par Nicolas Duvoux
Animé par Pierre Mercklé et Igor Martinache, AGORA est un nouveau site consacré à l’actualité des débats autour des transformations et de l’avenir des sciences sociales. AGORA est destiné à servir d’espace documentaire public pour la journée de débats sur l’avenir des sciences sociales qui aura lieu le 9 mars prochain sur le site du boulevard Jourdan, à l’initiative du Réseau thématique pluridisciplinaire (RTP) « Société en évolution, science sociale en mouvement » du CNRS.
Au-delà de cette journée, l’ambition du site est de mobiliser la communauté des chercheurs en sciences sociales en publiant des points de vue et des contributions originales, et en ouvrant des espaces électroniques de discussion autour de ces contributions.
Recensé : Marcia Angell, « Drug Companies & Doctors : A Story of Corruption », New York Review of Books, 15 janvier 2009.
par Alexandre Brunet
Après avoir été pendant près de deux décennies la rédactrice en chef de la New England Review of Medicine, Marcia Angell dresse dans cet article de la New York Review of Books un tableau sombre des relations incestueuses entre les compagnies pharmaceutiques et les institutions médicales. La prise de conscience récente de ce phénomène dans l’opinion publique a été favorisée par une investigation menée par le sénateur républicain Charles Grassley – appartenant au Senate Finance Committee – sur les liens entre l’industrie pharmaceutique et les médecins universitaires, dont l’impact sur la valeur marchande des médicaments est considérable. L’industrie a une stratégie commerciale dont le souci premier est la rentabilité économique et qui ne pourrait fonctionner sans l’aide et le consentement des médecins. Ce consentement, selon Marcia Angell, est littéralement acheté par des cadeaux, des honoraires de conseil et la détention d’actions de ces mêmes sociétés. Les personnes impliquées ne sont pas d’obscurs praticiens hospitaliers : l’enquête du sénateur Grassley a révélé que des médecins aussi illustres que le docteur Biederman, professeur de psychiatrie à la prestigieuse Harvard Medical School et à l’hôpital général du Massachusetts de Harvard, ou le docteur Alan F. Schatzberg, de Stanford, président de l’American Psychiatric Association, ont reçu de telles rémunérations se chiffrant en millions de dollars.
Les pratiques qui permettent que de tels liens perdurent sont les suivantes : élimination des résultats de recherches défavorables – comme celles montrant que des placebos sont aussi efficaces à 80% que les cinq antidépresseurs les plus vendus au monde aujourd’hui – ; des réglementations bien trop souples sur les conflits d’intérêts dans les facultés ; ou encore la possibilité de maintenir des recommandations très vagues pour l’application de certains traitements (concernant l’age, la situation du patient, les effets secondaires, etc.)
Selon Angell, les problèmes débattus dans cet article ne se limitent pas à la psychiatrie. Des conflits d’intérêts et des tendances similaires existent dans pratiquement tous les secteurs de la médecine, en particulier dans ceux qui dépendent fortement de l’usage de médicaments et d’instruments. Les nombreuses réformes qui seraient nécessaires pour restaurer l’intégrité de la pratique de la médecine ne sont malheureusement pas débattues dans l’article. Beaucoup d’entre elles impliqueraient l’adoption de nouvelles lois et des changements au sein de la Food and Drugs Administration (FDA) – notamment en ce qui concerne son processus interne d’approbation de médicaments. Il est aussi urgent que la profession médicale commence à se sevrer de l’argent de l’industrie pharmaceutique.
Le site de la New York Review of Books
Reviewed : Marcia Angell, « Drug Companies & Doctors : A Story of Corruption », New York Review of Books, January 15, 2009.
by Alexandre Brunet
Having been the editor of the New England Review of Medecine for two decades, Marcia Angell paints a dark picture of the incestuous relationship between drug companies and medical institutions. Public awareness of this issue has been raised of late by the enquiry led by Rep. Sen. Charles Grassley of the Senate Finance Committee into the financial ties between the pharmaceutical industry and the academic physicians who have a considerable impact on the market value of prescription drugs. While the former have profit-orientated agendas, their strategies could not function without the help and consent of the latter ; this consent is, according to Marcia Angell, quite literally bought, in gifts, consultancy fees and stocks. And not just any academic physicians : Sen. Grassley’s investigation put into the light the fact that people like Dr. Biederman, professor of psychiatry at Harvard Medical School and chief of pediatric psychopharmacology at Harvard’s Massachusetts General Hospital, or Dr. Alan F. Schatzberg, chair of Stanford’s psychiatry department and president-elect of the American Psychiatric Association, had received such forms of remuneration in millions of dollars.
The practices put into place to permit such an association comprise of suppressing unfavourable research – the kind which, when unearthed, show that placebos are 80% as effective as the five best-selling antidepressants in the world today –, of loose and loosely applied regulations over faculty conflicts of interest, and the ability to maintain vague enough recommendations for the application of certain medications (regarding age group, condition, side-effects and so on).
According to Angell, the problems discussed here are not limited to psychiatry, although they reach their most florid form there. Similar conflicts of interest and biases exist in virtually every field of medicine, particularly those that rely heavily on drugs or devices. So many reforms would be necessary to restore integrity to clinical research and medical practice that they cannot be summarized briefly. Many would involve congressional legislation and changes in the Food and Drug Administration, including its drug approval process. But there is clearly also a need for the medical profession to wean itself from industry money almost entirely.
par Nicolas Delalande
Dans la dernière livraison de Foreign Affairs, le secrétaire américain à la Défense Robert Gates présente son analyse des défis qui attendent le Pentagone dans les années à venir. Successeur du très controversé Donald Rumsfeld, tenu pour responsable de l’enlisement des troupes américaines en Irak, Robert Gates a été maintenu à son poste et sera le secrétaire à la Défense de Barack Obama. Son texte, intitulé « A Balanced Strategy. Reprogramming the Pentagon for the New Age », offre, bien qu’il s’en défende, une critique sans concession des illusions stratégiques des deux mandats présidentiels de George W. Bush.
Robert Gates énonce en effet sans hésitation que « les États-Unis ne peuvent pas espérer éliminer les risques qui pèsent sur leur sécurité nationale en augmentant indéfiniment les budgets militaires, en faisant tout et en achetant tout ». L’illusion de la toute puissance américaine a conduit au fiasco en Irak. Gates estime ainsi que la probabilité que les Américains s’engagent prochainement dans un nouveau conflit armé, comme ceux d’Irak ou d’Afghanistan, est très faible. Plus largement, il appelle les Américains à la modestie et à ne plus croire aveuglément aux miracles de la guerre technologique, supposée rapide et « propre ».
Le véritable défi du Pentagone, selon Gates, est de trouver un équilibre entre le maintien de capacités militaires conventionnelles et le développement de ressources humaines, matérielles et tactiques adaptées aux formes non conventionnelles de guerre et aux exigences de la lutte contre-insurrectionnelle. Il en appelle à une sorte de révolution culturelle au sein de l’armée américaine, où le hard power continue d’être plus valorisé que le soft power, notamment pour l’avancement des carrières.
Initiateur du revirement stratégique mis en place en Irak depuis 2007 avec « the Surge », Robert Gates défend donc l’idée d’une continuité entre la doctrine stratégique des deux dernières années, subie plutôt que choisie par George W. Bush, et les nouveaux contours de la doctrine stratégique sous la présidence Obama. En somme, il veut incarner le changement dans la continuité.
Le site de Foreign Affairs
[ English version ]
par Alexandre Brunet
Dans un article récent paru dans la London Review of Books, l’intellectuel slovène Slavoj Žižek présente son analyse de la victoire de Barack Obama, qu’il voit comme celle des illusions sur le cynisme. Non pas pour dire que la victoire d’Obama serait un évènement superficiel et sans effet sur l’impérialisme américain : pour Žižek, la victoire de l’illusion sur la Realpolitik est plutôt un « signe d’histoire », ainsi qu’un signe de la naïveté des épigones de Kissinger qui ont sous-estimé « le pouvoir des illusions ».
Ce signe d’histoire est à prendre ici au sens kantien, de signum rememorativum, demonstrativum, et prognosticum : le passé, le présent et le futur de l’Amérique sont, dans le meilleur des cas, chaotiques, et il y a lieu de s’inquiéter des excès et des hypocrisies du capitalisme global ainsi que des solutions qui y sont apportées. Cependant, cette élection a apporté un vrai gain de liberté et d’espoir en permettant l’élargissement de l’horizon des possibles.
Bien qu’il dresse un portait acerbe des excès financiers des trente dernières années et de leurs conséquences potentielles, Žižek invite ses lecteurs à se laisser porter par ce courant d’idéalisme, véritable faille dans un mur de cynisme selon lui.
– « Use Your Illusions », par Slavoj Žižek, London Review of Books, 14/11/2008
Use Your Illusions
by Alexandre Brunet
In the wake of Obama’s election, Žižek speaks of this victory as one of illusions over cynicism. Not to mean that Obama’s victory is an illusory makeover on an American imperialism which will eventually remain the same : what Žižek wants to point out is that hope trumping Realpolitik is indeed a “sign of history”, and of the naivety of those very Kissinger-templates who underestimated “the power of illusions”.
This sign of history is taken here in the Kantian sense, of signum rememorativum, demonstrativum, and prognosticum : America’s immediate past, present and future are chaotic at best, and there are reasons to worry about the excesses and hypocrisies of global capitalism as well as about the solutions which are offered to solve them ; yet there is a net gain in freedom, and hope, in that the number of possible worlds has increased with the electoral process’ outcome.
Be his tone scathing in rebuking excesses and the picture of the possible consequences he paints dark indeed, Žižek invites us to ride this current of idealism, “a sign of hope in our otherwise dark times”, as a crack in the wall of cynics.
– « Use Your Illusions », by Slavoj Žižek , London Review of Books, 14/11/2008
[ French version ]
par Emilie Boutin
À l’occasion du cinquantième anniversaire de la Constitution de 1958, la revue Pouvoirs met à l’honneur la Ve République en diffusant sur son nouveau site des extraits filmés du débat qui lui a été consacré le 27 septembre dernier à Sciences Po Paris.
Au cours de ce débat ont été évoquées par Édouard Balladur, Guy Carcassonne, Olivier Duhamel, Marc Guillaume, Pascal Jan, Geneviève Koubi, Jack Lang et Emmanuelle Mignon les questions de la séparation des pouvoirs, du cumul des mandats, du rôle et des pouvoirs du président. Ces discussions offrent une réflexion de qualité sur les mutations et les perspectives d’évolution de la Ve République après le vote de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
– Le site de la revue : http://www.revue-pouvoirs.fr
– Les extraits du débat organisé à Sciences Po : http://www.revue-pouvoirs.fr/...
Animé par Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’InternetActu, La Feuille est un blog indispensable pour qui s’intéresse à l’édition électronique. Revue d’articles, débats, livres et rapports : l’auteur assure une veille internationale de qualité, observe et analyse la manière dont le numérique révolutionne l’édition.
Lettre d’information et fil RSS permettent de suivre le rythme (régulier) de mise à jour du blog, dont les premiers billets datent de juillet 2002. C’est déjà une belle longévité...
A. W.
– La Feuille
En ces temps de rentrée et de premières évaluations sur les effets de la suppression de la carte scolaire, deux jeunes économistes, Gabrielle Fack et Julien Grenet (contributeur de La Vie des Idées) publient en ligne une étude sur l’impact de la qualité des écoles sur les prix de l’immobilier. Cette étude s’inscrit dans le prolongement des recherches d’économistes et de sociologues sur les mécanismes de la ségrégation scolaire et résidentielle.
Leur enquête, qui porte sur le cas parisien entre 1997 et 2004, montre que la performance des écoles publiques contribue à augmenter les prix de l’immobilier de 1,5 à 2,5%. L’intégration de la qualité des établissements (mesurée à travers le taux de réussite au brevet ou le taux de passage en seconde) dans la fixation des prix du marché immobilier est ainsi mise en évidence.
L’originalité du travail des deux économistes vient de ce qu’ils montrent également que la présence d’une école privée diminue cet effet d’élévation du prix de l’immobilier. Dans les secteurs où les parents peuvent scolariser leurs enfants dans des établissements privés, la capitalisation des performances des écoles publiques dans les prix de l’immobilier est plus faible. Leur papier invite donc à complexifier les modèles d’analyse des stratégies résidentielles en tenant compte de la dualité du système d’enseignement public et privé.
Pour en savoir plus :
– « When do Better Schools Raise Housing Prices ? Evidence from Paris Public and Private Schools ». Document de travail EEP (en anglais), par Gabrielle Fack et Julien Grenet, Août 2008 (document pdf).
– Page personnelle de Gabrielle Fack :
http://www.jourdan.ens.fr/ fack/
– Page personnelle de Julien Grenet :
À l’heure où la vie intellectuelle bascule sur internet sans que les principales frontières disciplinaires soient remises en cause, la particularité d’EspacesTemps.net est de chercher à susciter des rencontres et de publier les résultats de chercheurs qui tentent de penser la société à travers des objets communs aux sciences humaines et sociales (Shs), mais aussi au-delà. La rédaction définit ainsi sa démarche éditoriale : « partant des sciences sociales à la rencontre d’autres disciplines, EspacesTemps.net explore les interfaces avec d’autres champs disciplinaires ― sciences expérimentales, ingénierie, architecture, philosophie, arts, etc. »
Soutenue par l’École Polytechnique fédérale de Lausanne et ancrée dans un réseau serré de soutiens au sein du monde académique et au-delà, la revue a l’ambition d’être à la fois une publication scientifique de haut niveau et une revue intellectuelle critique, « alteracadémique », ce dont témoignent les rubriques telles que les « Mensuelles », « Dans l’air » ou « Interfaces ». Les articles et recensions publiées sur le site abordent les questions théoriques et épistémologiques en sciences sociales mais sont aussi à l’affût de l’actualité des phénomènes de société.
Le développement d’Espacestemps.net manifeste un remarquable effort de construction d’une communauté de chercheurs, d’auteurs mais aussi d’acteurs, destinée à faire vivre une réflexion sur les représentations et les pratiques sociales qui se tiennent au croisement de la théorie et de l’empirie. La réflexion menée de manière participative au sujet de la ligne éditoriale révèle toute l’attention portée par les promoteurs du site aux conditions de possibilité d’un espace public à haute valeur intellectuelle ajoutée sur le web.
L’adresse du site : http://www.espacestemps.net
par Nicolas Duvoux
Ce site rassemble les travaux et études sur le groupe social des "cadres". Animé par Sophie Pochic, sociologue au CNRS, ce site cherche à ouvrir au grand public les recherches académiques menées sur les cadres. Il s’appuie sur un réseau fédérant les chercheurs travaillant dans ce domaine, le GDR Cadres, réseau créé en 2001 afin de combler une lacune. En effet, après la publication de l’ouvrage majeur de Luc Boltanski (Les cadres. La formation d’un groupe social, Minuit, 1982), « la recherche en sciences sociales sur le groupe social des cadres était devenue peu visible et moins dynamique depuis le début des années 1980. » Or si « elle était redevenue très vivante à la fin des années 1990, notamment en sociologie et en gestion, et dans une mesure moindre, en histoire, sciences politiques, droit et ergonomie. Ce domaine de recherche souffrait toutefois d’une synergie insuffisante, dans un moment par ailleurs marqué par une relance des interrogations sociales – pour une part anciennes, pour une part nouvelles – à propos des cadres. »
La catégorie des cadres et ses remises en question sont ici considérées comme révélatrices « de transformations beaucoup plus vastes de la condition salariale, de la relation d’emploi, des modes d’organisation des entreprises et de différenciations du monde du travail contemporain, ainsi que des dynamiques politiques et culturelles de la société française. » Un
précieux outil pour rendre compte des mutations d’un groupe social dont le déclin a peut-être été trop vite annoncé.
par Nicolas Duvoux
Pour aller + loin :
– Groupement de recherche sur les cadres
– Vies de cadres, par Igor Martinache [06-02-2008]
Les transformations survenues dans l’organisation des entreprises depuis vingt ans ont ébranlé l’identité du groupe des cadres. Le sociologue Eric Roussel révèle de manière originale les tensions vécues par ces professionnels.
Les sites internet des groupes de recherche permettent aux chercheurs de mieux communiquer entre eux, de prendre facilement connaissance des travaux des uns et des autres.
Ils permettent aussi aux historiens d’intervenir dans le débat public.
Ainsi, la guerre de 1914-1918 a été très fortement présente dans l’actualité récente, que ce soit lorsque Lazare Ponticelli, le dernier Poilu, est mort le 12 mars 2008, ou parce que le gouvernement a annoncé, le 11 mai dernier, la possible réhabilitation « au cas par cas » des fusillés de la guerre, notamment des mutins de 1917 (http://www.rtl.fr/fiche/...).
À l’occasion de cette dernière annonce, plusieurs journaux et sites internet ont utilisé une frappante photographie... mais les historiens ont souligné qu’elle ne pouvait pas correspondre à l’exécution d’un mutin de 1917 :
Plus largement, le site du Collectif de recherche international et de débat sur la guerre de 1914-1918 est très bien fait : il comprend un espace scientifique, mais aussi témoignages, dictionnaire, analyses, et un espace pédagogique. Il présente à tous les publics les dernières recherches du Crid, de façon très accessible, sans oublier de souligner les aspects polémiques d’une historiographie en mouvement.
Car l’histoire de la Grande Guerre n’est pas un champ intellectuel apaisé : le Crid est né pour s’opposer à l’historiographie défendue par des membres du Centre de recherches de l’historial de Péronne, particulièrement Annette Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau.
Le Times Literary Supplement de Londres était revenu sur cette polémique (http://tls.timesonline.co.uk/...)
(14 juin 2006).
Aller + loin :
– Collectif de recherche international et de débat sur la guerre de 1914-1918
– Les sciences sociales face à la violence de guerre
Entretien avec Stéphane Audoin-Rouzeau [20-02-2008]
Blog et travail universitaire ont souvent des rythmes et des exigences si différents qu’ils sont difficiles à concilier. Le blog de Frédéric Rolin, professeur de droit public à l’Université Paris-X, désormais _Paris-Ouest-Nanterre-La Défense_ , y réussit pourtant à merveille. On y lit le commentaire de l’actualité politique et juridique à partir d’un regard d’expert informé — expert au langage souvent direct, ce qui permet à tout un chacun de mieux comprendre, sinon les détails, du moins les enjeux de la RGPP (Révision générale des politiques publiques) ou de la jurisprudence fiscale de la Cour européenne des droits de l’homme : commentaire élargi, on le voit, à des réflexions de fond, souvent enrichies à leur tour par les commentaires des lecteurs. Mais on y trouve aussi les illustrations du travail d’un chercheur, sur ses outils quotidiens (à travers, par exemple, les vicissitudes et les versions de Legifrance, ou sur les recrutements universitaires - bref, sur ce qui fait le quotidien du chercheur, mais qui reste souvent inaperçu.
– Le blog de Frédéric Rolin : http://frederic-rolin.blogspirit.com/
par Hélène Fernandez
A l’heure de l’introduction dans le droit français de la rétention de sûreté et du retour en grâce des théories du « criminel né », le site criminocorpus fournit une documentation riche et passionnante sur l’histoire de la justice et des peines depuis le XIXe siècle.
Outre la mise en ligne d’outils de recherche indispensables à qui s’intéresse à l’histoire de la justice (comme la bibliographie monumentale réalisée par Jean-Claude Farcy sur l’histoire de la justice française - http://www.criminocorpus.cnrs.fr/... - ou la numérisation des collections des Archives d’anthropologie criminelle - http://www.criminocorpus.cnrs.fr/... -), le site propose des dossiers thématiques sur l’histoire de la représentation des criminels ou sur l’histoire de l’enfermement carcéral.
La visée pédagogique et civique du site se traduit par la mise en ligne d’une exposition virtuelle qui permet de parcourir, en textes et en images, les arguments qui ont jalonné le combat pour l’abolition de la peine de mort - http://www.criminocorpus.cnrs.fr/.... On y retrouve notamment de larges extraits du grand débat qui se tint à la Chambre en 1908, lors duquel Maurice Barrès défendit la nécessité de « nous débarrasser de ces dégénérés » . L’appel à l’élimination physique ou sociale du « monstre criminel » n’a pas fini de nourrir l’imaginaire punitif des sociétés contemporaines.
Dûment muni d’un titre à coucher dehors, et figurant à coup sûr parmi les mieux écrits de la blogosphère française, le blog d’André Gunthert, maître de conférences à l’EHESS, rend d’abord compte de l’actualité académique dans le domaine de recherches de son auteur : la photographie.
L’actualité académique doit d’ailleurs être entendue dans un sens large : parutions, colloques, liens vers des lectures intéressantes, mais aussi compte rendu d’usages quotidiens d’Internet. Flickr ou Facebook sont ici examinés, utilisés, triturés, pour ce que le chercheur peut en faire, sans la trop habituelle réticence vis-à-vis de ces nouveaux outils.
Mais ce regard informé et professionnel, sur l’histoire visuelle permet aussi de proposer un regard original sur l’actualité : sur Simone de Beauvoir en couverture du Nouvel Observateur par exemple, ou tout récemment sur un mécanisme de raisonnement aperçu dans plusieurs histoires récentes.
– Actualités de la recherche en histoire visuelle : http://www.arhv.lhivic.org/
– AHRV a depuis peu un petit frère, le Flipbook : http://flipbook.blog.20minutes.fr/. »
par Hélène Fernandez
Un site et un réseau pour mettre en relation les historiens, les décideurs politiques et les journalistes.
Le site britannique History & Policy, qui se présente sous une nouvelle version depuis décembre 2007, a pour vocation d’améliorer la prise en compte de l’histoire dans la discussion et l’élaboration des politiques publiques.
Les créateurs de ce site sont partis du constat que la dimension historique des débats contemporains était le plus souvent évacuée de l’espace public, au profit d’une conception identitaire et instrumentale de l’histoire, envisagée uniquement par le pouvoir politique comme un outil de narration du roman national.
Le site construit une prise de parole collective des historiens sur les débats de la cité et met à la disposition du public, des fonctionnaires, des journalistes et des décideurs près d’une centaine de textes de 4 à 5 pages rédigés par les plus grands historiens britanniques sur des sujets aussi divers que le changement climatique, le binge drinking, la faillite de la banque Northern Rock, la réforme des retraites, la délinquance juvénile ou la réforme des services publics.
Dans un récent papier qui permet de déshexagonaliser le débat français sur « l’identité nationale », l’historien Stefan Berger (Université de Manchester) souligne la persistance en Europe d’un nationalisme historiographique, porté par des historiens médiatiques en complet décalage avec les sujets de recherche des historiens universitaires, et met en garde Gordon Brown contre les dangers que présente sa politique identitaire d’exaltation de la Britishness.
– History & Policy : http://www.historyandpolicy.org
par Nicolas Delalande
Des cartes de mondes qui existent, qui ont existé, qui auraient pu exister, des parodies, des symboles et des fictions ; des cartes de toutes sortes, toujours intrigantes, bizarres, curieuses ou poétiques... voici ce que le blog Strange Maps s’efforce de rassembler depuis sa naissance en 2006. Certaines publications ont donné lieu à de passionnants débats (par exemple ici).
L’auteur projette une publication de certaines de ces cartes sous forme de livre, et lance un appel à tous les possesseurs de cartes et de copyright. Avis aux intéressés !
– Strange maps : http://strangemaps.wordpress.com/
par Hélène Fernandez
Dans son premier numéro de l’année 2008, la New York Review of Books consacre deux articles aux candidats à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle de novembre prochain.
Michael Tomasky analyse pourquoi, en dépit de l’impopularité de la politique conservatrice et religieuse menée par George W. Bush, aucun des principaux candidats (Mitt Romney, Rudy Giuliani, John McCain, Mike Huckabee) ne peut complètement s’affranchir des trois forces qui continuent de peser sur les orientations du parti républicain : les néoconservateurs, les théoconservateurs et la droite antifiscale : http://www.nybooks.com/articles/20937
Gary Wills revient lui sur la manière dont le mormon Mitt Romney tente de surmonter les oppositions que son appartenance religieuse suscite dans les milieux de la droite évangélique, dont le soutien est pourtant indispensable pour obtenir l’investiture du parti républicain : http://www.nybooks.com/articles/20939
La New York Review of Books du 17/01/08 recense plusieurs ouvrages à ce sujet, et annonce la défaite inéluctable des Républicains :
« As the voting begins in earnest, what are we to make of the Republican candidates ? That the »conservative base« is dissatisfied with the GOP field is probably the single most common observation of this presidential campaign season. The second most common observation is probably that the Republican candidate, whoever it turns out to be, is doomed to defeat. »
Pour ceux qui n’en seraient pas encore familiers et qui connaissent l’intérêt de considérer régulièrement nos affaires nationales de l’extérieur, le blog d’Arthur Goldhammer mérite assurément le détour. Connu notamment pour ses traductions du français vers l’anglais (plus de cent livres traduits, dont La Démocratie en Amérique de Tocqueville), Arthur Goldhammer est aussi un observateur éclairé et éclairant de la vie politique française.
– French politics :
Yves Lacoste l’avait souligné : la géographie, cela sert d’abord à faire la guerre. Et les cartes sont un instrument privilégié de la discipline. Le numéro de septembre 2007 de la revue Genèses part de ce constat pour proposer un dossier intitulé « Gouverner par les cartes ». Comme le souligne Pierre Lascoumes dans son introduction, la cartographie, sa production et ses enjeux ont longtemps semblé être une terra incognita des sciences sociales. Document à l’apparence objective et savante, la carte définit et organise l’espace pour les administrations qui en sont les principaux commanditaires.
Dans leur article sur l’Ancien Régime en Allemagne, Lars Behrisch et Christian Fieseler rappellent le lien entre genèse d’une décision publique « éclairée » et utilisation croissante des cartes. Les discussions et les débats sur celles-ci existent : ils montrent que la cartographie est bien une vision du monde, pensée et imposée par les États pour maîtriser et contrôler leurs territoires. Les techniques s’affinent au gré des enquêtes pour être de plus en plus précises, ce qui permet aux gouvernants de disposer d’une véritable information sur les sociétés.
Morgane Labbé étudie l’utilisation des cartes dans l’Europe de l’Est au XIXe siècle. Elle montre combien les impératifs de construction des nationalités et des négociations diplomatiques guident celle-ci. Loin de la neutralité affichée par la discipline, la cartographie sert à justifier les positions des acteurs politiques. Ainsi, l’Empire autrichien privilégie une approche multinationale, alors que les mouvements nationaux ou les États-nations souhaitent marquer leur spécificité. L’Europe de l’Est s’est fragmentée dans ses représentations cartographiées successives.
En s’intéressant à la confection des cartes durant le New Deal dans l’Iowa, Emmanuel Didier souligne le caractère à la fois volontariste et problématique de la représentation schématique des territoires. Le travail de cartographie est ici utilisé pour croiser les lieux et les caractéristiques sociales de la population rurale. Or, ce projet ambitieux se heurte à des problèmes et des limites. Il nécessite la naissance d’une administration spécifique de plus en plus importante, liant experts des sciences sociales et pouvoirs publics.
Le dossier est clos par Jean-Pierre le Bourbis, qui s’intéresse aux cartes des zones inondables en France entre 1970 et 2000. Élément important des politiques de prévention des risques, elles n’ont pourtant été définitivement adoptées qu’en 1993. Les luttes et les conflits entre les différentes strates de décision ont rendu difficile l’imposition de la carte. L’acculturation de cet instrument comme base de l’action publique reste problématique dans une gouvernance à multiples niveaux.
Ce dossier souligne que l’analyse des politiques publiques et de l’activité de l’État passe aussi par leurs instruments en apparence les plus anodins. De même, la carte apparaît comme l’exemple d’un objet d’étude à cheval sur plusieurs champs. À la confluence des sciences sociales, de l’expertise appliquée et de la pratique administrative, elle mobilise aussi bien des savoirs géographiques et des catégories juridiques que des concepts sociaux et historiques. Le dossier est en ce sens très représentatif des approches interdisciplinaires qui tendent à se multiplier en sciences humaines.
Ismail Ferhat
Site de la revue Genèses : http://www.iresco.fr/revues/geneses/
Recensé :
Genèses, « Gouverner par les cartes », n° 68, septembre 2007.
par Maya Beauvallet
Un numéro spécial de plus de 633 pages de la Revue de l’OFCE célèbre les 25 années de son existence.
Le numéro débute avec un article de Jean-Paul Fitoussi [1], professeur à l’IEP, président de l’OFCE et directeur de la revue, qui retrace les 25 années et les 101 numéros qui ont précédés. Créée par Jean-Marcel Jeanneney en 1982, la revue de l’OFCE fut soutenue par de nombreux économistes, chercheurs et hommes politiques parmi lesquels René Rémond, Jean-Claude Casanova ou d’Edmond Malinvaud, et s’appuie bien entendu sur l’ensemble des chercheurs de l’OFCE et sur la Fondation des sciences politiques. L’Observatoire, créé à l’initiative de Raymond Barre en 1981, avait pour objectif d’éclairer les gouvernements et les entreprises sur leur environnement économique. La revue s’est par conséquent positionnée sur les questions d’évaluation des politiques publiques, dans une approche résolument macroéconomique. Ainsi, l’une des originalités de la revue est probablement d’avoir réussi à concilier exigence académique et pédagogie, et de cette manière d’être lue à la fois par le milieu académique et les étudiants ou les médias. La revue a également réussi à garder une ligne éditoriale et de recherche cohérente en développant une approche keynésienne de la macroéconomie.
Ce numéro spécial, dont l’ensemble des articles a été rédigé par des chercheurs de l’OFCE, est, bien plus qu’un moment d’autosatisfaction, un point sur le développement de la macroéconomie moderne.
On peut néanmoins regretter qu’un nombre important d’articles ne soient pas des contributions originales mais des reprises ou des traductions d’articles, de conférence ou d’extrait de chapitres.
Ainsi le numéro s’ouvre avec la conférence faite par Edmund Phelps lors la remise de son prix Nobel. La reprise de cette conférence et sa traduction ont le mérite de faire connaître les apports de Phelps à la macroéconomie moderne. Celui-ci revient sur ces deux articles fondateurs de 1968 sur les déséquilibres et le chômage, et de 1967 sur la politique monétaire. Comme le signale ironiquement le prix Nobel lui-même, son modèle initial de 1968 a été mal compris et celui de 1967 est passé inaperçu alors qu’on y trouve l’essentiel des intuitions de Phelps et une approche originale et révolutionnaire de la macroéconomie moderne. Phelps revient surtout sur sa rupture avec l’approche en termes d’anticipations rationnelles qui néglige la prise en compte de l’incertitude et de l’information imparfaite des agents économiques, deux notions fondamentales pour comprendre les hommes et l’économie moderne. Il revient également sur ses points communs et ses divergences avec Friedman et avec Keynes.
La suite du numéro est structurée en quatre parties. La première, « Macroéconomie : théories et politiques », présente les débats actuels qui traversent la macroéconomie. Signalons dans cette première partie, l’article de Fitoussi, « La Fin de l’histoire (économique) », qui revient sur le malthusianisme ou le pessimisme de Keynes. Est-ce que la croissance économique peut avoir une fin ? Est-ce que les besoins de l’homme sont finis ? Keynes avait répondu par l’affirmative à ces deux questions.
La deuxième partie porte sur la globalisation et la gouvernance mondiale. L’article d’Aglietta et Le Cacheux présente dans un langage très clair un modèle développé par l’OFCE, le CEPII et le CEPREMAP, modèle dit INGENUE, qui fournit un cadre internationale analytique, non monétaire, de long terme, pour simuler l’effet de diverses politiques publiques. C’est l’occasion de rappeler que l’OFCE est l’un des rares endroits, avec le CEPII ou la DGTPE, à posséder cette expertise des modèles macroéconomiques.
La troisième partie, qui constitue le cœur du numéro, est consacrée à l’Europe et représente ce qui fait l’originalité de l’OFCE et de son président dans le débat autour des politiques monétaires. Les 5 articles reviennent sur les limites de la politique monétaire menée par la Banque centrale et la nécessité de penser une politique budgétaire, fiscale, de recherche et environnementale pour construire l’Europe.
Enfin, la dernière partie pose les questions d’inégalités, de justice et solidarités. Signalons, l’article de Milewski sur les inégalités hommes/femmes et celui d’Elbaum sur les conceptions de l’égalité aux fondements du système de protection sociale.
par Rémy Pawin
Recensé :
Ingrid Galster, Beauvoir dans tous ses états, Paris, Tallandier, 2007, 348 p.
Professeur de lettres modernes à l’université de Paderborn (Rhénanie), Ingrid Galster publie un recueil d’articles consacrés à Simone de Beauvoir, dont la quasi-totalité a été publiée après 1995. Comme elle le confie dans l’introduction, elle s’est d’abord intéressée à l’œuvre de Jean-Paul Sartre – elle a soutenu en 1984 une thèse de troisième cycle sur l’accueil des Mouches et de Huis clos par la presse sous l’Occupation –, ce qui l’a conduite par la suite à Beauvoir, sur laquelle elle s’est penchée dès les années 1980.
Dans ce volume, qui n’est ni une énième biographie ni une monographie thématique, vingt articles sont rassemblés, regroupés par thèmes (étudiante, professeur et compagne de Sartre, Vichy, féminisme, réception posthume, critique de livres, Beauvoir en débat) et balayant la majorité des problématiques contemporaines des études beauvoiriennes. Au fil des articles, on découvre certaines facettes moins connues du personnage, qui méritaient d’être éclairées hors des querelles partisanes, sans souci d’hagiographie ou de dénigrement. L’écrivain engagé, qui a profondément marqué le second XXe siècle, a en effet trop souvent déclenché la polémique pour que le regard puisse s’y porter de manière neutre. C’est pourtant ce que tente Galster, lorsque, après avoir établi un certain nombre d’éléments objectifs, elle envisage les cheminements de la réception de l’héritage beauvoirien : d’abord de son vivant, lors de la querelle du Deuxième sexe en 1949, puis au moment de sa mort en 1986, lors de la publication de documents inédits qui modifièrent le regard porté sur « le couple modèle », et enfin, de manière plus contemporaine, en évoquant la controverse sur le féminisme beauvoirien.
Sur ce dernier point, l’auteure prend position de manière virulente contre Toril Moi (celle-ci a critiqué Beauvoir à l’aune d’un féminisme égalitaire, lui reprochant de ne pas avoir su se détacher d’une vision naturaliste de la femme) et voudrait nuancer la thèse de Sylvie Chaperon, qui qualifie les années 1945-1970 d’« années Beauvoir ». Dans cette perspective, elle remet en cause l’influence du Deuxième sexe en soulevant la question du va-et-vient entre la France et les États-Unis dans l’appropriation de cet ouvrage qui, selon Galster, a d’abord été apprécié par les féministes américaines, avant de revenir en France.
Cette réflexion est certes appréciable et on ne doute pas de l’intérêt heuristique du programme proposé par l’auteure, mais on pourrait reconnaître qu’il n’est pas inconcevable que la pensée de Beauvoir se diffuse moins par le Deuxième sexe, d’un accès difficile au premier abord, que par ses mémoires, qui connaissent dès leur parution un succès éditorial, ou par ses prises de position dans l’espace public, immédiatement commentées. Une étude plus approfondie semblerait donc nécessaire avant de trancher dans tel ou tel sens. De manière plus générale, c’est d’ailleurs la principale critique que l’on pourrait adresser à ce livre qui, en regroupant de courts articles, couvre l’ensemble du champ des études beauvoiriennes, mais dont, revers de la médaille, la dispersion et la rapidité des arguments suscitent parfois la réserve.
Pour aller plus loin :
– http://simonedebeauvoir.free.fr : le site de la Simone de Beauvoir Society, basée aux États-Unis :
– http://www.autourdebeauvoir.net : bibliographies, articles et témoignages sur Simone de Beauvoir
– http://clio.revues.org : le site de la revue Clio. Histoire, femmes et société
par Henry Laurens
Recensé :
Enzo Traverso, A feu et à sang. De la guerre civile européenne 1914-1945, Paris, Stock, 2007, 372 p.
Les disciplines historiques progressant souvent par description monographique, il est rare d’avoir un livre enthousiasmant de bout en bout, même si son contenu est particulièrement sinistre. Tel est l’ouvrage d’Enzo Traverso. Par guerre civile européenne, il entend non une lecture rétrospective des événements comme si l’Union européenne avait existé dans la première moitié du XXe siècle, mais le caractère total des diverses violences qu’a connues l’Europe dans cette période. Au lieu d’être limitées par le droit de la guerre, ces violences ont eu pour but de détruire l’ennemi, militaire ou civil. En s’appuyant sur Carl Schmitt, l’auteur définit la guerre civile comme une rupture de l’ordre juridique qui conduit à situer l’ennemi dans le non-droit afin d’avoir le droit de l’anéantir. Ainsi la violence peut se déployer sans limite et prendre une dynamique propre jusqu’à devenir sa propre fin. C’est un processus cumulatif qui commence en 1914 et s’arrête en 1945 du point de vue de l’Europe. Le procès de Nuremberg est à la fois justice des vainqueurs et début du processus de guérison.
Si cette guerre a été au début un conflit entre États, elle s’est rapidement tournée contre les civils. Au nom d’impératifs militaires, on cherche à détruite la société de l’ennemi. Sa logique ultime conduit à l’extermination. Les bombardements aériens de la Seconde Guerre mondiale en sont la démonstration. Toutes les formes de violences se déclinent : violence archaïque de mutilation des corps, violence administrative froide conduisant aux « criminels de papiers » (ces assassins dans les bureaux qui ne voient jamais les victimes), etc.
Traverso prend au sérieux la notion de culture de guerre qui lui permet de mieux définir les différentes avant-gardes artistiques européennes. L’expérience de la mort violente dans la guerre moderne est non seulement intransmissible mais aussi irreprésentable. La peur de la mort envahit les expériences de vie. Les sociétés européennes ont été brutalisées. L’angoisse est devenue une émotion commune. Les rapports entre hommes et femmes ont été modifiés. Les jeunesses militantes et combattantes étaient quasi-exclusivement masculines. Le soldat, le combattant est le mâle par excellence. L’homme nouveau rejette l’image de la femme comme égale pour en faire une mère pleureuse ou une victime souffrante.
La guerre civile européenne a pour corollaire une crise profonde de l’État de droit et du parlementarisme. Révolutionnaires de droite et de gauche contestent l’ordre libéral et en justifient le renversement. On passe, dans les années 1930, d’un triangle entre libéralisme, communisme et antifascisme avec des espaces possibles de neutralité, à un affrontement unique entre fascisme et antifascisme. L’engagement devient obligatoire et celui qui croit le refuser, comme le pacifiste, sert obligatoirement un camp contre l’autre.
On ne peut assimiler rétrospectivement l’antifascisme au communisme. Sa base de valeurs est la pensée des Lumières que l’on retrouve aussi chez les communistes. Il réalise l’union provisoire mais réelle du mouvement ouvrier et d’une intelligentsia qui veut donner une voix à la protestation de l’opinion publique démocratique. Le prix à payer a été de passer sous silence les crimes du stalinisme, le libéralisme paraissant incapable de réaliser une véritable mobilisation.
En restaurant la position des antifascistes face à leurs critiques postérieures, l’auteur montre aussi que leur attachement à l’idée de progrès ne leur permet pas de comprendre la nature du fascisme vue simplement comme réaction, et non son enracinement dans la société industrielle, la mobilisation des masses et le culte de la technique, c’est-à-dire sa modernité.
Cet essai d’interprétation globale permet de dépasser les catégories traditionnelles du totalitarisme et de l’antifascisme. Il replace dans leur vérité historique et géographique les événements du premier XXe siècle et interdit les usages abusifs que l’on en fait aujourd’hui pour d’autres aires géographiques, en particulier celle du Moyen-Orient. Il est à lire absolument.
Ce texte est également publié par L’Orient littéraire. Nous saluons la qualité du travail réalisé par cet hebdomadaire.
par Clément Schaff
Recensé :
Regards croisés sur l’économie, n°2, septembre 2007 – www.rce-revue.com
Pour son deuxième numéro, Regards croisés sur l’économie aborde le thème des services publics. Fidèle à son approche pluridisciplinaire participant au décloisonnement des cultures intellectuelles, la revue propose dans une première partie des tentatives de définition de la notion de service public au travers d’analyses juridiques et historiques. Après un exposé de la doctrine (ou plutôt des doctrines) juridique française sur le lien entre service public, intérêt général et action de l’Etat, une mise en perspective historique permet d’illustrer le caractère « substantiellement subjectif » du service public. La présentation des notions de SIEG, SIG et de service universel retenues par la Commission européenne permet de parachever ce panorama des différentes conceptions.
La deuxième partie analyse plus en détail les mutations qui affectent aujourd’hui les services publics. La figure traditionnelle du grand monopole public en charge d’un service public a été profondément remise en cause ces dernières années. Frédéric Marty résume pourquoi la propriété publique et la gestion publique peuvent se révéler défaillantes du fait des relations d’agence entre l’Etat et le manager public, et de l’opacité des structures publiques. La spécificité des industries de réseaux, qui s’apparentent souvent à des monopoles naturels, l’amène néanmoins à tempérer ce propos. En effet, les analyses empiriques montrent que les gains d’efficacité suite à une privatisation sont fortement corrélés à la pression concurrentielle du secteur. D’un point de vue plus politique, Michel Dupury montre que le mouvement actuel d’ouverture du capital des grandes entreprises publiques ne peut pas s’analyser comme les privatisations de 86-87. En effet, l’ouverture du capital ne traduit pas un désengagement de l’Etat et n’est pas (seulement) motivée par des raisons budgétaires mais résulte d’une volonté de l’Etat de jouer pleinement son rôle d’actionnaire. Celui-ci dispose ainsi d’un nouveau vecteur d’influence sur l’économie, même si l’affaire EADS montre aujourd’hui que son maniement peut s’avérer délicat. Enfin, différentes contributions analysent plus spécifiquement les secteurs des services postaux, de l’éducation et de la recherche, de la santé, du placement des chômeurs ou encore de l’eau.
Loin des visions dogmatiques qui animent trop souvent le débat public, ce numéro présente un état des lieux précis et rigoureux de la situation des services publics en France et en Europe. Les éléments de réflexion sur les causes profondes qui sous-tendent les évolutions, éclairées par les encadrés de la rédaction précisant certaines notions techniques, prouvent que cette jeune publication saura confirmer le succès de son premier numéro. De par la variété des approches proposées, chacun pourra y trouver quelque chose à apprendre.
Le site de la revue :
par Riccardo Brizzi
L’histoire de la démocratie et les sciences politiques enseignent que, après les élections, les vainqueurs conduisent les affaires du pays tandis les vaincus font le bilan et préparent la revanche. Pourtant, en Italie, c’est tout le contraire qui est en train de se passer : tandis que le centre-droit, battu l’année dernière, n’a même pas entamé l’inventaire des années Berlusconi, le centre-gauche tente de renouveler son assise électorale et de simplifier sa structure organisationnelle [2]. Cette dernière tâche vient d’être réalisée par la fusion de ses deux principales composantes, les Démocrates de gauche (Ds) et la Margherita, et la naissance d’une formation politique nouvelle : le Parti Démocrate.
L’événement paraît important pour la vie politique italienne ; et pourtant il a laissé l’opinion publique parfaitement indifférente. Certains observateurs y voient le résultat du caractère peu participatif des préparations : ni les représentants de la société civile, ni les petits partis du centre-gauche n’y ont été conviés. D’autres évoquent le faible renouvellement de la classe politique italienne dans son ensemble : depuis quinze ans, la scène est occupée par les mêmes personnages (Berlusconi en 1994, Prodi en 1996, Berlusconi en 2001 et Prodi en 2006) et par la même classe dirigeante, plutôt âgée et très majoritairement masculine (à peine 15,8 % des parlementaires sont des femmes. Cependant, tout le monde s’accorde à dire que le véritable problème du nouveau parti réside dans son projet politique – ou plutôt dans son absence. On négocie fébrilement les postes de dirigeants, on redessine l’organigramme, on pondère le poids des « courants », sans s’efforcer de définir le projet que le nouveau parti est censé porter.
Il s’avère en effet plus difficile que prévu de créer une culture politique commune sur la base des héritiers des grandes guerres idéologiques du XXe siècle : les communistes [3] et les chrétiens-démocrates. Leur rapprochement semblait certes inscrit dans l’histoire récente : avec l’effondrement du communisme mondial d’un côté, et les scandales de corruption de l’autre, le début des années 1990 avaient précipité la chute des deux formations qui avaient dominé la vie politique de la péninsule depuis 1945. Ce rapprochement fut accéléré par le travail d’autocritique accompli dans les deux camps et surtout par l’apparition d’une force politique nouvelle, Forza Italia. Le résultat s’avère cependant décevant : les traditions politiques ont été vidées de leur contenu, mais la synthèse promise ne fut jamais réalisée. Sa véritable source d’unité, le centre-gauche des années 1990 et 2000 l’a puisée dans l’opposition au berlusconisme. Avec un Berlusconi désormais moins fanfaron et dans l’opposition, la source tarit et le vide intérieur apparaît au grand jour.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire le Manifeste du nouveau Parti Démocrate. Dans ce document, rédigé par quinze « sages » au terme de quatre mois de travail, le parti s’apparente à un musée d’histoire politique contemporaine où l’on fait étalage de la culture réformiste libérale, du catholicisme social, d’une social-démocratie vaguement travailliste, du libéralisme républicain, du féminisme et d’une petite dose d’écologie démocratique. Les rédacteurs ont visiblement épousé le pluralisme et souhaité un document où chacun puisse se retrouver, mais sans trop se soucier de la cohérence interne, de sorte qu’on n’y trouve point d’autre synthèse que celle de la première phrase : « Nous, les démocrates, aimons l’Italie [4] ».
L’ironie de l’histoire a ainsi voulu que la fusion des héritiers des principaux partis de masse donne naissance à un « post-parti », une sorte de cartel électoral ressemblant plus à la tradition états-unienne qu’à l’Italie du XXe siècle. Le choix est légitime, mais la cohérence voudrait qu’on abandonne les discours sur l’« identité commune » et qu’on admette qu’il s’agit de réaliser une fusion entre oligarchies. Et surtout, malgré son apparente prudence, c’est un choix risqué : comme l’ont souvent souligné des intellectuels de centre-gauche comme Edmondo Berselli, toutes les expériences politiques réussies des dernières décennies – du libéralisme de Margaret Thatcher au messianisme reaganien, de la « troisième voie » blairiste au laïcisme de Zapatero – ont été fondées sur des profils idéologiques nets et des cultures politiques fortes. Même le populisme de Berlusconi a pu offrir, à sa façon, une capacité d’identification puissante. Or c’est précisément cette qualité-là qui fait défaut au Parti Démocrate.
Pour aller plus loin :
Yann Algan, Pierre Cahuc, La Société de défiance. Comment le modèle social français s’auto-détruit, Paris, Editions Rue d’Ulm, octobre 2007.
Dans leur note récemment publiée par le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), La Société de défiance, les deux économistes Pierre Cahuc et Yann Algan mettent en avant le niveau élevé de défiance et d’incivisme qui caractériserait la société française par rapport à la plupart de ses homologues occidentales. Pour le montrer, ils s’appuient notamment sur les enquêtes internationales World Values Survey. Les données sont en effet spectaculaires et justifient largement l’inquiétude : elles forment la substance de la première partie de l’étude. Une majorité de Français serait ainsi convaincu que, pour arriver au sommet, il est nécessaire d’être corrompu. Les Français affichent également le troisième plus mauvais résultat des pays étudiés quant à la confiance placée dans le système judiciaire. Ils sont à peine plus de 20% à déclarer qu’en règle général, on peut faire confiance aux autres. Etc.
On pourrait toutefois se demander, à considérer ces données de plus près, si c’est le cas français qui constitue l’exception la plus nette (aux côtés de quelques autres, comme le cas italien), ou s’il ne faudrait pas plutôt mettre l’accent sur l’exceptionnel niveau de confiance des sociétés scandinaves qui se situent à l’autre extrémité du spectre et tirent l’ensemble des moyennes vers le haut. Cette interrogation légitime n’enlève cependant rien à la nécessité de pousser plus avant la réflexion sur la France. D’où viennent la défiance et l’incivisme français ? Pourquoi les citoyens de ce pays se méfient-ils autant les uns des autres, de leurs institutions et du marché ? Est-ce un fait culturel et, en cela, largement transhistorique ? Les auteurs écartent rapidement cette hypothèse trop simple, ainsi que les clichés qui l’accompagnent d’ordinaire. La défiance française a en effet son histoire : elle ne fut pas toujours aussi élevée qu’aujourd’hui. Selon P. Cahuc et Y. Algan, c’est du côté de l’étatisme et du corporatisme tels qu’ils se conjuguent et se déploient dans les décennies d’après-guerre qu’il faut chercher l’origine et la cause de ce mal. Et du côté de nouvelles procédures publiques et économiques qu’il faudrait en imaginer le remède. De ce point de vue, l’exception scandinave pourrait être examinée de plus près, car la confiance que les citoyens suédois ou norvégiens placent dans leurs institutions et dans leurs compatriotes ne tient pas seulement, là non plus, à leurs dispositions culturelles, mais aussi à la transparence de ces institutions et au fait que lesdits citoyens ont le sentiment de pouvoir exercer sur elles une influence réelle et vertueuse.
Si elle ne fait pas l’unanimité, cette note conserve ainsi l’immense intérêt de susciter la discussion sur un ensemble de questions particulièrement sensibles.
Francis Lamont
Céline Béraud, Prêtres, diacres, laïcs. Révolution silencieuse dans le catholicisme français, Paris, PUF, « Le Lien social », 2007, 351 p.
Pendant de nombreuses années, la sociologie des religions, se focalisant sur les nouvelles formes de croyance, a largement désinvesti l’étude des institutions religieuses, et tout particulièrement de celle qui jusqu’aux années 1960 attirait toutes les attentions, l’Eglise catholique. Ce faisant, elle a laissé place au mythe et au soupçon dont le succès mondial du Da Vinci Code témoigne mieux que tout discours savant. A l’opposé, une approche sociologique des acteurs qui font vivre cette institution invite à faire une part essentielle aux laïcs dans sa reproduction.
La sociologie des religions et plus précisément des institutions religieuses menée par Céline Béraud montre que l’Eglise catholique connaît depuis plusieurs années des bouleversements profonds, au premier rang desquels se situe le processus de redistribution des tâches entre les différentes catégories d’acteurs intervenant en son sein : des prêtres dont la moyenne d’âge atteint soixante-dix ans et dont le nombre se réduit comme peau de chagrin, des diacres permanents et des laïcs missionnés en plus grand nombre (des femmes, en majorité).
Les modalités du travail religieux ont donc profondément évolué au cours des dernières années. Si la fascination pour la figure du prêtre demeure intacte, l’étude de l’institution catholique aujourd’hui serait gravement incomplète si elle se limitait au seul corps sacerdotal. L’attention quasi exclusive portée à la personne du prêtre a pour effet de dissimuler les nouvelles formes de division du travail religieux mises en place au cours des vingt dernières années, dont l’ampleur est considérable. Encore méconnus du grand public, y compris des catholiques eux-mêmes qui n’en perçoivent pas toujours l’intensité, ces différents phénomènes constituent une véritable « révolution silencieuse ».
En partenariat de liens-socio.org
Pour aller plus loin :
Le Centre d’Etudes Interdisciplinaires du Fait Religieux (EHESS)
Sylvia Desazars de Montgailhard, Madrid et le monde. Les tourments d’une reconquête, Paris, Autrement, 2007.
La politique étrangère de Madrid est devenue une énigme. Après les années Aznar dominées par l’alignement transatlantique et une quête de puissance à la hauteur du développement économique et culturel de l’Espagne, les années Zapatero semblent être celles d’une hésitation. Habitée, depuis la fin du franquisme et l’intégration européenne, par un désir de « reconquête », la situation de la diplomatie espagnole semble savoir ce qu’elle ne veut pas, mais concevoir plus confusément ce qu’elle recherche. Il faut dire que Madrid gère trois frontières à la fois : une frontière européenne, une frontière méditerranéenne et une frontière latino-américaine (notamment avec la Communauté ibéro-américaine des Nations). Le livre de Sylvia Desazars de Montgailhard met à jour cette complexité souvent méconnue des Européens et des Français en particulier.
Francis Lamont
Liens :
Suivre les débats sur les relations internationales en Espagne :
http://www.redri.org (Site de la REDRI : Revue électronique de relations internationales)
http://www.gees.org (Site du GEES : Groupe d’études stratégiques)
http://www.cidob.org (Site du Centre de recherches sur les relations internationales et le développement)
Michela Marzano, La Mort spectacle. Enquête sur l’« horreur-réalité », Gallimard, 2007, 80 p., 5.50 euros.
Spécialiste du phénomène pornographique (La Pornographie ou l’épuisement du désir, Paris, Buchet-Chastel, 2003 ; Alice au pays du porno, Paris, Ramsay, 2004), Michela Marzano publie en cette rentrée 2007 un court essai consacré à l’horreur-réalité. Elle classe sous ce vocable les vidéos de meurtres, tortures, viols ou sévices authentiques, qui circulent depuis quelques années sur Internet. Lointaines descendantes des snuff movies qui commencèrent à circuler dans les années 1970 et 1980 (et dont l’existence réelle fut longtemps controversée), ces vidéos sont d’abord apparues lors de la guerre en Tchétchénie et se sont multipliées avec le développement de l’islamisme. Mais elles dépassent aujourd’hui le cadre des conflits et de la propagande qui les a vu naître : la pratique du happy slapping chez les adolescents occidentaux (comme le fait de filmer et de diffuser sur internet une agression réelle) doit être aujourd’hui classée dans le même registre, selon l’auteure. Michela Marzano voit là l’origine d’une « nouvelle forme de barbarie : celle de l’indifférence ». La « mort spectacle » aurait pour effet « d’anesthésier, petit à petit, de ‘neutraliser’ le jugement du spectateur ». Cette « Société de l’indifférence » est l’objet de la deuxième partie du livre. Dans un dernier chapitre (« Que faire ? »), l’auteure s’interroge enfin sur les limites qu’il conviendrait de mettre aux libertés d’expression et d’information en la matière. On peut regretter que, contrairement à ce qu’indique le sous-titre, le livre ne s’appuie pas sur une « enquête » véritablement approfondie et que les données quantitatives pour situer l’envergure du phénomène fassent en particulier défaut. Mais elles sont sans doute très difficiles à collecter.
Francis Lamont
Liens : La page de Michela-Marzano
Hélène Bellanger, Vivre en prison. Histoires de 1945 à nos jours, Hachette Littératures, 2007.
Cet ouvrage propose une mise en perspective historique des principales problématiques soulevées par les mutations de l’univers carcéral depuis 1945. Il assume un parti pris descriptif, en s’appuyant essentiellement sur les témoignages des divers protagonistes impliqués quotidiennement dans le fonctionnement des prisons. Ainsi, les récits croisés de détenus et de surveillants ayant cohabité dans un établissement pénitentiaire à un moment donné sont mobilisés afin de rendre compte de la question des conditions de vie et des pratiques relatives à l’emprisonnement. Par ailleurs, l’auteur focalise sur les retombées concrètes de certains événements significatifs de l’histoire française, en traitant notamment des particularités du statut de détenu politique pendant la Guerre d’Algérie ou en abordant les effets ambivalents dans les prisons de l’abolition de la peine de mort en 1981. Enfin, l’ouvrage pointe une évolution générale de nature paradoxale : depuis 1945, les politiques publiques en matière carcérale ont sans cesse oscillé entre une volonté d’humanisation, marquée dans les faits par une reconnaissance progressive des droits des détenus et une ouverture accrue au monde extérieur, et une tentation de repli sécuritaire caractérisée par un durcissement de l’arsenal répressif en vigueur dans les établissements pénitentiaires.
Martin Duru
Pour aller plus loin :
www.prison.eu.org (portail d’information sur les prisons)
Philippe Droz-Vincent, Vertiges de la puissance. Le « moment américain » au Moyen-Orient, Editions La Découverte, 2007.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et la déclaration de guerre faite au terrorisme, l’administration Bush a opté pour une politique étrangère interventionniste ciblée sur la zone du Moyen-Orient. Ce que l’auteur nomme « le moment américain » renvoie à cet activisme effréné, qui s’accompagne d’une volonté de transformer en profondeur l’équilibre géopolitique de la région. Sous l’influence notamment des puissants groupes de pression néo-conservateurs, les décideurs américains ont développé une stratégie de diffusion de la démocratie, appuyée par une rhétorique mettant l’accent sur l’universalité des valeurs occidentales. L’ouvrage revient ainsi sur les raisons et les principales étapes de l’action des Etats-Unis en Irak, de la phase de préparation tant idéologique que militaire du conflit à l’échec tragique de la reconstruction. Il montre également dans quelle mesure les nouvelles ambitions américaines ont abouti à une crispation des relations avec certains pays traditionnellement alliés (Arabie Saoudite) voire à une logique de surenchère belligène avec des Etats considérés comme représentant une menace à terme (Syrie, Iran). Enfin, dans leur logique d’emprise globale sur le Moyen-Orient, les Etats-Unis ont également été amenés à renouveler leur approche du conflit israélo-palestinien.
Martin Duru
Pour aller plus loin :
www.brookings.edu (site de la Brookings Institution, think tank américain indépendant spécialisé notamment dans le domaine des relations internationales)
www.newamericancentury.org (site de The Project for a New American Century, think tank néo-conservateur influent)
www.ifri.org (site de l’IFRI, centre européen de recherche sur les questions de politique étrangère)
Richard Banegas, « Côte d’Ivoire : les jeunes ‘se lèvent en hommes’. Anticolonialisme et ultranationalisme chez les jeunes patriotes d’Abidjan », CERI, coll. « Les Etudes du CERI », n° 137, juillet 2007.
La « Jeunesse patriotique » s’affirme comme un mouvement social central en Côte d’Ivoire depuis le début de la guerre en 2002. Entretenant un anticolonialisme et un ultranationalisme violents, elle est devenue l’une des armes les plus redoutables du pouvoir à Abidjan. Richard Banegas (auteur de La Démocratie à pas de Caméléon, Paris, Karthala, 2003) cherche cependant à dépasser la lecture instrumentale de ce phénomène pour identifier ses racines sociologiques. Il montre notamment que ce qui se joue dans l’affirmation anticolonialiste, c’est aussi une révolution générationnelle emmenée par des acteurs formés dans le syndicalisme étudiant et les épreuves de la guerre. La montée en puissance de la « Jeunesse patriotique » pourrait ainsi préfigurer un changement de génération politique. Loin de rester dans la main du pouvoir actuel, les « fescistes » (du nom du syndicat étudiant, la FESCI) pourraient alors succéder aux héritiers de l’houphouëtisme. Un regard de l’intérieur sur un phénomène souvent réduit aux schémas de l’embrigadement et de la manipulation nationaliste dans les médias occidentaux.
Francis Lamont
Liens :
Site du CERI : http://www.ceri-sciencespo.com
Lire l’étude en ligne : http://www.ceri-sciencespo.com/ceri...