La lutte contre les stéréotypes est à l’ordre du jour. Mais comment définir un stéréotype ? Tout stéréotype est-il nocif ? Ce nouvel ouvrage de la collection Puf/La Vie des idées apporte un éclairage sur un objectif qui a les atours de l’évidence.
La lutte contre les stéréotypes est à l’ordre du jour. Mais comment définir un stéréotype ? Tout stéréotype est-il nocif ? Ce nouvel ouvrage de la collection Puf/La Vie des idées apporte un éclairage sur un objectif qui a les atours de l’évidence.
Ont contribué à cet ouvrage Anna Arzoumanov, Amina Damerdji, Geneviève Fraisse, Thomas Hochmann, Dominique Lagorgette, Nelly Quemener, Denis Ramond et Gisèle Sapiro.
Qu’il s’agisse de la presse, de contenus publicitaires, d’œuvres artistiques et littéraires ou de discours politiques, des formes d’expression publiques sont fréquemment accusées de propager des stéréotypes sexuels et raciaux. Initialement politique et moral, l’impératif de lutter contre ces représentations stéréotypées s’inscrit progressivement dans la loi.
Cela ne va pas sans poser de difficultés. En premier lieu, des stéréotypes être diffusés et répétés en toute bonne foi, contrairement aux injures ou aux menaces qui témoignent sans ambiguïté d’une intention de nuire. Il arrive que l’on prétende valoriser des communautés et des groupes en les représentant par des stéréotypes positifs dont la nocivité et le caractère aliénant ne sont pas perceptibles au premier regard. Par ailleurs, l’efficacité du stéréotype tient précisément à ce qui le rend si difficile à attaquer : son caractère disséminé et omniprésent fait que toute tentative d’en attribuer la responsabilité à des œuvres ou des individus singuliers risque de sembler arbitraire. Le stéréotype n’a pas d’auteur, il n’a que des « véhicules ». Enfin, la lutte contre les stéréotypes s’expose immanquablement au fameux argument de la « pente glissante » : si l’on commence à expurger des œuvres de certains stéréotypes, comment savoir où s’arrêter ? Ne risque-t-on pas, comme s’en inquiètent certains, d’en arriver à censurer ou réécrire l’ensemble des productions culturelles et artistiques d’une société ?
L’ambition de cet ouvrage pluridisciplinaire est de comprendre les fondements de la lutte contre les stéréotypes ainsi que les difficultés pratiques et conceptuelles qu’occasionne sa mise en œuvre.
Dans une introduction intitulée « Le Spectre des stéréotypes », Dominique Lagorgette et Denis Ramond retracent la genèse de la lutte contre la lutte contre les stéréotypes, dans l’histoire des idées puis dans le droit. Avant d’entrer dans l’ « agenda » des politiques publiques, la défiance à l’égard des stéréotypes est apparue dans la pensée politique, dans la psychologie sociale, dans les sciences du langage puis dans les cultural studies qui, toutes, ont vu dans le stéréotype un mode de représentation figé, aliénant, mensonger, oppressif… mais aussi, parfois, un mal nécessaire, une opération de réduction du réel auquel les individus doivent inévitablement recourir pour se repérer et agir. Une des difficultés majeures auxquelles se heurte la volonté de lutter contre les stéréotypes réside ainsi dans cette ambivalence fonctionnelle du stéréotype.
Il arrive également, comme le montre Nelly Quemener dans son chapitre consacré des réactions publiques aux vidéos de Dieudonné, que les stéréotypes soient non seulement utilisés consciemment par des personnalités publiques, mais qu’ils agissent à la manière de signaux de reconnaissance permettant d’unifier des communautés contre des ennemis supposés : dans ces cas, les stéréotypes se déploient de façon particulièrement violente et exacerbée, dans une logique de surenchère nourrie par le sentiment d’agir contre le « système » et son « discours officiel ».
À travers une analyse de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Thomas Hochmann étudie la façon dont le droit peut se saisir des stéréotypes « ordinaires », en particulier lorsqu’ils se logent dans les lieux en apparence le plus respectables : dictionnaires, encyclopédies et récits de voyage sont en effet des endroits où les stéréotypes trouvent à s’enraciner en toute discrétion. À cela faudrait-il ajouter… le droit lui-même qui, dans l’histoire, a été un grand pourvoyeur de stéréotypes racistes et sexistes ! L’utilisation du droit pour combattre les stéréotypes ne peut alors faire l’économie d’une réflexion sur la façon dont les normes juridiques ont pu diffuser des images figées et réductrices des groupes sur lesquelles elles s’appliquent.
Anna Arzoumanov, Amina Damerdji et Gisèle Sapiro analysent ensuite une affaire récente qui illustre ce type de difficultés : le procès du magazine Valeurs actuelles, poursuivi – et condamné – pour avoir publié un article imaginant le retour en Afrique et la mise en esclavage de la députée de la France insoumise Danièle Obono. Comment déceler l’injure derrière un texte dont le caractère stéréotypé ne fait aucun doute, mais qui se présente comme fictionnel ? Dans la mesure où deux des autrices de ce chapitre ont elles-mêmes témoigné lors du procès, le chapitre offre un récit sur la manière dont la linguistique et la sociologie peuvent être mobilisées dans les tribunaux.
Dans un entretien qui clôt l’ouvrage, Geneviève Fraisse porte un jugement sévère sur la place qu’a prise la lutte contre les stéréotypes dans le mouvement féministe – dont elle est à la fois actrice et observatrice. Au tournant des années 2010, la lutte contre la domination s’est parfois résumée à une critique des images. Selon Geneviève Fraisse, ce n’est pas de la dénonciation infinie des images que l’on obtiendra une libération, mais plutôt de la mise en lumière de l’écart qui sépare les représentations figées et négatives d’une réalité qui leur est irréductible.
Dominique Lagorgette & Denis Ramond, « Lutter contre les stéréotypes », La Vie des idées , 16 mai 2023. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./Lutter-contre-les-stereotypes
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par & , le 16 mai 2023