Recensé : William Labov, The language of Life and Death. The Transformation of Experience in Oral Narrative, Cambridge University Press, 2013, 240 p., 21 € (broché).
Pourquoi, lorsqu’on raconte une expérience au cours de laquelle on a été confronté à la mort, la sienne ou celle d’un autre, l’auditoire reste immanquablement silencieux à un certain moment ? William Labov s’est posé cette question après avoir narré lui-même plusieurs fois une histoire qui lui a été racontée en 1963 à New York par un certain Jacob Schissel. Celui-ci, quelques jours après la mort de son père, s’est disputé avec son frère au point qu’à un moment donné, ce dernier lui a planté un couteau dans la tête et un docteur lui a dit ensuite qu’il avait échappé de peu à la mort. Quarante ans plus tard, Labov a résolu la question dans un livre lui-même fascinant qui, s’inscrivant dans le champ désormais vaste de la narratologie et des études sur les récits, montre comment le genre de récit oral d’expérience personnelle de la mort répond à un ensemble de principes précis.
Traduit depuis les années 1970 et jusqu’au début des années 1990 [1], le travail de William Labov, qui se présentait davantage comme un linguiste que comme un sociologue, a servi de référence importante à Pierre Bourdieu. Dans un entretien publié en 1983, William Labov faisait un point sur ses recherches en cours qui portaient sur « l’étude des données de la langue spontanée, l’analyse des changements linguistiques en cours et l’observation des usages de la langue dans les réseaux sociaux » [2]. Il est réputé alors pour ses analyses du langage vernaculaire africain-américain (VAA) [3]. Depuis, Labov a publié plusieurs ouvrages importants, parmi lesquels une trilogie sur les facteurs sociaux des changements linguistiques, dont il attribue notamment l’origine à ceux qui ne se conforment pas aux normes sociales et les défient [4]. Pourtant ces dernières recherches sont restées quasi inconnues des chercheurs français. Plus largement l’intérêt pour Labov est retombé. Pendant les années 2010 à 2012, ses travaux cités dans des revues académiques datent presque tous des années 1960 et 1970 ; ces références sont mobilisées principalement par des articles tournés vers la linguistique (presqu’un tiers environ par des articles de la seule revue Langage et société), et n’apparaissent que marginalement dans des articles de sociologie plus générale [5]. Ce désintérêt manifeste pour un auteur américain majeur et fécond, célébré en France dans les années 1970 et 1980, presque oublié dans les années 2000 et traité dans le meilleur des cas comme s’il n’avait plus publié depuis trente ans, voire comme s’il était déjà mort, mériterait d’être étudié en tant que tel.
La construction complexe d’un récit oral d’expérience personnelle de la mort
Composé de seize chapitres courts, le nouvel ouvrage de William Labov est structuré de telle sorte que le chapitre 2 sera ici longuement évoqué, tandis que les chapitres suivants ne le seront que brièvement. En effet, le chapitre 2 fixe, avec densité, tous les concepts utilisés et annonce les principaux résultats de la recherche.
Les gens discutent de toutes sortes de thèmes, de la mode au cinéma en passant par le sport et la cuisine, mais, relève Labov, plus fortement et de manière universelle de trois d’entre eux : la mort, le sexe et l’indignation morale. Labov a choisi d’étudier les récits d’expérience personnelle de la mort à cause de cette énigme déjà mentionnée : à un moment du récit, l’auditeur reste silencieux, entièrement captivé. Comment l’expliquer ?
Pour analyser ces récits, Labov pose plusieurs principes. Tout d’abord, il propose de voir le récit comme une manière particulière de raconter à nouveau des événements passés (p. 15). Les récits oraux étudiés ont, tous, déjà été racontés plusieurs fois par leurs énonciateurs. Labov rappelle ensuite que le fondement de l’approche linguistique des récits est le temps, marqué en anglais principalement par le présent ou le passé. Dès lors, Labov annonce deux principes importants liés à la temporalité : la contrainte dite « du flashback » (c’est-à-dire de son absence) et le principe égocentrique (p. 19). Il fait le constat qu’aussi répandus soient-ils dans les romans et les films, les flashbacks n’apparaissent pas dans les récits oraux (p. 20). La contrainte du flashback acquiert une importance centrale quand elle est couplée avec une stratégie fondamentale des récits oraux d’expérience personnelle : ceux-ci présentent les informations au public dans le même ordre que celui dans lequel elles se sont présentées originellement aux protagonistes (p. 20) — c’est le « principe égocentrique ». Le principe égocentrique explique la contrainte de l’absence de flashback.
Puis Labov pose cette question : est-il possible de raconter une histoire sur n’importe quoi à n’importe quel moment ? La réponse est négative. Si le récit est raconté dans un contexte inapproprié, le public répondra : « Et alors ? », voire se détournera, c’est-à-dire que le narrateur s’expose à une sanction sociale (p. 22). Labov introduit alors un concept-clé de son analyse : la reportability, que l’on peut comprendre comme ce qui est digne d’intérêt d’être rapporté, ou encore la capacité d’un fait raconté à retenir l’attention d’un auditeur, et que je traduirai par « capacité à capter l’attention » [6]. Un récit doit contenir au moins un événement « reportable », c’est-à-dire captant l’attention. Toutefois la capacité à capter l’attention est dépendante de l’Histoire et du contexte social.
Alors que dire un récit doit satisfaire la condition nécessaire de la « capacité à retenir l’attention », un principe plus complexe domine la construction des récits d’expérience personnelle : la crédibilité est inversement relative à la capacité à retenir l’attention. Ainsi, que vous buviez le café chez vous ce matin n’a pas une grande capacité à capter l’attention, mais si vous le buvez nu, place de la République, en compagnie du ministre de l’intérieur et de la ministre de la justice, votre récit commence à capter l’attention de l’auditeur ; en revanche, il perd en crédibilité [7]. Labov relève que pour trois formes communes de récit oral, le besoin d’établir la crédibilité est annulé : les plaisanteries, les histoires à dormir debout et les rêves. Il place le besoin d’établir la crédibilité et sa relation inverse avec la capacité à capter l’attention au cœur de son analyse des récits.
Cependant, la construction d’un récit ne peut être entreprise par le narrateur que s’il a réalisé auparavant la tâche d’une reconstruction. La réponse à la question « Qu’est-il arrivé ? » ne consiste pas simplement à rendre compte du résultat, mais fait appel à une chaîne d’événements reliés causalement de façon à ce qu’ils soient crédibles (p. 24), de la façon suivante : étant donné un événement e-i qui est inexpliqué, il existe un événement e-i-1 pour lequel l’affirmation « e-i s’est produit à cause de e-i-1 » est vraie et que le chercheur doit donc identifier. La chaîne d’événements attachés par leurs relations causales est close par un événement qui n’a pas besoin d’être expliqué et qui est l’événement initial, ei, quelque chose de mystérieux, d’inattendu, d’insignifiant. À l’autre extrémité de la chaîne, une reconstruction débute par l’événement « qui capte le plus l’attention », eo (par exemple : le frère de Jacob Schissel l’a poignardé). La chaîne des événements, de ei à eo, peut être appelée l’intrigue du récit.
Une fois établis l’événement captant le plus l’attention et la série causale, le narrateur peut construire son récit en employant plusieurs éléments. Il peut débuter par un résumé, qui peut être une description de l’événement captant le plus l’attention. Après le résumé, une première partie d’un récit contient en général des informations sur le temps, le lieu, les personnes et les comportements. S’ensuit l’action complexe, c’est-à-dire la progression des propositions dans l’ordre inverse de la série causale qui va de l’événement qui capte le plus l’attention à l’événement initial. Alors que le récit pourrait se terminer par l’événement captant le plus l’attention, celui-ci est souvent suivi d’une résolution finale de la situation créée par cet événement.
En 1967, Labov et Waletzky se sont posé la question de savoir pourquoi, si un récit était une série d’événements qui s’étaient produits dans le passé, on utilisait si souvent des phrases avec des négations, des conditionnels et des futurs pour se référer à des événement qui, en réalité, ne sont pas arrivés. Leur réponse est que ces éléments servent à évaluer le récit, ou à établir une réponse par avance à la question potentielle « Et alors ? ». La signification des événements qui se sont produits est établie par la comparaison avec une série d’événements parallèles qui ne se sont pas produits. Dans un récit oral d’expérience de mort, Labov remarque que l’énonciateur recourt fréquemment à une évaluation juste à côté de l’événement captant le plus l’attention. Par ailleurs, à la différence des chroniques, qui sont constituées d’une série d’événements dont chacun couvre à peu près la même quantité de temps, habituellement des années ou des décennies, les récits oraux d’expérience personnelle s’étendent sur des durées très courtes.
La théorie du récit présentée par Labov peut finalement être résumée par un mécanisme en quatre étapes (p. 42). Pour livrer un récit d’expérience personnelle, un énonciateur doit : identifier un événement qui sera utilisé comme l’événement captant le plus l’attention du récit (1) ; établir une chaîne d’événements qui les relie à la matrice initiale d’une façon qui améliore sa crédibilité (2) ; relater la chaîne d’événements menant à l’événement captant le plus l’attention d’une manière qui améliore sa capacité à capter l’attention (3) ; et ajuster la chaîne des événements d’une manière qui améliore sa capacité à être racontée (4).
Labov a procédé à une sélection de récits les plus prototypiques parmi des milliers que lui ou ses étudiants ont recueillis, enregistrés et transcrits depuis les années 1960, et qu’il analyse selon un découpage précis à partir des concepts exposés précédemment. Ces récits font état d’une escalade soudaine de violence qui fait qu’une personne manque de peu de mourir, comme l’histoire de Jacob Schissel (chapitre 3). Labov pose notamment la question de savoir à quel instant l’échange de paroles des événements se transforme en violence, c’est-à-dire quand la parole est remplacée par l’action. D’après lui, cette transformation de la parole en acte se produit quand un des protagonistes dans l’échange verbal traite l’autre comme une « non-personne », c’est-à-dire quelqu’un avec lequel on ne peut pas discuter, qui ne répond pas à la raison, ou quelqu’un qui a perdu le statut d’adulte respectable (p. 61). Les récits analysés sont aussi ceux de personnes confrontées directement et brusquement à la mort (chapitre 4), ainsi que ceux de personnes qui disent avoir eu un sentiment de prémonition de la mort de quelqu’un ou avoir communiqué avec un mort (chapitre 5).
Puis sont étudiés des récits de femmes, appartenant à un milieu populaire et qui, confrontées à la mort, se battent contre les difficultés qu’elles doivent affronter (chapitres 6 à 9). C’est notamment le cas de Rose Norman qui raconte, à 69 ans, comment quarante-cinq ans plus tôt, alors que son couple était pauvre, elle a dû emprunter 500 dollars à une organisation (la corporation) de sa communauté juive de Philadelphie afin de payer les funérailles de sa jeune sœur morte à l’âge de 22 ans à la suite d’une opération médicale (chapitre 8). Labov décline ensuite son analyse à la retranscription d’une conversation entre deux vieux hommes de l’Utah qui évoquent la deuxième Guerre Mondiale (chapitre 10).
À la suite de l’analyse de cette série de cas diversifiés, Labov s’interroge sur la relation possible entre les récits énoncés dans la vie de tous les jours et les récits épiques oraux traditionnels (chapitre 11) : est-ce que la tradition des bardes de Yougoslavie et celle d’Homère font usage d’un savoir-faire qui serait aussi celui des narrateurs d’expériences quotidiennes ? Bien que ces deux formes de récits traitent des problèmes fondamentaux de l’existence humaine tels que la mort et la relation du vivant à la mort, les différences entre elles sont si importantes qu’il est difficile de penser qu’il puisse y avoir une connexion entre eux. Enfin Labov examine les usages des techniques narratives par les historiens pour décrire des morts et mises à mort qui développent un aspect émotionnel comparable aux récits d’expérience personnelle orale : Hérodote (chapitre 12), Thomas Babington Macaulay à propos de l’exécution du duc de Monmouth (chapitre 13), S.T. Bindorf à propos de la mort d’Elisabeth I (chapitre 14), et l’auteur de l’Ancien Testament qui a rédigé l’épisode concernant la rébellion et la mort d’Absalon, fils de David (chapitre 15).
À partir de son étude fine de ces récits oraux d’une personne confrontée à la mort d’un proche, à la certitude d’une mort à venir ou dont la vie a été mise en danger, Labov propose pour finir (chapitre 16) un schéma d’analyse pouvant s’appliquer à n’importe quel récit oral en huit points. Ce schéma, trop long pour être ici détaillé, reprend notamment les notions relatives à la temporalité, d’un événement qui capte l’attention d’un auditeur, de la reconstruction d’une chaîne d’événements reliés causalement et se terminant par un événement initial sans cause, et de l’évaluation d’une action qui s’est produite.
Ce qui fait tenir l’événement captant le plus l’attention
L’originalité de l’analyse de récit que propose William Labov est de proposer une méthode qui tienne ensemble une structure et une situation particulière, le contenu du récit et ses conditions d’énonciation. On est loin d’une analyse structurale de mythes qui chercherait des correspondances, des variations et des inversions en accumulant les récits, sans que la situation de l’énonciation de ces récits mythiques soit jamais étudiée.
Pour comprendre la portée de la proposition de Labov, il faut revenir sur son concept à la fois le plus stimulant et le plus dérangeant, qui a l’air d’une enfantine simplicité mais qui est d’une redoutable complexité dès lors qu’on cherche à le déployer et à en tester la robustesse : « the most reportable event », que j’ai donc traduit par « l’événement captant le plus l’attention ». L’analyse de récit de Labov repose principalement sur le récit lui-même (découpé en résumé, évaluation, action complexe, chaîne de causalités, etc.). En ce qui concerne les positions sociales des énonciateurs et auditeurs, Labov situe socialement l’énonciateur ou énonciatrice (mais cela peut ressortir du récit, comme Rose Norman qui dévoile elle-même à la fois sa pauvreté et son appartenance à la communauté juive de Philadelphie), mais fait comme si la situation sociale de l’auditeur n’avait aucune importance : cela peut être un professeur en sociolinguistique, un de ses étudiants ou n’importe qui. C’est dire la force donnée par Labov à l’énoncé : sans que l’énonciateur soit dans une position d’autorité (et ce n’est pas le cas la plupart du temps), le genre de récit oral d’expérience de la mort suffirait à produire par lui-même le même effet quel que soit l’auditeur, quelle que soit sa position sociale — chacun garde le silence au moment de l’événement captant le plus l’attention. Cet effet produit par un récit va à l’encontre de l’importance donnée à la position sociale par un énonciateur, notamment par Bourdieu dans sa critique d’Austin. Pour Bourdieu, en effet, « l’efficacité symbolique des mots ne s’exerce jamais que dans la mesure où celui qui la subit reconnaît celui qui l’exerce comme fondé à l’exercer ou, ce qui revient au même, s’oublie et s’ignore, en s’y soumettant, comme ayant contribué, par la reconnaissance qu’il lui accorde, à la fonder. » [8]
Toutefois Labov attribue à l’énonciateur et à l’auditeur deux types différents d’états intérieurs. L’énonciateur est doté d’un « intérêt » : c’est l’intérêt à réussir son récit, en améliorant sa crédibilité, sa capacité à capter l’attention, et sa manière d’être racontée, ce qui se réalise par des ajustements lors de la reprise du récit. Il faut souligner ici un manque : les récits sélectionnés par Labov sont souvent collectés longtemps après l’événement qu’ils rapportent (Rose Norman relate son récit quarante-cinq ans après la mort de sa sœur), et l’on ignore tout de ces ajustements progressifs entre le premier récit et le nième récit, c’est-à-dire comment se déploie cet intérêt attribué à l’énonciateur.
Mais l’auditeur est doté, lui, de deux autres états intérieurs : une capacité à croire et une capacité à être attentif (ce que l’on peut rapprocher d’un intérêt). Ces deux états intérieurs ne sont pas présentés en tant que tels, mais ils sont pourtant le soubassement nécessaire à deux concepts clefs de Labov, la crédibilité (credibility) et la capacité à capter l’attention (reportability). Or bien que Labov signale au début de son ouvrage que la capacité à capter l’attention dépend du contexte social, il présente ses récits comme si le contexte de leur réception ne comptait pas, et comme si la crédibilité et la capacité à capter l’attention étaient évidentes, c’est-à-dire étaient également distribuées. Ce qui semble donner une stabilité à la crédibilité du récit est le fait qu’il ait été répété de nombreuses fois, et donc éprouvé. Mais si un récit oral d’expérience de mort mettait en scène un être invisible ou extraordinaire, tel qu’un fantôme, comme des anthropologues peuvent en rapporter, il apparaîtrait tout à coup que la crédibilité est une propriété instable du récit et que son soubassement, la capacité à croire, peut profondément différer selon les personnes, et selon les communautés dans lesquelles elles vivent. Labov proposerait peut-être de rejeter ce genre de récit du côté des « histoires à dormir debout » mais les frontières de ce qui les délimitent restent alors à déterminer et à situer socialement et culturellement.
Or le second concept, la capacité à capter l’attention, a lui deux points d’appui. Il se caractérise, et c’est le point de départ de la curiosité de Labov, en ce qu’il peut se repérer par une attitude de l’auditeur : le silence, notamment au moment de l’événement captant le plus l’attention. Pourtant, ce n’est jamais par l’observation de la situation, par cet effet de sidération produit par le récit, que Labov identifie l’événement captant le plus l’attention mais par l’établissement d’une chaîne de causalités au terme de laquelle il se trouve. Ainsi donc c’est par la construction d’un récit, éprouvé à de nombreuses reprises, que Labov induit l’état intérieur de ceux qui l’ont entendu. Le paradoxe est que la reportability est supposée se référer, et donc être repérable, par rapport à un état intérieur de l’auditeur, mais que le chercheur l’établit à partir de l’énonciateur qui a bâti son récit en articulant les causalités.
De là, surgissent plusieurs interrogations. Tout d’abord, si parmi les événements relatés dans un récit, il y en a un qui est celui qui « capte le plus l’attention », faut-il en déduire que les autres événements sont situés au même niveau, captant l’attention de manière égale ou existe-t-il des variations, des gradations, et comment s’ordonnent-elles ? Ensuite, les cas présentés font apparaître un ensemble d’événements captant le plus l’attention. On peut s’interroger sur les rapports de ces événements particuliers entre eux : est-ce qu’il existe une hiérarchie entre les événements qui captent le plus l’attention, certains captant encore davantage l’attention que d’autres ? On pourrait émettre l’hypothèse que « avoir failli mourir » — expérience peu commune — capte davantage l’attention qu’« avoir été en contact avec un cadavre » — expérience que la plupart des personnes ont à connaître personnellement —, ce qui introduit un principe de rareté pour graduer la reportability. Cela pourrait s’appréhender en partie si, outre l’observation du silence pendant les récits, des entretiens étaient réalisés auprès des auditeurs. Mais il est possible que le recours à des entretiens crée une tension avec la déduction logique, par la chaîne de causalités, de l’événement qui capte le plus l’attention et oblige à déployer davantage la manière dont ces récits sont reçus. Ce à quoi nous invite la reportability, c’est finalement à nous interroger sur la capacité du langage à produire des effets sur ceux qui l’écoutent, au-delà des récits d’expérience de mort et du silence qu’ils imposent lorsqu’ils sont réussis. On pourrait l’éprouver sur des récits non pas de disparition mais d’apparition de la vie, ceux de femmes relatant l’accouchement de leur premier enfant [9].