l’état : à titre d’exemple, pour produire l’électricité nécessaire à la France, il faudrait installer 275 000 éoliennes, ou 5 milliards de mètres carrés de panneaux photovoltaïques (un département moyen), ou encore consacrer la moitié des terres cultivables françaises aux biocarburants afin de remplacer notre consommation en carburants fossiles. Nous soutiendrons la recherche afin de faire de ces technologies un recours possible et viable dans le cadre d’utilisations locales (particuliers, communes ou entreprises). L’objectif est ici de couvrir à terme 10 à 15% de nos besoins énergétiques. Les recherches dans le domaine de l’hydrogène doivent être valorisées et nous soutiendrons le programme ITER à Cadarache. [9]
En 2017, les thèmes réellement écologistes (préservation de la biodiversité, combat contre les différentes formes de pollution, lutte contre le réchauffement climatique, etc.) étaient toujours absents de son programme. Le tournant écologique ne date que de 2019 et de l’arrivée d’Hervé Juvin, ancien proche de Raymond Barre lorsqu’il était maire de Lyon devenu par la suite un collaborateur de Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement du gouvernement d’Alain Juppé entre 1995 et 1997. Néanmoins, s’il est écologiste, Hervé Juvin reste un libéral sur le plan économique.
Les dernières positions du FN, devenu RN, bien qu’elles soient considérées comme écologistes par ses membres, vont à l’encontre des valeurs écologiques puisqu’il promeut l’exploitation du gaz de schiste. Avec ce parti, nous sommes plus dans le cadre d’une « écologie superficielle » (simple gestion des ressources naturelles) que d’une « écologie profonde » (qui souhaite un changement de civilisation). Il s’agit plutôt d’une forme de développement durable, sans volonté de rupture civilisationnelle. Enfin, en 2017, le FN défendait les « Bonnets rouges » bretons qui s’étaient mobilisés contre le projet d’écotaxe autoroutier et maintenaient l’idée d’une agriculture intensive, aux conséquences catastrophiques pour la Bretagne. L’écologie ne faisait donc pas partie des thèmes principaux de ce parti, le FN/RN étant surtout connu pour son silence sur ce thème.
Si l’on excepte les déclarations récentes de Marine Le Pen en faveur du « produire local, manger local », le parti a toujours eu des positions prudentes, se contentant de prôner une économie « durable » et se méfiant par exemple des énergies renouvelables. Ce parti tâtonne, ou, plutôt, a un discours superficiel en ce qui concerne les questions écologiques. Nulle part, sa présidente n’a fait mention des limites planétaires, des réfugiés climatiques ou d’un quelconque changement de modèle économique ou social, bien au contraire.
Cela dit, comme tous les partis, le RN de Marine Le Pen a compris qu’il devait se saisir de l’écologie comme sujet, et ce, à partir de l’échec aux élections présidentielles de 2017. Depuis la campagne de 2021, M. Le Pen tente de faire passer un message écologique. Ainsi, son site de campagne, mlafrance, dispose d’une brochure sur l’écologie, intitulée M l’écologie et d’une autre sur la protection des animaux. Mais elles sont éparpillées parmi les autres, qui traitent de la sécurité, de l’immigration, de la défense. Ces deux brochures insistent sur la nécessité d’une « écologie positive », qui se trouverait au « au cœur du projet de renouveau national », permettant à chacun de profiter d’une nature « belle, vivante et protégée ». Pour autant, pouvons-nous parler d’une mue écologique de Marine Le Pen, et plus largement du Rassemblement national ? Si son programme actuel (celui de l’élection présidentielle de 2022) offre le slogan « Pour l’écologie de la joie de vivre des Français en France », ses positions restent encore très limitées sur ce point, comme le montre le livret précité. En quoi l’écologie participe-t-elle au bonheur d’être français ? Il s’agit là d’une confusion entre écologisme et simple préservation patrimoniale de l’environnement. Marine Le Pen y propose donc une « écologie positive », mais sans la définir précisément, en l’opposant simplement à une « écologie punitive », c’est-à-dire contraignante. Elle vise explicitement le « Green Deal », contre-productif selon elle, « imposé » par l’Union européenne, l’une des cibles privilégiées du FN/RN depuis la disparition du bloc soviétique. Parmi les autres mesures, il y a une initiation des enfants à l’environnement et au contact avec la nature, sans plus de détails, « pour échapper à la fascination exclusive des écrans numériques ».
Cette analyse rapide du programme de la candidate à l’élection présidentielle montre clairement que le Rassemblement national reste sceptique sur la question écologique. Pour finir de s’en convaincre, il suffit de lire les quinze questions que Marine Le Pen souhaitait soumettre au président Emmanuel Macron en 2021, lors du grand débat sur la transition écologique : peu sont de nature réellement écologique. Elles insistent plus sur une certaine qualité de la vie que sur un discours réellement écologique. Aucune d’entre elles ne s’intéresse à la transition écologique au cœur du débat proposé par le président de la République ou n’évoque un autre modèle civilisationnel, qui romprait avec le productivisme. Les seules questions réellement écologiques sont celles portant sur le maintien des zones humides, improductives sur le plan agricole, mais riches d’une faune et d’une flore fragiles, et qu’il faut effectivement protéger ; sur la possibilité de poursuivre et de condamner de grandes firmes dont les filiales se seraient rendues coupables de dommages environnementaux ; et enfin sur la possibilité de moduler la TVA sur les produits recyclables, ce qui va dans le sens d’une (petite) décroissance. Trois questions ouvertement écologiques sur quinze, c’est bien peu. Le constat est donc simple : le RN ne s’est toujours pas converti à l’écologie. Il reste un parti profondément marqué à la fois par le libéralisme économique et par le nationalisme. Parti à la fibre poujadiste, il rejette les contraintes de l’effort écologique, affirmant dans son programme présidentiel : « Nous sortirons du “Green deal” et de l’enfer administratif qu’il impose aux petites entreprises ». En aucun cas, Marine Le Pen ne parle d’améliorer le caractère environnemental de la production française. Les enjeux écologiques ne sont évoqués que lorsqu’ils peuvent servir la matrice idéologique du parti, c’est-à-dire la défense de l’identité nationale. L’écologie est réduite, dans son discours, à la défense des paysages et des terroirs français contre les éoliennes. Si Marine Le Pen tente, depuis 2017, de verdir son programme nationaliste, les prises de position des élus du parti et les mesures productivistes qu’elle défend trahissent un opportunisme teinté de déni des enjeux environnementaux.
De fait, le programme écologique du RN se concentre principalement sur la notion de localisme. Elle est soutenue par les militants identitaires, tel Philippe Vardon [10], entrés massivement au RN en 2016, et par Hervé Juvin. Avec eux, le parti a choisi pour mot d’ordre le localisme. Ce thème avait déjà été mis en avant lors de la campagne présidentielle de 2017. Auparavant, le FN défendait les petites exploitations agricoles, mais sans développer ce point. Mais en quoi le localisme est-il écologique ? Il peut l’être dans le sens où la production locale réduit le bilan carbone, en diminuant les coûts écologiques du transport. Cependant, dans le cas du RN, nous pouvons en douter : rappelons que Marine Le Pen a soutenu les « bonnets rouges », qui rejetaient violemment une écotaxe sur les transports routiers, forts polluants et au bilan carbone plus que négatif.
Dans le cas présent, il s’agit principalement d’un discours nationaliste : le produit est fabriqué « ici » et non « ailleurs », sous-entendu à l’étranger… Nous retrouvons aussi ce nationalisme dans l’idée proposée par le programme du RN d’une « écologie [qui] libère la France de ses dépendances extérieures ». Le sous-entendu souverainiste est patent. L’écologie ainsi conçue est une écologie nationale, voire nationaliste, qui « en finira avec une écologie hors-sol, basée sur le mensonge du globalisme ; chaque écosystème est unique, il est ici, et pas ailleurs ». Cette critique du « globalisme », pour reprendre un élément de langage de ce parti, n’est donc qu’une mise en avant du nationalisme, exprimé de manière plus subtile qu’à l’accoutumée : le localisme renvoie dans nos imaginaires à la fois à l’idée d’appartenance, d’enracinement, en particulier dans un terroir, et à une certaine qualité des produits, qui seraient plus sains. En somme, il s’agit de mettre en avant l’enracinement et les « patries charnelles » (le terroir) sans pour autant mobiliser des références au monarchiste Charles Maurras (1868-1952) et à l’Action française. Cela est fait de manière implicite, le penseur de Martigues étant devenu un repoussoir, y compris pour la droite radicale, à l’exception évidemment des monarchistes de l’Action française.
À chaque fois qu’il y a une question écologique au Rassemblement national, le parti et ses représentants répondent local, national, patriotique. À une question mondiale, comme les enjeux climatiques, ils répondent par le nationalisme. Jordan Bardella n’y échappe pas. Lors de la soirée organisée par Valeurs actuelles, le 13 avril 2023, tandis qu’Hugo Clément parlait du risque de voir une pression migratoire causée par des réfugiés climatiques, à la suite de la perte de leur lieu de vie (par inondations, sécheresses, etc.), Jordan Bardella (qui a visiblement apprécié de voir un écologiste soulever cette problématique) a répondu par la nécessité de fermer les frontières. En effet, si les deux se rejoignent sur le constat, les solutions proposées diffèrent. Le RN répond « national » et propose la fermeture du pays, là où les écologistes mettent en avant une prise de conscience mondiale, une politique globale quant à la gestion de la problématique des réfugiés climatiques. Nous ne sommes guère éloignés de la « France seule », chère à Charles Maurras. De fait, le RN et ses responsables sélectionnent certaines thématiques écologiques en fonction de leur électorat : aujourd’hui, il s’agit toujours de rejeter l’étranger, non plus selon des critères xénophobes, comme le FN l’a fait par le passé, mais pour sauver la planète. Néanmoins, dans les deux cas, il y a un même refus de la mondialisation. Les termes changent, pas le fond idéologique : nous retrouvons en filigrane les thématiques de l’écologie identitaire, théorisées par Bruno Mégret au début des années 1990.
Le peu d’appétence de Marine Le Pen et du RN pour l’écologie se ressent dans les solutions proposées. La première, dans ses interventions ou ses propositions, met systématiquement en avant un discours technoscientifique (qui est en contradiction avec les positions de certains écologistes), en parallèle d’une glorification du passé, y compris industriel, de notre pays. Les deux sont liés : il s’agit, pour elle, de louer la grandeur et le génie de la France à la fois pour son patrimoine immatériel, comme les paysages, les vestiges – qui ne sont que les restes de sa grandeur passée – et pour son excellence technique et scientifique. Elle est dans une logique très productiviste, et, d’une certaine façon, technophile. La science et la technique ne sont pas vues comme des menaces. Elle ne souhaite pas rompre avec le productivisme industriel, l’agriculture intensive ou le nucléaire. Durant la campagne présidentielle de 2021, elle promettait de construire vingt réacteurs nucléaires de troisième génération (EPR) d’ici 2036, alors que les spécialistes doutent de la capacité d’en construire quatorze d’ici 2050.
En 2021, Marine Le Pen, alors candidate à l’élection présidentielle dénonçait dans les militants écologistes des « idéologues anti-tout », qui sont dans la « flagellation permanente de notre pays ». Encore récemment, elle considérait les zadistes comme des « crasseux » marginaux. Lors de la soirée du 13 avril 2023, Bardella a ouvertement, et vertement, critiqué les écologistes et Sandrine Rousseau.
Ce mépris de Marine Le Pen et du Rassemblement national est non seulement visible, mais explicite dans les institutions auxquelles ils participent. En effet, tous deux rejettent les politiques mettant en avant les énergies renouvelables. Lors des débats au sein du parlement européen, entre 2009 et 2014, les eurodéputés du parti ont voté contre chacune des réformes climatiques proposées. En 2016, lors de l’adoption de l’Accord de Paris par le Parlement européen, ses représentants s’étaient abstenus de voter. De même, ils ont voté pour la réautorisation des insecticides néonicotinoïdes, suspectés de tuer les abeilles. Continuant dans cette logique, en 2021, Marine Le Pen proposait un moratoire sur l’éolien et le solaire photovoltaïque, et de démanteler les éoliennes déjà en place. Enfin, il ne faut pas oublier qu’une partie des associations anti-éoliennes est pilotée ou infiltrée par des membres du RN. La logique de Marine Le Pen est d’attaquer les politiques d’installation d’éoliennes et de champs photovoltaïques, sous prétexte que cela enlaidit le paysage. Nous pourrions multiplier les exemples de ce décalage entre les préoccupations écologistes et les positions du RN.
Se présentant, en bonne populiste, comme la voix des « sans voix », de la « majorité silencieuse », Marine Le Pen ne cherche pas à brusquer son électorat. Le RN reprend cette posture. Pourquoi chercherait-il à développer un discours vaguement écologique, sachant que les écologistes ne votent pas pour lui et qu’une majorité d’électeurs de ce parti considère avec mépris les « écolos » : au mieux ce sont des enquiquineurs, au pire des gauchistes mondialistes… Les rapports de Marine Le Pen et du Rassemblement national à l’écologie sont donc quasi inexistants. M. Le Pen ne met rien en avant ni ne s’appuie sur une vision écologique, quelle qu’elle soit. Elle ne mobilise pas des auteurs qui, comme Alain de Benoist, ont élaboré une écologie de droite, ou d’extrême droite. Pourtant des liens auraient pu être noués : Hervé Juvin tient une chronique/page dans Éléments, le magazine de la Nouvelle droite, et dont l’éditorialiste, et l’un des principaux contributeurs par ailleurs, est Alain de Benoist. Elle pourrait également mobiliser des auteurs conservateurs, comme le philosophe britannique Roger Scruton (1944-2020) ou l’Allemand Herbert Gruhl (1921-1993). Ni elle ni le RN ne l’a fait.
Que ferait un possible ministère de l’écologie sous une présidence de Marine Le Pen ? Il s’agirait d’une politique de maintien des « beaux paysages », avec le démantèlement des parcs d’éoliennes ; d’un soutien à une agriculture intensive et industrielle, avec la mise en place de moratoires sur la toxicité des produits phytosanitaires et des engrais utilisés ; d’une politique de développement du parc nucléaire et de réindustrialisation du territoire. Tout est présenté dans son programme… Il affirme que « l’urgence écologique est de préserver les conditions de vie humaines dignes et libres sur notre planète ». La formule, malgré ses atours, revient à considérer l’écologie sous un angle conservateur et anthropocentré, aucunement à reconsidérer l’équilibre entre activités humaines et l’ensemble écologique. Sur le plan international, elle a dit, le 13 avril 2021, lors d’une conférence de presse, qu’elle ne ferait pas de la question environnementale « l’alpha et l’oméga de sa politique étrangère ». Si Marine Le Pen considère qu’elle énonce un discours écologique, ce dernier est vu comme une impasse par les écologistes d’extrême droite, car cette conception de l’écologie ne rompt pas avec le modèle productiviste. Mais il faut dire que Marine Le Pen est peu aidée en ce domaine, car au sein de ce parti, rares sont les personnes compétentes ou intéressées par l’écologie. Il y avait Hervé Juvin, mais il a été exclu en 2022 du parti à la suite de sa condamnation pour des violences conjugales. À présent que Jordan Bardella a pris la présidence du parti, pouvons-nous croire à une évolution sur ces questions ? Au vu de ses propos lors de la soirée organisée par Valeurs actuelles, nous devons, pour l’instant, en douter : il semble se situer au contraire dans la continuité des positions de Marine Le Pen.
par , le 9 mai 2023
Stéphane François, « Localisme ou nationalisme ?. L’écologie dans le programme du RN », La Vie des idées , 9 mai 2023. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./Localisme-ou-nationalisme
Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.
[1] Nous en avons parlé brièvement dans un article publié par La vie des idées : « Le blé noir. L’écologie et l’extrême droite », 20/04/2021.
[2] Bruno Mégret, « Le basculement géopolitique », La Lettre de Jean-Marie Le Pen, 1er décembre 1989.
[3] Fondé en 1988 par Bruno Mégret et Jean-Yves Le Gallou. Il a existé jusqu’en 1999 et était composé de 36 intellectuels, venant principalement de la Nouvelle droite et du Club de l’Horloge.
[4] Jean Haudry, « De la quête à la reconquête », in Collectif, Liber Amicorum Alain de Benoist, Paris, Les Amis d’Alain de Benoist, 2004, p. 110.
[5] Jean Haudry, « Climatologie des indo-européens », Sparta. Ordre vital, perspective ethnoraciale, critique sociale, n°3, pp. 41-44. La rédaction (Gaëtan Audenarde, Philippe Baillet, Jean Haudry, Pierre Krebs, David Rouiller et Tomislav Sunic) a jugé nécessaire de publier un encadré à la suite de cet article, sur la « position clairement “climatosceptique” défendue par l’auteur [qui] ne fait pas l’unanimité au sein de la rédaction de Sparta. » (p. 44).
[6] Bruno Mégret, devenu le numéro 2 du Front national en 1988, s’est opposé de plus en plus frontalement à Jean-Marie Le Pen durant les années 1990, critiquant sa stratégie politique : il ne souhaite pas maintenir le FN dans un rôle contestataire, mais le transformer en parti de gouvernement, avec une politique d’euphémisation des discours. Jean-Marie Le Pen refuse. La rupture est consommée en 1999, avec le départ d’un nombre important de cadres, qui suivent Bruno Mégret au Mouvement national républicain. Ce parti fut un échec. Plusieurs « mégrétistes » sont revenus au FN lorsque Marine Le Pen en est devenue la présidente.
[7] Delphine Espagno & Stéphane François, « Le Front national et les services publics comme enjeu politique. Retour sur une évolution », in Sylvain Crépon, Alexandre Dézé & Nonna Mayer (dir.), Le Front national : un parti en transition ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, p. 207-223.
[8] Cf. son programme, http://www.frontnational.com/pdf/projet_mlp2012.pdf, p. 14, consulté le 01/05/2023.
[9] Ibid., p. 14.
[10] Philippe Vardon-Raybaud, membre fondateur du Bloc identitaire en 2003, est devenu membre du Rassemblement bleu marine en 2013, avant de l’être, en 2016, du RN. Devenu un soutien d’Éric Zemmour, il est évincé de ce parti en 2021. Depuis 2022, il est adhérent de Reconquête.