Plusieurs textes récents, publiés dans diverses publications ou dans des cadres tels que La Vie des Idées, ont visé à populariser l’idée d’une nécessité des statistiques ethniques dans les enquêtes ou bases de données de la statistique publique dans les démocraties contemporaines. Pourtant, je voudrais montrer qu’on ne peut considérer le refus des statistiques ethniques dans la statistique et les enquêtes officielles comme une position marginale dans les univers sociaux concernés par les débats autour de ces questions. La première dimension de la question sur la justification de l’utilisation de catégories et statistiques ethniques en sciences sociales mérite que l’on regarde avec attention les arguments développés par les chercheurs sur les limites de ces statistiques ethno-raciales. Il importe ensuite de rappeler que les statistiques peuvent avoir non seulement des usages administratifs et politiques différents selon les contextes socio-historiques. Par ailleurs, des spécialistes de différents champs du monde social utilisent les données disponibles, et, même si l’on restreint la réflexion au monde de la recherche en sciences sociales, non seulement les sociologues sont concernés, mais aussi les économistes, les démographes et les juristes, notamment, qui apportent eux aussi des éléments d’intelligibilité du social. Les chercheurs en sciences sociales ne sauraient être empêchés d’exprimer des propositions politiques pourvus qu’ils le fassent, en citoyens responsables, au regard de ce qu’ils considèrent être les acquis et échanges scientifiques : or, sur le sujet des statistiques ethno-raciales, le débat est ancien et a été abondé par des contributions très diverses.
Des catégories ethniques discutées
Les interrogations et controverses françaises doivent être replacées dans le contexte plus général du caractère structurel et problématique des débats sur le repérage statistique de « l’ethnicité ». Jay Winter, un des rares universitaires experts en démographie politique (political demography) [1], considère que les débats sur les statistiques ethniques sont extrêmement fructueux en France et au Royaume Uni, par exemple [2]. De plus, si la raison d’être des études quantitatives ne fait aucun doute, et en particulier au vu des conclusions hasardeuses que peuvent produire des analyses spéculatives exclusivement qualitatives (les opinions, y compris celles des chercheurs, se construisent plus souvent à partir d’intuitions que de données [3], elles ne permettent pas à elles seules d’expliquer les phénomènes dans leur totalité. Au niveau européen, des initiatives ont été adoptées pour développer la lutte contre les discriminations raciales sur le marché du travail. Dans les sociétés démocratiques où elle existe, la statistique ethnique publique répond à des objectifs de politiques publiques. Cependant, le processus de construction européenne n’a pas engendré une unification, via l’organisme officiel de statistiques Eurostat (plutôt chargé de compiler les données nationales), des procédures de repérage et d’enregistrement d’appartenances ou origines ethniques des résidents, citoyens de l’Union ou non. Dans l’Union européenne à quinze pays telle qu’elle existait jusqu’en 2005, la France présentait des caractéristiques communes à bien des pays [4] et un seul, le Royaume-Uni, avait intégré des catégories ethniques (et une question sur l’appartenance ethnique au sein des formulaires) dans les données issues des registres de population ou recensements en Grande-Bretagne (soit, d’ailleurs, le Royaume-Uni amputé de l’Irlande du Nord…). Des variables de ce type sont en effet apparues dans le protocole du recensement de 1991 [5]. Le débat français portant sur les faiblesses et le caractère dangereux ou raciste (voire même pro-raciste) des catégorisations n’est pas singulier. Un vrai débat existe aussi en Grande Bretagne [6]. Ainsi, Martin Bulmer s’est demandé, dès 1980 et en 1991, si des catégories des recensements peuvent et doivent être raciales : « Ce que la question ethnique tente de faire c’est de déterminer l’image à laquelle les membres de la société britannique s’assimilent, et de le faire de la manière la plus objective possible » [7]. De son côté, plus récemment, Roger Ballard et ses collaborateurs souhaitaient adopter un point de vue critique à l’égard des dogmes désormais généralement admis au Royaume-Uni [8]. Un article publié dans la revue Patterns of Prejudice (1996) [9] a montré les faiblesses des catégories utilisées dans l’ouvrage officiel publié sous la direction de David Coleman et John Salt, Ethnicity in the 1991 Census Demographic Characteristics of the Ethnic Minority Population publié par Her Majesty Statistical Office (HMSO) [10], ouvrage dont certains collaborateurs ont regretté que le cas des individus aux parents d’origines différentes ne soit pas abordé, ce qui rend impossible « l’identification spécifique de certains groupes importants, et de ceux d’origine raciale mixte en particulier ». Ballard considérait que, malgré la mise en garde de Bulmer contre le caractère « inéluctablement flou » des catégories ethniques nouvellement introduites, la plupart des contributeurs s’étaient contentés de prendre pour acquises la validité et l’utilité des nouvelles variables. Coleman et Salt ont finalement d’ailleurs convenu que « le concept d’ethnicité est un concept mou qui donne naissance à des catégories mal définies » (il faut se rappeler que 79% du groupe des « noirs » britanniques recensés dans l’étude longitudinale de l’ONS de 1991 avaient été codés comme Antillais en 1971 – individus nés avant 1971 –) [11]. Ballard remarque, entre autres, que pas moins de 94% de la population britannique a coché la case « Blanc » sans aucune hésitation, même si cela impliquait de donner une réponse à caractère racial (au regard de l’histoire des classifications), lorsque la question était présentée comme une question « ethnique », censée être conceptuellement différente des questions posées dans deux pays dans le monde (les États-Unis d’Amérique et le Brésil) où les questions et catégories sont à caractère explicitement racial. Cette ambiguïté est considérée comme le plus important problème existant dans le recensement britannique. Comme le soulignaient Kertzer et Arel, cet amalgame des catégories raciales et ethniques était le reflet de pressions politiques [12]. Il existe, depuis longtemps, et dans plusieurs pays du monde, des statistiques publiques regroupant les personnes sur la base d’une appartenance ethnique. Les appartenances doivent être, en principe, définies sur la base d’une déclaration volontaire des individus, parfois limitée au choix entre plusieurs items possibles. Ces pratiques répondent aux exigences du « Code d’éthique professionnelle » de l’Institut International de Statistique : « (...) le statisticien doit être attentif aux conséquences vraisemblables que la collecte et la diffusion de diverses sortes d’informations peuvent entraîner. Il doit prévenir les interprétations et utilisations erronées prévisibles ». Dans un domaine où une démarche irrationnelle l’a trop souvent emporté sur la connaissance des phénomènes objectifs, les chercheurs ont une responsabilité évidente lorsqu’ils utilisent telle ou telle expression. La définition internationale d’une ethnie a été adoptée par la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU. On appelle « ethnie » un groupe humain d’une certaine densité qui n’a pas eu accès au statut d’État mais qui présente néanmoins de longue date plusieurs des caractéristiques suivantes : un territoire (à cheval ou non sur plusieurs États), une langue propre, un nom collectif (parfois imposé par les sociétés voisines, souvent retourné par le groupe lui-même), une histoire singulière (maintes fois tragiques dans les espaces frontaliers), des traits culturels originaux (architecture, cuisine, musique, littérature orale ou écrite) et, enfin, une identité revendiquée et plus ou moins assumée. Pour qu’une collectivité devienne une ethnie, il n’est pas nécessaire qu’elle réunisse toutes ces propriétés, mais il est clair qu’une seule ne suffit pas : il faut une certaine densité des échanges que l’on ne retrouvera pas nécessairement dans les groupes de personnes ayant appartenu à une ethnie donnée puis ayant migré dans un autre pays. Pour l’ONU, la possibilité de catégoriser les données en fonction des groupes ethniques n’est pas essentielle dans le cadre d’un recensement (ce n’est pas, selon l’expression onusienne, une « caractéristique fondamentale » des populations). Cela illustre aussi la difficulté d’asseoir des méthodologies communes applicables par les différents pays et la relecture des catégories ethniques britanniques à l’aune de ces définitions internationales met encore davantage en relief les dimensions problématiques des catégories en vigueur en Grande-Bretagne. Les chercheurs en sciences sociales considèrent souvent que les groupes ethniques sont des constructions sociales et c’est la raison pour laquelle Ballard pense qu’il est préférable de considérer que les minorités naissent d’un sens de loyauté sociale et culturelle définie par un groupe [13]. Ainsi, des chercheurs soucieux de faire coïncider études statistiques et approche sociologique de l’ethnicité tentent d’utiliser de nouvelles méthodes de validation de constitution des groupes ethniques, à partir de méthodes statistiques sophistiquées [14].
Pluralité des appartenances, pluralité des sciences sociales
La scientificité en sciences sociales me semble ne pouvoir s’appuyer seulement sur les acquis d’une seule discipline dès lors qu’il s’agit d’envisager des questions sur lesquelles plusieurs disciplines ont vocation à apporter des éclairages et analyses. Or, la statistique ethno-raciale n’a pas pour seule finalité de rendre pertinent un discours littéraire où les questions des dynamiques démographiques des populations et les analyses économiques du marché du travail où sévissent des discriminations n’auraient pas leur place. Dans ce domaine, des éléments essentiels sont oubliés par ceux qui minorent les problèmes qu’entraîne la constitution de statistiques ethniques et qui négligent les insuffisances des analyses de la discrimination qui reposent sur une description simpliste (à partir d’une variable ethnique qui devient l’alpha et l’omega de l’explication) des phénomènes complexes associés à l’existence de discriminations.
Aux USA, il est reconnu que, depuis l’introduction, en 1977, de questions sur les appartenances ethniques et raciales dans le questionnaire du recensement, les données recueillies sont de moins en moins aisément exploitables. En effet, dans le contexte d’entretiens cognitifs, les réponses variaient de manière non négligeable en fonction de la formulation des questions et de l’ordre des éléments de réponse proposés. Lorsque les questions offraient la possibilité d’inscrire une appartenance plurielle, cette dernière catégorie était sélectionnée nettement plus souvent lorsqu’elle était située à la fin de la liste proposée aux sondés. De même, pour la question de l’appartenance ethnique – éventuellement couplée avec une question sur les groupes raciaux –, la taille des groupes raciaux que l’on obtient varie considérablement. Ainsi, dans l’enquête ‘Current Population Survey’ de mai 1995 lancée par le Bureau of Labor Statistics (Service de la statistique du travail), le pourcentage des individus que l’administration avait considérés auparavant comme latino-américains et qui se sont déclarés spontanément sous cette rubrique varie de 79 à 95% selon la taxinomie testée. De surcroît, les caractéristiques socioéconomiques des populations ainsi construites variaient considérablement selon la manière dont étaient traitées les informations recueillies [15].
Ainsi dans ce pays, un nombre croissant d’individus a remis en cause la classification des populations à partir des réponses à la question sur l’appartenance ethnique. Depuis l’anthropologue Franz Boas, nombreux sont ceux qui se sont demandé s’il était pertinent de classer les individus selon des appartenances ethniques ou raciales [16]. Dans le cadre des pré-enquêtes réalisées pour tester les questionnaires avant le recensement, les modifications envisagées suite aux faiblesses des nomenclatures habituelles ont révélé le caractère insoluble de la question de la détermination de l’appartenance à des groupes ethniques ou raciaux. Jusqu’à la fin du siècle dernier, il était impossible aux individus de déclarer des appartenances raciales, ethniques ou une ascendance multiples. De nombreux parents ont objecté qu’au moment de remplir les fiches d’inscription à l’école, il leur était difficile d’indiquer pour leurs enfants une appartenance unique à une minorité ou une communauté, culturelle ou ethnique. Une telle attitude reviendrait à nier les différences entre le vécu des parents et celui de leurs enfants. De manière similaire, il conviendrait de ne pas vouloir à tout prix préférer une analyse en termes de « frontières ethniques » (concept d’ « ethnic boundaries » que privilégie le sociologue américain Richard Alba dans sa dernière étude de ce qu’il nomme « l’assimilation » [17]) qui s’opposeraient, aux frontières réelles franchies par les parents et parfois par les enfants eux-mêmes. Le rôle de la migration ne peut être ignoré a priori lorsque l’on étudie les insertions socio-économiques des enfants d’immigrés (certains de ces enfants sont nés dans le pays d’accueil et d’autres y sont arrivés pendant leur enfance) par rapport à celles des parents immigrés.
L’argument selon lequel il existerait une génération suivante ethniquement homogène (« les petits enfants d’immigrés ») nie l’existence des origines mixtes et celle des possibilités d’avoir des enfants avec une personne d’une autre « génération » repérée à partir d’une migration ou origine ancestrale. L’affiliation ethnique ne doit pas être conçue, par essence, comme étant une affaire d’hérédité. Faut-il rappeler que certains des protagonistes des débats actuels en France, ont été muets sur des ouvrages, issu de l’enquête MGIS ou non, dans lesquels les catégories ethniques étaient justement définies à partir de l’hérédité, parfois en remontant loin dans le temps lorsqu’il s’est agi de définir des « Français de souche » ou encore des origines et appartenances ethniques à des personnes, sur la base d’ascendances pluri-générationnelles, tout en négligeant l’absence de rigueur et de scientificité du classement en générations « rangées » (« classées par rang ») [18] ? La faiblesse historique des catégories ethniques est qu’elles ont rarement échappé à des associations, le plus souvent actées, à des dimensions héréditaires [19].
Ainsi, il y a des raisons scientifiques qui amènent un certain nombre de chercheurs, dont je suis, à s’opposer aux statistiques socio-démographiques ethno-raciales. Ces raisons sont liées à la conception que nous avons d’un champ de la sociologie, la démographie (sur la démographie comme dimension du champ de la sociologie la littérature est trop souvent ignorée). Le phénomène migratoire et ses conséquences fait s’éloigner la démographie de ce « système clos qui se prête facilement à une analyse statistique » (Jay Winter [20]), tel qu’il fut pensé en référence à des populations théoriques fermées. Ainsi que nous l’avions rappelé dans un article publié en 1999 dans un numéro de Pour la Science consacré aux mathématiques sociales, l’attribution autoritaire de nationalités (ou d’ethnies) aux individus masque l’aspect dynamique des appartenances à des communautés [21]. Or, la démographie se définit justement par « l’étude de la dynamique et du renouvellement de populations ayant une signification sociale ». Il est sidérant de voir que de nombreux chercheurs en sciences sociales favorables aux statistiques ethniques, en particulier sociologues, font comme si d’autres sciences sociales utilisant les statistiques, et la démographie au premier rang, n’avaient pas leurs propres schèmes de cohérence qui rendent très hasardeuse toute statistique ethnique. Faut-il rappeler l’a-scientificité des projections démographiques de populations « ethniques » ou « raciales », exercices si particuliers dont l’histoire est accablante, des travaux de Bürgdorfer [22] à ceux, récents ou non, de démographes français véhiculant les idées de l’extrême droite ?
Du point de vue des acquis de l’économie, il importe de rappeler que l’existence de taux de chômage élevés parmi certaines populations doit être analysée non seulement à partir d’une mesure transversale mais aussi de manières longitudinales et/ou rétrospectives afin de mieux appréhender les distorsions entre le capital humain et les situations professionnelles [23], tout en intégrant que les populations peuvent être concernées par une forte émigration [24]. Il importe donc de mesurer des effets sur des probabilités d’installation dans des situations durables de chômage, par rapport à l’ensemble de la population active : les actifs potentiels peuvent être conjoncturellement soumis au chômage, ce qui peut inciter les personnes concernées à quitter la France. On ne peut, en complément, étudier les destinées des individus, sans prendre en compte, dans l’analyse de processus d’intégration sociale plus ou moins qualifiants, la question de la citoyenneté [25]. Elle ne peut être systématiquement négligée comme d’autres travaux l’ont omise, dans les études sur le chômage. L’inégalité de traitement en matière d’emploi est un obstacle aux « processus » d’intégration sociale et politique [26]. Réciproquement, l’acquisition de la nationalité française a des effets significatifs sur l’accès à l’emploi, ainsi que les études le démontrent régulièrement, comme la revue de la littérature en atteste [27].
En 1997, au moment où je soutenais ma thèse de doctorat, je publiais, en Suisse et en anglais « Unemployment Among Young People of Foreign Origin in France : Ways of Measuring Discrimination" [28]. La question des discriminations était déjà sur le devant de la scène. Neuf ans plus tard (2006), dans une analyse plus détaillée, plus approfondie, réalisée à partir de données de 1999 : il a été, pour la première fois, possible de différencier les jeunes adultes selon que un ou deux de leurs parents étaient étrangers [29]. Parmi les jeunes hommes, ceux ayant deux parents maghrébins sont les plus en difficultés sur le marché du travail. Les jeunes hommes ayant deux parents immigrés d’Afrique sub-saharienne sont aussi manifestement discriminés. Les jeunes dont seul un parent (généralement le père) est immigré d’Afrique sub-saharienne n’apparaissent pas comme étant significativement pénalisés, mais la population concernée est très hétérogène, et dans l’échantillon, l’effectif des individus concernés est de petite taille. Les jeunes hommes issus de l’immigration maghrébine ont davantage de difficultés quand leur père, dont ils portent souvent le patronyme, est un immigré, tandis que les fils d’une mère immigrée maghrébine et d’un père n’étant pas maghrébin (donc souvent français de naissance) ne rencontrent pas autant de difficultés. Il est probable qu’il y ait donc un effet du nom de famille sur les probabilités d’embauche. Les jeunes hommes actifs ayant au moins un parent turc n’apparaissent pas comme étant plus touchés par le chômage (16,5 %, soit un taux de chômage de 20 % car 64 % travaillent) que les fils de Français de naissance, ou que les fils d’immigré(s) européen(s) ou asiatique(s). Les jeunes femmes de même origine sont 21 % à être au chômage et 41 % à travailler. Des analyses non reproduites dans cet article montrent aussi que les jeunes femmes issues de familles d’immigrés asiatiques ne semblent pas pénalisées sur le marché du travail. En 1999, le taux de chômage des hommes d’origine algérienne âgés de 20 à 29 ans était de 41 % : tandis que 41,5 % de l’ensemble des jeunes hommes de cette origine avaient un emploi, 29 % étaient au chômage (35 % pour les étrangers, soit un taux de chômage aux alentours de 48 % pour ceux nés à l’étranger – ou de nationalité étrangère –, contre 40 % pour ceux nés en France qui ont presque tous la nationalité française). On retrouve un taux de chômage similaire pour les hommes d’origine marocaine (26 % des jeunes au chômage, soit un taux de chômage de 40 %). Pour les adultes dont les deux parents sont français de naissance, le taux de chômage est de 18 %, 15 % pour les hommes, 21 % pour les femmes). Les jeunes femmes d’origine algérienne, en particulier les plus diplômées, sont (légèrement) moins touchées par le chômage que les hommes de même origine (24 % des femmes de 20 à 29 ans, soit un taux de chômage de 37 %).
Au delà des recherches, l’engagement citoyen
On l’aura compris, le refus des statistiques ethniques ne découle pas nécessairement d’un désintérêt pour l’étude des discriminations, a fortiori lorsque cela est exprimé dans une revue dite académique. Le soutien à la création de statistiques ethniques relève d’une position essentiellement politique, alors que l’on peut concevoir qu’il pourrait exister une nécessité scientifique de disposer de telles données (à condition que leur scientificité ou leur rigueur soit acceptée) non reliée à une éventuelle nécessité politique. Ce sujet, on le voit, permet donc de situer ce qui relève de la position politique par rapport à ce qui relève de l’état des discussions et savoirs dans les sciences sociales. Dans un tel contexte, la possibilité d’identifier des dynamiques discriminatoires sans le recours à des statistiques ethniques affaiblit considérablement la pertinence des affirmations de certains chercheurs qui ont d’ailleurs souvent cherché à faire comme si cette possibilité n’existait pas.
Enfin, à défaut d’une conclusion qui ne ferait que reprendre les éléments rappelés plus haut, peuvent enfin être présentés des éléments d’un tout autre registre que ceux qui ont été évoqués ci-dessus. Les arguments développés ci-dessous sont explicitement politiques, même s’ils sont perçus, au moins par leur auteur, comme s’appuyant sur un constat qui semble peu discutable. La catégorie « enfant d’immigré(s) » pourrait être à la base d’un objectif ambitieux de politique de lutte contre les discriminations, car fondé sur un « rattrapage » de handicaps en une seule génération. En cas de constitution de statistiques ethniques que certains appellent de leurs vœux, les discriminations existantes participeraient à la construction d’une population de citoyen(ne)s qui se définiraient d’autant plus sur et « dans » des registres (référentiels et « de population ») « ethniques » qu’ils et elles seraient au chômage. Enfin, j’ai eu l’occasion, d’être, par deux fois, élu local. Les sept années de mandat dans une grande ville où la population immigrée est importante, où la diversité culturelle et religieuse des habitants est une expérience de tous les jours, m’ont amené à rencontrer nombre de citoyens, notamment à l’occasion de permanences lors desquelles ces concitoyens venaient m’exposer des problèmes d’accès à l’emploi ou au logement. Dire qu’un grand nombre d’entre eux souhaitent être considérés, dans la vie sociale, indépendamment de leurs origines, langues maternelles, phénotypes mélano-dermiques, me semble couler d’évidence. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les listes des concitoyens qui ont signé des pétitions contre les projets d’enquêtes qui devaient contenir des catégories ethniques finalement invalidées par le Conseil constitutionnel. Parmi les signataires, la liste des sociologues et démographes, parmi lesquels des associés de La Vie des idées, est longue. Puis-je suggérer de prolonger cette première consultation par celle des listes de citoyens indignés par le référentiel ethnique envisagé dans le fichier Edvige ?