Quels pays facilitent, quels pays entravent l’acquisition de la nationalité pour les enfants d’immigrés ? Cet essai dresse un état des lieux contrasté, selon l’application du droit du sol ou du sang, avec des conditions ou discriminations particulières.
La possibilité pour un enfant d’immigré d’acquérir la nationalité du pays où il est né varie considérablement selon les pays. Quels sont les pays juridiquement les plus ouverts et, au contraire, les plus fermés à ce que les enfants d’immigrés, par le fait de leur naissance sur le territoire, accèdent aux privilèges (Slama 2003) civils, politiques et socioéconomiques réservés aux nationaux ? Le droit du sol et le droit du sang forment le diptyque classique du droit de la nationalité, le premier facilitant l’entrée des enfants d’immigrés dans la nationalité, le second formant au contraire une clôture plus étroite de la communauté des nationaux. Cet article dresse un état des lieux du droit de l’acquisition de la nationalité à la naissance dans le monde. L’acquisition de la nationalité après la naissance (c’est-à-dire la naturalisation au sens large) et le droit de la perte de la nationalité ne seront en revanche pas abordés, la plupart des individus acquérant leur nationalité à la naissance et la conservant toute leur vie (Honohan & Rougier 2008).
Au 1er janvier 2016, tous les pays du monde prévoient l’acquisition de la nationalité à la naissance par le droit du sang (ius sanguinis), c’est-à-dire par la filiation, au moins pour la première génération des enfants qui sont nés à l’étranger (Globalcit 2017 ; Jeffers & al. 2017 ; Honohan & Rougier 2018). En revanche moins de la moitié des pays (81 sur 177) prévoient l’acquisition de la nationalité à la naissance par le droit du sol (ius soli), c’est-à-dire par le pays de naissance. Par conséquent, la principale différence entre les droits de la nationalité porte sur le degré auquel, dans les divers pays du monde, le droit du sol existe (De Groot & Vonk 2018 ; Honohan & Rougier 2018). Le ius soli n’est en effet pas une technique homogène, et les pratiques varient du droit du sol « inconditionnel » – par lequel la nationalité est attribuée à l’enfant dès sa naissance et par le seul fait de sa naissance sur le territoire de l’État – au droit du sol « conditionnel » – par lequel la nationalité est acquise à la naissance par la satisfaction de certaines conditions liées par exemple à la résidence habituelle ou à la scolarisation de l’enfant. Se dégagent alors trois grands types de droit de la nationalité, que nous reportons ci-dessous sur la carte que nous avons conçue :
– le ius soli inconditionnel (et le ius sanguinis), en vert foncé ;
– le ius soli conditionnel (et le ius sanguinis), en vert clair ;
– l’absence de ius soli (seul existe le ius sanguinis), en vert très clair.
On distingue enfin en hachuré les pays dont le ius sanguinis ne permet pas aux femmes, autant qu’aux hommes, de transmettre leur nationalité à leurs enfants et/ou à leur époux, ce qui constitue une discrimination à l’égard des femmes.
Des pays au droit du sol inconditionnel : les Amériques
En Amérique du Nord, centrale et du Sud, la plupart des pays ont depuis le XIXe siècle un droit du sol inconditionnel, c’est-à-dire que les enfants d’étrangers nés dans ces pays (« deuxième génération ») acquièrent la nationalité de leur pays de naissance automatiquement, à leur naissance (Globalcit 2017). Ce sont les pays dont le droit est actuellement le plus ouvert à l’intégration rapide des descendants d’immigrés.
Suivant le droit anglais (common law), les États-Unis appliquent le droit du sol inconditionnel en héritage de la période coloniale. Le 14e amendement adopté en 1868 est venu confirmer dans la Constitution l’existence inconditionnelle du droit du sol, en particulier pour garantir que les États du Sud fassent bien application de ce principe à l’égard des populations esclaves noires qui en furent longtemps privées jusqu’à la fin de la guerre de Sécession (Spiro 2015). Même lorsque le pays a cherché à limiter l’immigration et a conditionné la naturalisation des étrangers majeurs à certains critères ethno-raciaux (de l’adoption du Chinese Exclusion Act de 1882, qui exclut les Chinois de la naturalisation, jusqu’à l’élimination du dernier critère ethno-racial de naturalisation, à l’encontre des Japonais, en 1952), il a conservé intact le droit du sol inconditionnel. Plus récemment le Président Trump, qui accuse ce droit du sol inconditionnel d’attirer trop d’immigrés, a cherché à le réformer avant d’abandonner le projet. Le Canada a connu une trajectoire similaire : même lorsqu’il a restreint l’immigration des non-blancs, du début du XXe siècle jusqu’en 1967, il n’a pas remis en cause le droit du sol inconditionnel, mieux à même d’intégrer les enfants d’immigrés à la nation, conçue depuis les années 1970 comme multiculturelle (Winter 2015).
La plupart des pays d’Amérique du Sud et le Mexique appliquent eux aussi le droit du sol inconditionnel depuis leur indépendance, leurs constitutions du XIXe siècle s’étant inspirées sur ce point de la Constitution espagnole de 1812 (Acosta 2016). Les pays nouvellement indépendants ont fait le choix du droit du sol inconditionnel pour attirer des immigrés d’Europe et peupler et valoriser leurs grands espaces, tout en s’assurant la loyauté des enfants de ces immigrés et en tentant de les soustraire à la protection du pays d’origine de leurs parents. La plupart des pays d’Amérique ont conservé ce droit du sol inconditionnel jusqu’à nos jours.
La prépondérance actuelle d’un droit du sol inconditionnel aux Amériques relève d’une transposition de principes européens et date donc globalement du XIXe siècle, une période pendant laquelle ce continent, massivement dépeuplé par la catastrophe démographique qu’a provoquée la colonisation européenne, cherche à attirer des immigrés (Spiro 2015 ; Acosta 2016). Même dans les périodes où ils ont restreint l’immigration, la plupart de ces pays n’ont pas renoncé au droit du sol inconditionnel, destiné à intégrer rapidement les enfants d’immigrés dans les pays où ils étaient nés et appelés à vivre.
Des pays au droit du sol conditionnel : l’Europe de l’Ouest et l’Océanie
En Europe occidentale et en Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande), le droit du sol n’est pas ouvert aux enfants d’étrangers de façon inconditionnelle (Globalcit 2017). Pour pouvoir acquérir à la naissance la nationalité de leur pays de naissance, les enfants d’immigrés (« deuxième génération ») voire les petits-enfants d’immigrés (« troisième génération ») doivent remplir certaines conditions : leurs parents doivent avoir habité dans le pays pendant une durée minimale, ils doivent y habiter de façon permanente, etc.
Dans certains pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, le droit du sol est ouvert à la deuxième génération à certaines conditions (De Groot et Vonk 2018). Mais ce droit de la nationalité est l’aboutissement de trajectoires historiques variées. Au Royaume-Uni la common law qui a émergé de la période médiévale – avant d’influencer la majorité de l’Empire britannique – comprenait un ius soli inconditionnel, selon lequel toute personne née sur le sol britannique naissait sujet du roi. Mais le Royaume-Uni a plus récemment adopté un droit du sol conditionnel (1983). Par contraste, en Allemagne à partir de la fin du XIXe siècle prévaut le ius sanguinis, s’inspirant du modèle français transmis par l’intermédiaire de la législation prussienne (Weil 2005), et afin d’éviter que les descendants de la minorité polonaise en territoire allemand n’acquièrent la citoyenneté allemande (Gosewinkel 2008, p. 8). Mais l’Allemagne, devenue à la fin du XXe siècle un pays d’immigration, a abandonné son droit du sang exclusif pour un droit du sol conditionnel (2000).
Dans d’autres pays comme la France, le droit du sol est ouvert à la troisième génération sans condition (Weil 2005). En France depuis 1851, naît français l’enfant né en France d’au moins un parent né en France (« double droit du sol »). Quant à l’enfant né en France de parents étrangers nés à l’étranger, depuis le code civil de 1804 il devient français à sa majorité, à certaines conditions de résidence (« droit du sol simple différé »). Ces mécanismes s’inscrivent dans la tradition française, qui remonte au moins à l’Ancien Régime, en faveur du droit du sol (Sahlins 2004). Par ailleurs, un objectif pragmatique était assigné à ces mécanismes : les descendants d’immigrés, de deuxième et a fortiori troisième génération, nés et élevés dans les mêmes conditions que n’importe quel Français, ne devaient pas opposer leur qualité d’étranger lors de l’appel des drapeaux, réservé aux nationaux – pratique courante à une époque où le service militaire est à la fois long et dangereux. Le double droit du sol a aussi été appliqué dans l’Empire ottoman (1869) et dans quelques pays arabes (Égypte, Transjordanie) au début du XXe siècle (Parolin 2009). Le double droit du sol a enfin été appliqué dans plusieurs anciennes colonies françaises, où il a parfois été conservé jusqu’à nos jours, que ce soit en Afrique centrale (Gabon) ou occidentale (Sénégal, Niger, Burkina Faso, Bénin, Cameroun) (De Groot et Vonk 2018).
Des pays sans droit du sol : la plupart de l’Eurasie et de l’Afrique
Dans la plupart des pays d’Asie, d’Europe centrale et orientale et d’Afrique, l’absence de droit du sol (sauf éventuellement pour les enfants trouvés) et le caractère exclusif du droit du sang empêchent les enfants d’étrangers d’acquérir à la naissance la nationalité de leur pays de naissance (Globalcit 2017). L’absence de droit du sol révèle une conception davantage « ethnique » de la nationalité, qu’elle soit de nature linguistique, religieuse ou culturelle.
En Chine, le droit du sang exclusif prédomine depuis la dynastie Qing (1644-1911) (Low 2016). Étant un pays d’émigration plutôt que d’immigration, la Chine n’a pas eu à intégrer des descendants d’immigrés. Le droit du sang permet en revanche à l’État chinois de considérer que les enfants de la diaspora chinoise naissent chinois, afin de protéger non seulement leur capacité à « retourner » vivre en Chine, mais aussi une certaine forme de loyauté à leur État d’origine plutôt qu’une intégration à la communauté politique de leur pays de naissance et de résidence (Low 2016).
Dans le golfe persique (Arabie saoudite, Oman, Émirats arabes unis, Qatar, Bahreïn, Koweït), le brusque enrichissement depuis les années 1970 est allé de pair avec une fermeture de plus en plus complète de l’accès des étrangers à la nationalité. Aujourd’hui les étrangers ont beau constituer la majorité de la plupart de ces pays, ni eux ni leurs enfants ne peuvent acquérir la nationalité (Albarazi 2017). Cette politique de restriction de l’accès à la nationalité est telle que les Émirats arabes unis n’ont pas hésité à acheter aux Comores des passeports à destination de la population apatride des bidoon, résidant pourtant depuis plusieurs générations sur le territoire émirati (Abrahamian 2015). Cette politique est critiquable, car elle ne vise pas à traiter le problème de l’apatridie par l’octroi de la nationalité du pays de résidence, là où pourtant la nationalité est pertinente, car elle étend les droits des intéressés. Elle procède plutôt à l’achat purement instrumental d’une nationalité étrangère qui n’apporte au mieux qu’une forme de sécurité administrative en stabilisant la preuve de l’état civil.
Des pays dont le droit du sang discrimine les femmes
Parmi les 203 États du monde en 2019, 42 ne permettent pas aux femmes, autant qu’aux hommes, de transmettre leur nationalité à leurs enfants et/ou à leur époux étranger (pays hachurés sur la carte) (UNHCR 2019 ; Global Campaign For Equal Nationality Rights). Dans ces pays le droit du sang ne s’applique que par le père (ius sanguinis a patre), c’est-à-dire que la nationalité se transmet de façon patrilinéaire (Parolin 2009). Ou alors, le droit du sang ne s’applique par la mère (a matre) qu’à certaines conditions restrictives pour les femmes. Par exemple certains pays ne permettent aux femmes de transmettre leur nationalité à leur enfant que si ce dernier est né hors mariage, pour éviter qu’il devienne apatride. Mais dans ces pays c’est généralement le chef de famille – l’homme – qui détermine la nationalité des enfants.
Les droits des pays d’Amérique latine ont permis aux femmes autant qu’aux hommes de transmettre leur nationalité dès le XIXe siècle (Acosta 2016), et les pays d’Amérique du nord et certains pays d’Europe le permettent depuis la première moitié du XXe siècle (Spiro 2015 ; Guerry 2016). Toutefois, la plupart des pays conservaient des discriminations à l’égard des femmes jusqu’aux années 1970 (Lepoutre 2019). La situation a beaucoup changé depuis, après l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979), signée et ratifiée par la plupart des États.
Comme l’indique la carte ci-dessus, les pays qui conservent des discriminations à l’égard des femmes dans leur droit de la nationalité se trouvent aujourd’hui concentrés dans le monde musulman, qu’ils soient arabes (du Maroc à l’Irak en passant par l’Égypte) (Parolin 2009) ou situés en Afrique subsaharienne (Mali, Nigeria, Somalie), en Asie de l’Ouest ou du Sud (Iran, Pakistan, Bangladesh) et jusqu’en Asie du Sud-est (Malaisie). Précisément, si l’on examine la présence de ces discriminations par pays en 2019 (UNHCR 2019 ; Global Campaign For Equal Nationality Rights) selon la religion majoritaire en 2020 (Pew 2015), il apparaît que 53 % des pays à majorité musulmane discriminent à l’égard des femmes, contre 10 % des autres pays. Ces pays expriment globalement les attitudes et les valeurs les plus défavorables à l’égalité de droits entre hommes et femmes, et ce avec constance au fil des générations (Inglehart et Norris 2011), si bien que depuis les années 1970 ils ont été relativement peu prompts à éliminer les discriminations à raison du sexe, en matière de nationalité comme en droit de la famille. Toutefois, ne sont pas concernés l’Indonésie, la Turquie ni les pays turcophones d’Asie centrale. A contrario certains pays à majorité chrétienne, hindoue ou bouddhiste conservent aussi ces discriminations, comme Madagascar, le Népal ou la Thaïlande.
La Global Campaign for Equal Nationality Rights, menée par des membres de la société civile, des ONG, des agences des Nations unies et des États, se donne pour objectif l’abolition des dernières discriminations à raison du sexe en matière de droit de la nationalité. L’objectif n’est pas seulement d’établir une égalité de droits entre hommes et femmes, mais aussi de réduire les risques d’apatridie. L’impossibilité pour une femme de transmettre sa nationalité à son enfant expose en effet ce dernier au risque de naître et de rester apatride dans les cas où il ne peut acquérir la nationalité de son père (UNHCR 2019). Cela peut arriver, notamment, si son père est lui-même apatride ou s’il ne peut transmettre sa nationalité à son enfant né à l’étranger, s’il est inconnu ou non marié avec sa mère au moment de sa naissance, ou encore s’il a abandonné sa famille. L’égalité des sexes et la lutte contre l’apatridie se conjuguent et se renforcent donc l’une l’autre.
Conclusion
La carte du droit du sol et du droit du sang dans le monde dessine finalement quatre grandes zones géographiques relativement compactes, qu’on peut considérer comme autant d’aires culturelles :
– les Amériques, au droit du sol inconditionnel qui facilite l’intégration des enfants d’immigrés ;
– l’Europe occidentale et l’Océanie, au droit du sol conditionnel ;
– l’Europe orientale, l’Asie et l’Afrique, sans droit du sol et relativement fermées à l’intégration des descendants d’immigrés ;
– le monde musulman, où les femmes ne peuvent pas transmettre leur nationalité comme les hommes.
Jean-François Mignot, « Par le sol et par le sang. Le droit de la nationalité dans le monde »,
La Vie des idées
, 1er octobre 2019.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr./Par-le-sol-et-par-le-sang
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