L’idée de l’investissement social n’est pas neuve. Elle est une réponse globale et cohérente aux défis de la société post-industrielle, défis tant démographiques qu’économiques et sociaux. Elle considère la protection sociale comme une condition de possibilité et non un obstacle à une croissance économique soutenue. Elle se veut également une alternative correctrice par rapport aux stratégies de la Troisième voie dont l’insistance sur la responsabilité individuelle se fait au détriment des conditions de possibilité d’une égalité des chances effective. Elle a en partie inspiré la stratégie européenne dite stratégie de Lisbonne et a connu une élaboration plus systématique dans un livre dirigé par Esping-Andersen en 2002, intitulé Why We Need a New Welfare State.
L’idée centrale de ce livre est que l’inertie des systèmes de protection visant à assurer un revenu de remplacement au travailleur salarié masculin conduit à une répartition sous-optimale des ressources collectives. Elle contribue au maintien voire au renforcement d’inégalités dans les parcours de vie, dans les revenus, dans la capacité d’accéder à l’éducation. Cette redistribution est ainsi aussi inéquitable que nuisible à la productivité globale et donc à la croissance future. À partir de ce constat, Esping-Andersen et ses co-auteurs proposaient une stratégie de réorientation de la protection sociale en direction des nouveaux risques (liés à l’obsolescence accélérée des compétences ; à la conciliation de la vie familiale et professionnelle ; la plus grande demande de soin et l’effritement des revenus de sécurité sociale). C’est d’autant plus important que ces nouveaux risques frappent d’abord les moins qualifiés.
Des leçons peuvent être tirées des expériences précédentes, notamment de l’agenda de Lisbonne. Les points saillants que requiert l’application d’une stratégie d’investissement social à l’aune de ces mises en oeuvre partielles sont les suivants : l’investissement vise à améliorer de manière globale les parcours de vie, elle se distingue des approches catégorielles et statiques de la protection sociale ; l’investissement ne peut être une stratégie adoptée à moindres frais ; enfin elle vise l’égalité et la qualité dans la protection. On peut alors examiner les questions de gouvernance.
Malgré sa cohérence théorique et les débuts de mise en oeuvre qu’elle a reçue, la stratégie d’investissement social est aujourd’hui fortement remise en cause, car pris dans une double contrainte entre les fortes demandes de repli protectionniste ou nationaliste en matière de protection sociale et/ou de régulation économique d’une part et les « exigences » des « marchés » de cures d’austérité radicales pour assainir les finances publiques.
C’est pourquoi les objectifs sociaux de l’agenda 2020 doivent soutenir l’idée d’investissement social. Les motifs non seulement de le prendre au sérieux mais également de l’enrichir, afin que la croissance économique et le progrès social aillent de pair dans le futur de l’Union, ne manquent pas :
– Une stratégie d’investissement centrée sur l’enfance
– Une augmentation de l’investissement dans le capital humain
– Une insistance accrue sur les politiques de réconciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale
– Une retraite plus flexible et plus tardive grâce à l’amélioration des conditions de travail et la formation tout au long de la vie
– L’intégration des immigrés par l’éducation et la participation
– Des minima sociaux et une offre universelle de services sociaux de qualité
Pour citer cet article :
Anton Hemerijck & Bruno Palier & Frank Vanderbroucke, « Pour un projet européen d’investissement social »,
La Vie des idées
, 15 juin 2011.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr./Pour-un-projet-europeen-d
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