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Dossier / Les visages de la pandémie

Que nous disent les sérologies ?
Covid-19, chronique d’une émergence annoncée, chapitre 3


par Philippe Sansonetti , le 5 mai 2020


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À quoi servent les tests sérologiques ? S’ils révèlent une immunisation a posteriori, faut-il les systématiser ? Immunisation n’est pas protection. La sérologie peut éclairer l’histoire de la maladie, orienter les stratégies de prévention et les choix en matière de vaccination.

Objet d’une course effrénée entre les entreprises de biotechnologie, des tests de diagnostic sérologique Covid-19, basés sur la détection d’anticorps spécifiques du virus dans le sérum, sont développés ou en cours de développement. Ils reflètent le développement d’une réponse immunitaire anti-virale. Ces tests visent donc à déterminer a posteriori si un sujet a été en contact avec le virus et s’est immunisé. Beaucoup, de ces tests ne sont cependant pas encore évalués, ce dont s’émeuvent l’OMS et de nombreux experts en France et ailleurs. Cette frénésie est-elle justifiée ?

Par leur simplicité de prélèvement et de réalisation technique les tests sérologiques, en particulier les tests rapides réalisés à partir d’une goutte de sang prélevée au bout du doigt, sont souvent annoncés comme le Graal du diagnostic du Covid-19. Ils sont de ce fait présentés ou compris comme étant un substitut au diagnostic de la présence du virus lui-même dans un échantillon prélevé par écouvillonnage du pharynx. Ce diagnostic dit « moléculaire » repose sur une amplification de séquences génétiques spécifiques du SARS-CoV2 par qRT-PCR* [1], et non pas sur la classique culture sur cellules, longue et aléatoire pour certains virus. La relative complexité technique dans le prélèvement et la fiabilité de ce test moléculaire ne doit pourtant pas dissuader de l’utiliser, car il sera irremplaçable dans l’identification et l’isolement des sujets encore contaminés après la sortie de confinement.

Ces deux tests ne sont donc pas mutuellement exclusifs. Ils doivent être vus comme complémentaires dans une stratégie raisonnée de prévention de la circulation du SARS-CoV2. Mais que peut-on vraiment attendre de la sérologie Covid-19 ?

Petite histoire de la sérologie

Faisons un petit détour historique avant de réfléchir à cette question cruciale. Le regain d’intérêt pour la sérologie suscité par le Covid-19 est l’occasion de rappeler que nous célébrons cette année le centenaire du Prix Nobel de Médecine ou de Physiologie remis en 1920 à Jules Bordet pour, comme l’annonça sobrement le Comité Nobel : « ses travaux concernant l’immunité »… Compte tenu du large spectre de ses découvertes fondatrices de l’immunologie moderne, mieux valait sans doute user de termes généraux ! Entre 1895 et 1901, à l’Institut Pasteur de Paris, Bordet avait commencé par démontrer la capacité de destruction des bactéries par le sérum sanguin (bactériolyse) et de globules rouges d’autres sujets (hémolyse). Ces travaux marquèrent indiscutablement les débuts d’une science : la sérologie. Bordet montra que deux facteurs sériques causaient la bactériolyse.

Le premier facteur, résistant à la chaleur, n’existait que si l’animal avait été préalablement immunisé contre cette bactérie.

Ce sont les anticorps, découverts dans cette même période en Allemagne par Paul Ehrlich qui les concevait comme des récepteurs accrochés à la surface des cellules, reconnaissant les toxines et les agents pathogènes, avant de se détacher et former les anticorps sériques. Pour cela, il reçut en 1908 le Prix Nobel, de concert avec le pasteurien Elie Metchnikoff, le découvreur de la phagocytose, capacité de certaines cellules d’absorber et détruire les microbes. La citation était tout aussi sobre : « Pour leurs travaux sur l’immunologie »…

Ehrlich avait étroitement collaboré avec Emil von Behring qui avait démontré que ces anticorps avaient la capacité de neutraliser les toxines diphtérique et tétanique, jetant les bases de la sérothérapie pour laquelle il avait reçu le premier Prix Nobel de l’histoire en 1901 avec une citation plus dithyrambique : « pour ses travaux sur la sérothérapie, particulièrement ses applications contre la diphtérie, par lesquels il a ouvert une nouvelle voie dans le domaine de la science médicale et ainsi placé dans les mains du médecin une arme victorieuse contre la maladie et la mort ». Il fallait démarrer le Nobel et ce nouveau siècle en fanfare, il fallait aussi souligner l’application directement médicale de ces travaux représentant le premier traitement d’une maladie infectieuse.

Mais revenons à Jules Bordet : le second facteur, sensible à la chaleur, trouvé chez tous les animaux, immunisés ou non, fut appelé « alexine » (du grec alexo, écarter) avant de prendre le nom de complément.

Bactériolyse et hémolyse nécessitaient donc des anticorps ciblant spécifiquement bactéries ou globules rouges puis du complément responsable de la destruction des deux types de cellules.

Bordet le démontra avec une extraordinaire rigueur expérimentale en collaboration avec Octave Gengou, de retour en 1901 à Bruxelles où il créa l’Institut Pasteur du Brabant. L’anticorps reconnaissait un motif (structure spécifique) sur ses cellules cibles, l’antigène, s’y fixait, et ce complexe antigène-anticorps à la surface cellulaire recrutait et activait le complément chargé de la destruction de la membrane cellulaire. Enfin, si des globules rouges étaient ajoutés après la bactériolyse, ils demeuraient intacts car l’alexine, alias complément, avait été consommé par la première réaction.

Les choses auraient pu s’arrêter là, c’eût été suffisant pour le Prix Nobel, mais c’eût été mal connaître Jules Bordet. Non content d’avoir établi l’un des processus fondamentaux de l’immunité anti-infectieuse, il voulut en tirer des applications pratiques et sur la base de l’expérience de consommation du complément, inventa une méthode de diagnostic encore utilisée, bien que plus rarement : la réaction de fixation du complément. Celle-ci permit rapidement, par la détection d’anticorps spécifiques, donc de manière indirecte, le diagnostic d’infections dont l’agent pathogène était difficile à cultiver, donc à identifier : fièvre typhoïde, tuberculose et surtout syphilis où l’on obtenait la trace sérologique de l’immunisation contre le Tréponème causal. Ce fut le fameux BW, ou test de Bordet-Wassermann, une étape dans l’histoire du diagnostic des maladies infectieuses. [2]

La sérologie s’est améliorée en sensibilité et spécificité dans la seconde moitié du XXe siècle, grâce au développement des tests ELISA, mais a perdu de son importance du fait de l’amélioration spectaculaire des techniques de culture et d’identification bactérienne et virale, puis par l’introduction dans les années 1980 du diagnostic moléculaire, capable d’identifier directement, sans culture préalable et avec une grande sensibilité, la présence d’un agent infectieux dans un échantillon. La méthode de choix est la PCR* [3] basée sur l’amplification d’une séquence génétique spécifique du pathogène. La sérologie a de ce fait été progressivement reléguée au seul diagnostic a posteriori d’une maladie infectieuse avec des exceptions de taille, comme l’infection VIH-SIDA et les viroses émergentes dont le nombre total de cas sur une population donnée (prévalence) nécessite d’être établie et suivie dans le temps et l’espace de manière à décider, par exemple, de la nécessité de développer un vaccin. La sérologie garde donc sa pertinence pour évaluer la dynamique d’extension d’une épidémie.

Il semblait important de revenir sur ces points d’histoire pour éclairer les débats à un moment où, dans la crise du Covid-19, se posent des questions que se posaient il y a plus d’un siècle Jules Bordet, Paul Ehrlich et Emil von Behring, celles du rôle de la sérologie dans le diagnostic et la prévention des maladies infectieuses, à une époque où balbutiait le diagnostic microbiologique et où n’existaient ni antibiotiques ni antiviraux.

Pour se remettre dans l’ambiance du début du XXe siècle et mieux ressentir le désarroi et la motivation des médecins et scientifiques devant l’émergence de nouvelles maladies, il suffit de lire l’article très émouvant publié dans Science en mai 1919 par le Médecin-Major George A. Soper, revenant sur l’évolution de la pandémie de grippe espagnole : « The most astonishing thing about the pandemic was the complete mystery which surrounded it. Nobody seemed to know what the disease was, where it came from or how to stop it  » [4].

Immunité et protection

La sérologie évalue donc l’immunité développée contre un agent pathogène. Elle mesure la quantité d’anticorps spécifiques de ces pathogènes. Les premiers anticorps produits, après un temps de latence, appartiennent à la classe des IgM (immunoglobulines M) de faible affinité pour leur antigène (intensité de l’attraction de l’anticorps pour son antigène). Elles laissent progressivement la place aux IgG (immunoglobulines G), de plus forte affinité, durablement produites par l’organisme, donc offrant la meilleure signature de l’infection à distance de cette dernière, la présence des IgM témoignant d’une infection débutante. En cas de réinfection par le même pathogène, le taux d’IgG spécifiques ré-augmente rapidement par réactivation de la mémoire immunitaire : c’est la réponse secondaire. Le délai d’apparition des anticorps spécifiques et la qualité et durée de la mémoire immunitaire varient en fonction du pathogène et de l’hôte infecté. Une semaine environ est nécessaire pour voir apparaître les IgG.

Il ne faut cependant pas confondre immunité et protection : certaines infections immunisent et protègent pour la vie, comme la rougeole, d’autres immunisent mais ne protègent pas efficacement comme le VIH, d’autres enfin offrent une protection relativement brève.

Même si c’est souvent le cas, il ne faut donc pas confondre présence d’anticorps, comme les IgG, signant la réponse immunitaire, et existence d’une protection. Ces anticorps sont souvent neutralisants, c’est-à-dire capables d’empêcher le processus infectieux dans un modèle in vitro ou chez un animal d’expérience, et qui ont donc de fortes chances d’être protecteurs lorsqu’ils apparaissent chez l’homme ; mais il peuvent ne pas être neutralisants ou l’être faiblement, voire parfois être facilitateurs du processus infectieux, ce qui invite à la prudence devant l’interprétation d’une sérologie positive lorsque l’on n’a pas suffisamment de recul sur une maladie nouvelle, donc sur la nature et la qualité de la réponse immunitaire.

Il faut aussi souligner que, particulièrement au cours des infections virales, c’est surtout la réponse cellulaire qui prend en charge l’éradication du virus. D’abord la production des interférons de type 1 antiviraux, puis la réponse spécifique assurée par certaines populations de lymphocytes, très tôt induites, surtout de type T CD8+. Contrairement à la découverte d’anticorps spécifiques signant la réponse humorale comme déjà décrit, la recherche de marqueurs d’immunité cellulaire est plus laborieuse, et l’on ne dispose pas de tests faciles au lit du patient. Les anticorps jouent finalement un rôle plus ou moins ancillaire dans la protection jusqu’à ce que, par la succession de mutations somatiques dans le gène de leur portion variable, leur spécificité et affinité pour le pathogène augmentent et que leur rôle neutralisant s’accentue, devenant très importants en cas de réinfection.

L’infection par les coronavirus induit une réponse immunitaire qui comporte la production d’anticorps spécifiques dont on attend qu’ils participent à la guérison en association avec la réponse cellulaire. Ces anticorps de spécificité et affinité croissantes sont aussi attendus dans la protection contre une réinfection ultérieure par le même coronavirus, ou possiblement, par un virus proche. Les infections par des alpha-coronavirus responsables de fréquentes rhinopharyngites, pneumopathies et diarrhées, généralement bénignes, chez le jeune enfant stimulent une réponse cellulaire et la production d’anticorps qui ne semblent pas reconnaître les antigènes clés de la protection contre les beta-coronavirus comme SARS-CoV2. Pas d’immunité ni de protection croisée a priori, bien que l’on continue à s’interroger sur les raisons de la bénignité des infections à SARS-CoV2 chez les enfants et donc sur la possibilité d’un certain degré d’immunité croisée induite par la diversité d’alpha-coronavirus à laquelle ils ont été exposés dans leur prime-enfance.

La protection au niveau des muqueuses

À côté des IgM et des IgG qui sont retrouvées dans le sérum et reflètent le caractère systémique de la réponse immunitaire humorale, il convient ici de mentionner une autre classe d’immunoglobulines, les IgA, que l’on retrouve certes dans le sérum, mais qui sont surtout présentes dans les sécrétions muqueuses sous la forme d’IgA dites sécrétoires (sIgA). Ces sIgA sont produites par des cellules spécialisées peuplant les tissus situés sous l’épithélium, c’est-à-dire sous la couche cellulaire séparant le milieu intérieur et la surface de la muqueuse. Elles sont activement sécrétées à travers cet épithélium dont elles vont assurer la défense de surface. Les sIgA ont une forte capacité de capture et de neutralisation des pathogènes à la surface de la muqueuse, avant même qu’ils aient pu envahir l’épithélium et diffuser dans l’organisme. Une sorte d’interception avant que le pathogène ait atteint sa cible. Cela concerne bactéries comme virus, les sIgA étant sécrétées par l’épithélium naso-pharyngé, trachéo-bronchique, mais aussi intestinal et rénal. La recherche des sIgA spécifiques est rarement effectuée en routine. Elle pourrait être importante à évaluer, au moins au niveau naso-pharyngé, dans Covid-19. En effet, il semble que les sujets porteurs asymptomatiques ou pauci-symptomatiques ne montrent pas de trace de réponse humorale systémique, leur sérologie étant faiblement positive, retardée ou négative. Il se pourrait néanmoins que ces sujets aient développé une réponse muqueuse au moins protectrice au niveau de la porte d’entrée du virus, le rhino-pharynx. Il est urgent de développer, en complément de la sérologie, des tests de détection des sIgA spécifiques à partir de sécrétions naso-pharyngées telles qu’elles sont prélevées pour réaliser la qRT-PCR nécessaire au diagnostic moléculaire de la présence du virus.

Les deux antigènes principaux, c’est-à-dire les deux protéines du coronavirus les mieux reconnues par le système immunitaire, au moins humoral, sont la nucléoprotéine, ou protéine N et la protéine S formant les spicules (spikes), qui donne son aspect en couronne au coronavirus. La protéine N est produite en très grande quantité dans la cellule infectée. Elle se lie à l’ARN viral en formant autour de lui une « nucléocapside ». Elle est libérée en grande quantité lors de la lyse cellulaire, ce qui explique qu’elle représente l’un des antigènes dominants. La fonction des anticorps anti-N n’est cependant pas claire, car hors l’étape de lyse cellulaire, la nucléocapside est située au sein de la particule virale, donc inaccessible aux anticorps.

La protéine S est la cible essentielle des anticorps neutralisants. Sa fonction est double : se lier au récepteur cellulaire commun à SARS-CoV1 et 2, l’« angiotensin-converting enzyme 2 » (ACE2) et provoquer la fusion de l’enveloppe virale avec la membrane cellulaire, permettant l’infection des cellules exprimant ce récepteur. Les anticorps neutralisants interfèrent avec ces deux fonctions clés de l’infection virale.

Ces deux antigènes, N et S sont utilisés dans le diagnostic sérologique. Les anticorps anti-N, atteignant des titres très élevés du fait de la libération massive de nucléoprotéine, offrent une grande sensibilité pour la détection des sujets infectés. Ils ne signent par contre en aucun cas l’établissement d’une protection contre une réinfection. C’est donc un instrument essentiel d’étude rétrospective de la prévalence de l’infection dans une population. La présence et surtout le niveau d’anticorps anti-S devrait en théorie permettre d’évaluer le degré de protection d’un sujet infecté, car ces anticorps sont neutralisants. Bien que cette protection soit hautement probable, sa réalité et le titre seuil d’anticorps assurant cette protection demandent maintenant à être confirmés dans des études dédiées. Nous y reviendrons, car c’est un élément de confusion dans la relation immunité-protection. Comme déjà mentionné, il semblerait important de compléter ce dispositif de diagnostic sérologique par un test évaluant l’existence de sIgA anti-N et anti-S au sein des sécrétions naso-pharyngées.

Les trois types de tests sérologiques

Trois catégories de tests sérologiques Covid-19 sont actuellement disponibles, répondant à des questions et des exigences opérationnelles différentes.
 Tests de diagnostic rapide (TDR). Ces tests qualitatifs (positif/négatif) sont basés sur le principe de la diffusion latérale préférentiellement obtenue sur une bandelette. Ils sont de petit format, portables, réalisés au chevet du malade (“point of care” - POC). Ils peuvent utiliser de très petites quantités de sang prélevé au bout du doigt, de la salive ou un écouvillonnage nasal. Comme des tests de grossesse, ils se traduisent par l’apparition d’une bande colorée. Pour les tests Covid-19, ils détectent les anticorps (IgG et IgM).
 Enzyme-linked immunosorbent assay (ELISA). Ces tests peuvent être qualitatifs ou quantitatifs. Ils sont pratiqués dans un laboratoire spécialisé à partir d’un échantillon de sang total, de plasma ou de sérum déposé dans le puits d’une plaque multi-puits recouverts de la protéine S ou N. La plaque est ensuite incubée et si le patient possède des anticorps spécifiques, ils se fixent sur la protéine et sont révélés dans une seconde étape par une réaction enzymatique ou par fluorescence discriminant éventuellement IgG et IgM. 
 Tests de neutralisation. Ces tests nous ramènent à Jules Bordet. Ils sont de réalisation plus complexe et non disponibles en routine, car ils exigent un système virus-cellule établi in vitro en conditions de sécurité adaptées, afin de démontrer l’effet neutralisant de l’infection cellulaire par les anticorps spécifiques détectés par les méthodes précédentes.

Utilité des tests sérologiques

Interrogeons-nous finalement sur l’intérêt et les indications de la sérologie Covid-19 et sur les niveaux d’intégration de ces tests dans les mesures de contrôle de l’épidémie après la sortie de confinement qui se profile et à plus long terme. Si un sujet présente des anticorps, il est immunisé, mais cette immunité est-elle protectrice ? Question majeure, tant ce virus et la réponse de l’hôte comportent encore des zones d’ombre.

Les anticorps semblent séroneutralisants in vitro d’après les premiers résultats chez les sujets ayant présenté une maladie symptomatique, mais le sont-ils in vivo ? On peut, jusqu’à preuve du contraire, faire le pari que les sujets séropositifs sont (relativement) protégés contre une réinfection. Des travaux réalisés en Chine sur le singe macaque, infecté expérimentalement par voie intra-nasale par SARS-CoV2, ont montré qu’une majorité d’animaux développaient la maladie, pour l’essentiel sous forme relativement bénigne, mais validant néanmoins le modèle. Tous les animaux infectés ont montré une séroconversion et ont guéri. Lorsque la moitié du contingent fut expérimentalement réinfectée avec un titre équivalent de virus par la même voie, non seulement les animaux n’ont développé aucun symptôme clinique et biologique, mais la recherche du virus par qRT-PCR a montré une élimination rapide de la présence virale dans tous les tissus testés, y compris dans le naso-pharynx. Ces résultats sont encourageants à double titre : non seulement ils montrent le développement d’une immunité systémique et une bonne corrélation entre l’apparition d’anticorps neutralisants et la protection, mais ils suggèrent aussi, même si elle n’a pas été évaluée directement, le développement d’une immunité muqueuse locale dont témoigne l’incapacité de colonisation virale du naso-pharynx lors de la réinfection [5]. Un vieil adage en matière de modèles animaux expérimentaux de maladies infectieuses humaines dit : « la souris ment toujours, le singe dit parfois la vérité ». Faisons le pari que le singe dit la vérité… au prix de quelques petits mensonges car comme le coronavirus, le singe est espiègle.

Réfléchissons à la contribution de la sérologie Covid-19 à l’échelon individuel. Il existe un intérêt individuel évident pour les sujets professionnellement exposés, les personnels de santé et plus largement les catégories professionnelles exposées au public. Si la sérologie est positive, cette information est indéniablement rassurante pour le sujet et sa famille. Si la sérologie est négative, il y a nécessité de redoubler d’attention dans la prévention. Certains vont jusqu’à proposer l’octroi d’un « certificat de séropositivité » permettant en particulier une reprise prioritaire des activités professionnelles. C’est le cas dans certaines provinces italiennes, en Allemagne et même en France.

La pertinence de la création d’un tel statut peut se discuter pour plusieurs raisons : les incertitudes qui demeurent sur la question de savoir si séropositivité signifie vraiment protection et absence de portage viral, nécessitant de doubler la sérologie par un diagnostic moléculaire du SARS-Cov2 ; l’évidence croissante que ces sujets séropositifs sont minoritaires dans la population générale, donc un faible impact attendu de cette mesure. Enfin, il faut s’interroger si, dans une perspective sociologique actuellement tendue, il est bon de créer une catégorie supplémentaire de citoyens bénéficiant des effets d’une « ségrégation positive » incitant certains à se sentir libres de déroger à la règle commune de distanciation sociale et d’hygiène renforcée, alors que ce statut fragile de protection incitera d’autres, dans une attitude altruiste, à s’exposer plus encore dans des engagements au chevet de patients infectés. Il semble urgent d’attendre des réponses scientifiques claires avant de formaliser un statut.

En conclusion, concernant la dimension individuelle des résultats de la sérologie, il est important de préserver le dialogue singulier médecin-patient afin d’informer clairement ce dernier de ce que signifie réellement pour lui cette séropositivité et dans quelle mesure elle peut changer son attitude sociale dans la longue et sensible période qui suivra la sortie de confinement. C’est un défi supplémentaire pour notre intelligence individuelle et collective.

Sur ces bases, réfléchissons sur l’intérêt de la sérologie Covid-19 à l’échelon collectif. L’intérêt majeur de la sérologie est épidémiologique en ce qu’elle permet d’évaluer rétrospectivement la prévalence de l’infection Covid-19 dans une unité géographique définie (collectivité scolaire ou autre, région, voire pays), une catégorie socio-professionnelle particulière, sur une période donnée ou dans le temps écoulé depuis le début de l’épidémie. Elle sera d’autant plus importante qu’elle apportera des données de prévalence réelle dans une maladie marquée par un pourcentage important de patients porteurs asymptomatiques ou pauci-symptomatiques du SARS-CoV2 sous-estimant le nombre réel de cas et par une grande hétérogénéité territoriale de la prévalence. Encore faut-il que ces formes bénignes ou ce portage aient donné lieu à une séroconversion. Un travail collaboratif très récemment publié, mené par l’Institut Pasteur est exemplaire concernant l’apport de la sérologie dans l’appréciation de la dynamique de l’épidémie au sein d’une collectivité scolaire prise comme modèle [6]. Il apporte aussi une donnée plus générale importante. Comparé au 25,9 % de taux d’attaque infectieux dans l’établissement étudié, le taux d’attaque moyen de la population apprécié par sérologie sur un échantillon de donneurs de sang du même département est de 3 %, pourcentage nettement inférieur aux 10-12 % attendus, selon des données éparses en France, dans les zones qui ont subi des foyers très actifs. Quoi qu’il en soit, cette donnée indique que le taux d’attaque global de Covid-19 est resté bas dans notre pays et que vu la tension d’ores et déjà subie par notre système de santé pour un tel taux d’attaque, il est hors de question de baser nos stratégies sur l’attente progressive d’un taux d’attaque de 60-70 % de la population, assurant une immunité collective. En cela la sérologie est importante à l’échelle collective. Elle devient un outil majeur de l’épidémiologie interventionnelle : nous devons nous protéger et non nous infecter en attendant traitement et vaccins qui seuls pourront changer la donne. Le prix humain de l’immunité collective serait exorbitant.

Ces données acquises, un suivi est bien entendu important, mais la valeur de ces tests immunologiques pratiqués à grande échelle perd de son impact en tant que paramètre majeur influençant le pilotage des mesures de prévention. La pratique des tests PCR indispensables à la détection des porteurs du virus et leur isolement, qui est le corollaire de la stratégie d’évitement de l’infection, sera de facto en première ligne. Les tests sérologiques resteront néanmoins essentiels, sous réserve d’être pratiqués avec des objectifs clairement définis, dans un cadre méthodologique rigoureux accompagné d’un suivi dans le temps, pour répondre aux questions clés qui vont dominer la période d’incertitude à venir :

 Les sujets séro-positifs sont-ils protégés ? Quelle est la durée de cette protection ? Existe-t-il des rechutes voire de vraies réinfections ?

 Les sujets porteurs pauci-symptomatiques ou asymptomatiques sont-ils protégés ? Quel pourcentage d’entre eux a réellement séro-converti et à quel niveau ? Leurs anticorps sont-ils neutralisants ? Pour cette catégorie de sujets, si les réponses sur l’état de protection ne sont pas claires - ce qui est probable - il conviendrait de mettre très rapidement au point et rendre disponibles des tests évaluant l’immunité muqueuse, fondés sur les sIgA anti-protéines N et S produites par l’épithélium naso-pharyngé.

 Quelle est la durée du portage viral et de la capacité d’excrétion-transmission virale (autrement dit de contagiosité) après guérison clinique et séroconversion ?

Il faudra aussi dans le futur généraliser ces tests sérologiques devant des situations inexpliquées de défaillances d’organes, en particulier cardiorespiratoires et de syndromes d’allure immuno-pathologique, afin de définir un cadre nosologique correspondant à de possibles séquelles tardives de la maladie.

Conclusion

En conclusion, à une échelle collective, la sérologie gardera une place essentielle dans la stratégie globale de contrôle de Covid-19 en ce qui concerne la compréhension de l’histoire naturelle de la maladie, l’orientation des stratégies de prévention et les choix en matière de vaccination. Sa pratique ne vaudra cependant que par la qualité technique certes, mais surtout méthodologique du cadre de leur réalisation. Un criblage global sans questions précisément formulées, sans méthodologie rigoureuse et sans suivi temporel risque de représenter un exercice coûteux et de faible impact sanitaire.

Au fond, comme souvent en médecine et en biologie, c’est la complémentarité des approches et non leur exclusivité qui doit prévaloir. Jules Bordet le disait à sa manière : « L’un des grands services que chaque science peut rendre à nos recherches, c’est de nous inviter, en servant d’introduction, à la quitter pour sa voisine ». Pour y revenir ensuite, ajouterons-nous…

par Philippe Sansonetti, le 5 mai 2020

Pour citer cet article :

Philippe Sansonetti, « Que nous disent les sérologies ?. Covid-19, chronique d’une émergence annoncée, chapitre 3 », La Vie des idées , 5 mai 2020. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./Que-nous-disent-les-serologies

Nota bene :

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Notes

[1*qRT-PCR : cette PCR en temps réel (RT), quantitative (q) est une variante technique sophistiquée dans laquelle on mesure à chaque cycle d’amplification l’accroissement d’acides nucléiques dans l’échantillon (RT). L’intégration de ces étapes va permettre de quantifier très précisément la quantité d’acides nucléiques dans l’échantillon (q). S’il s’agit d’un virus, cette méthode fournit une quantification de la «  charge virale  » présente dans l’échantillon.

[2Jean-Marc Cavaillon, Philippe Sansonetti, Michel Goldman. [100th Anniversary of Jules Bordet’s Nobel Prize : Tribute to a Founding Father of Immunology)>https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/?term=Cavaillon+JM&cauthor_id=31572361]. Front Immunol. 2019 Sep 11  ;10:2114. doi : 10.3389/fimmu.2019.02114. eCollection 2019.

[3PCR : l’amplification en chaîne par polymérase - ou PCR - est une technique de biologie moléculaire d’amplification génique in vitro. Elle permet de dupliquer avec un facteur de multiplication de l’ordre du milliard une séquence connue d’ADN ou d’ARN à partir d’une quantité infinitésimale d’acides nucléiques dans l’échantillon étudié. Elle est donc d’une extrême sensibilité et spécificité, au prix de conditions très rigoureuses de réalisation.

[4George A. Soper, The Lessons of the pandemic. Science, May 30, 1919.

[5Bao L et coll. bioRxiv preprint.

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