L’histoire militaire romaine éclaire des thèmes fondamentaux, comme la conduite de la guerre ou la tâche d’imposer une domination. Quant à César, ses conquêtes illustrent une stratégie et une tactique – art de la guerre comme projet politique.
L’histoire militaire romaine éclaire des thèmes fondamentaux, comme la conduite de la guerre ou la tâche d’imposer une domination. Quant à César, ses conquêtes illustrent une stratégie et une tactique – art de la guerre comme projet politique.
Lorsque l’on referme l’ouvrage de Yann Le Bohec, César et la guerre, on se demande ce qui fait la spécificité des sujets abordés : que vaut aux travaux réunis la qualité d’« histoire militaire » ? N’est-ce pas tout simplement de l’histoire romaine ?
Les magistrats majeurs de la cité, consuls et préteurs, exerçaient pleinement leur pouvoir quand ils se trouvaient dans un espace qui pouvait être considéré comme celui de la cité, et plus particulièrement celui de la Ville, ou bien quand, en étant sortis, ils se transformaient en chefs d’armée.
Ces hommes avaient la conduite des guerres ou la tâche d’imposer la domination de Rome. Même ceux dont la manière d’exister s’était façonnée dans un cadre civil (tel Cicéron) se sentaient obligés, quand ils étaient envoyés comme proconsuls dans les provinces, de faire sur ce plan bonne figure.
En Cilicie, Cicéron finit par se muer en homme de guerre. Il prétendit même en avoir fait suffisamment pour mériter, de la part des soldats qu’il avait emmenés avec lui, l’acclamation d’imperator, qui le plaçait sur le même plan, au moins formellement pouvait-il croire, que les grands généraux de la cité romaine – Fabius « le temporisateur », qui avait su maîtriser Hannibal ; Scipion « l’Africain », qui s’était illustré contre Carthage ; Sylla « à qui tout réussit » (Felix) par la volonté d’une divinité protectrice ; Pompée « le Grand », parce que ses exploits rappellent ceux d’Alexandre.
César et la guerre, c’est César revêtu du paludamentum, le manteau rouge du chef de guerre, que portait le magistrat lorsque, à cette époque, après avoir géré les tâches essentiellement civiles du « consul », il partait, comme « proconsul », dans la province dont les contours avaient été définis par le Sénat, puis validés par une loi, que votait une assemblée populaire.
César avait été consul avec Bibulus en 59, grâce à l’appui de Pompée et de Crassus. Tout avait été fait pour lui attribuer officiellement un espace dans lequel il pourrait exprimer ses ambitions et se révéler chef de guerre : il pourrait accumuler butin et prestige, lier à sa personne les soldats de son armée, plus particulièrement les légionnaires, citoyens romains qui voyaient dans la participation aux conquêtes de Rome une issue aux difficultés de leur existence. La victoire apporterait l’espérance d’un retour à la vie du citoyen dans un cadre plus favorable.
Sa province, faite d’un espace contrôlé de longue date par Rome, la Gaule cisalpine, de Turin à Aquilée, comprend aussi un espace qui la prolongeait au nord-est, l’Illyricum, donnant accès au monde danubien et aux régions du nord des Alpes, et un espace ajouté au dernier moment, la Gaule transalpine, où la migration des Helvètes lui donna immédiatement l’occasion d’utiliser l’outil militaire dont il disposait pour donner à son action, comme représentant du peuple romain, une composante guerrière. En se donnant comme objectif de maîtriser, au-delà des terres méridionales, tous les peuples celtiques jusqu’aux rivages de l’Océan.
Mais « César et la guerre », c’est aussi le prolongement qu’apporte à la Guerre des Gaules (le Bellum Gallicum des traductions des lycéens) une autre partie du corpus des œuvres mises sous le nom de César, la Guerre civile (le Bellum Civile). Comme l’écrit joliment Christian Goudineau, ce sont deux ouvrages ou deux ensembles d’ouvrages construits sur le même modèle : le choix stylistique crée « une distanciation entre l’écrivain et son objet, en utilisant la troisième personne du singulier ».
Ce sont aussi deux parties, très différentes pour l’opinion de son temps comme pour la postérité. L’une se développe comme témoignage de la puissance de Rome, sous-tendant toute réflexion sur la grandeur de son empire et sur l’évidente réussite historique dont l’ampleur et la durée forçaient à réfléchir, ce qu’avaient déjà fait les auteurs grecs.
L’autre apparaît, en fracturant la cité, comme un mal qui peut avoir des conséquences de grande portée : à défaut du déclin de la puissance romaine, la transformation de ses institutions, vécue comme un effacement de la respublica, ce que l’on considérait comme le « régime politique » par excellence, celui d’une cité antique, où la sphère du « public » (ce qui appartient à tous) avait été considérée comme le facteur principal de la réussite impérialiste de Rome.
Mais l’originalité de l’ouvrage n’est pas de présenter l’articulation des deux aspects qui scandent la vie de César comme chef de guerre ou bien les rapports entre ce personnage et les tâches de la guerre, même si l’auteur précise bien quelles sont les différences qui séparent les deux manières de faire la guerre et de la conduire.
Il est possible de traiter le sujet de manière globale [1]. Ici, ce sont des études plus réduites qui forment, en quelque sorte, un livre parallèle. Très souvent, le travail de l’historien se décompose de la sorte. Pourquoi ne pas proposer à un public passionné ce qui est à la fois un soubassement et une superstructure de la recherche ? Soubassement, car il s’agit d’étais appliqués à un point précis, chargés de minutie. Mais superstructure parfois, car il faut également donner aux détails tout le sens qui les engage dans des perspectives nouvelles.
Il y a parfois, non des redites, mais des développements parallèles. C’est la fragmentation des sujets qui impose cette manière de faire, laquelle n’est pas critiquable. Cicéron en tire profit, car vient s’ancrer dans les esprits son trait d’ironie, que n’aurait pas dédaigné Voltaire : avait-on toujours besoin, à Rome, des esclaves qu’apporterait la conquête de la Bretagne, annoncée par la traversée de la Manche effectuée par le proconsul en 54, après une reconnaissance en 55 ?
Cette contrée était-elle vraiment réputée pour fournir d’excellents cuisiniers ou de remarquables musiciens dont un homme esprit avait bien plus besoin (p. 314 et p. 338) ? C’est un sujet important, car la servitude était souvent le sort des vaincus, tels les Vénètes du chapitre 1 : les élites ou les chefs, appelés senatus, furent mis à mort, les gens du peuple furent vendus à l’encan.
Ce qui est histoire militaire, c’est l’attention portée à l’analyse de thèmes que l’on peut rattacher à la stratégie et à la tactique. Et dans ce souci de bien mettre en valeur ce qui fait la particularité de situations de guerre, les données matérielles (pour le soldat l’armement, pour l’armée prise dans son ensemble la logistique) sont des sujets qui retiennent l’attention et qui sont traités avec un soin méticuleux.
On peut se demander, par exemple, si le souci de César d’embrasser largement l’espace dans l’organisation de ses manœuvres offensives ou défensives n’est pas conditionné autant par le souci de fractionner les forces adverses que de faciliter l’approvisionnement de ses troupes en marche.
C’est dire l’intérêt de ce livre construit par assemblage de fragments, reclassés par thèmes. Peut-être aurait-on pu renoncer au n° 18 ou bien le livrer, mais remanié, afin de l’approfondir. Si une réédition venait à être envisagée, il faudrait peut-être corriger les finitissimi de la p. 33 en finitimi, et la stips de la p. 49 en stirps, et retoucher carte et narrations aux p. 139-145, car le récit de César n’est peut-être pas suivi avec la plus grande fidélité. On félicitera, enfin, l’imprimerie Laballery pour la qualité de l’impression.
par , le 27 avril 2023
Michel Christol, « Quand le consul est proconsul », La Vie des idées , 27 avril 2023. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./Quand-le-consul-est-proconsul
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[1] Yann Le Bohec, César chef de guerre. Stratégie et tactique de la République romaine, Monaco, Éditions du Rocher, 2001 ; puis Taillandier, 2019 (rééd. poche).