Je remercie Florent Brayard pour le long compte rendu qu’il consacre à mon ouvrage Heydrich et la solution finale. La discussion entre chercheurs fait partie, éminemment, de la vie scientifique. Et il est fréquent que soient exprimés des désaccords de fond. Florent Brayard a publié chez Fayard en 2004 un gros livre intitulé La « solution finale de la question juive ». La technique, le temps et les catégories de la décision. Il s’agit de la première contribution d’un chercheur français au débat international sur le calendrier de la mise en œuvre de la Shoah par les dirigeants nazis. Et je n’ai aucun doute : le livre de Brayard est un livre magistral. Cela ne m’empêche pas d’être en désaccord foncier avec lui sur un certain nombre d’éléments d’interprétation.
Ces désaccords, qu’il lui est facile de constater, Florent Brayard les fait découler d’un certain nombre d’erreurs que j’aurais commises. Le terme est suffisamment répété, dans son compte rendu, pour attirer l’attention. Brayard finit même par un paragraphe sur le statut de l’erreur en histoire. J’ai fauté mais je révèle quand même quelque chose du degré de complexité auquel est parvenue la recherche sur l’histoire du génocide. Felix culpa !
Pourtant, en regardant de près le compte rendu, on peut juger que Brayard présente souvent mon argumentation sous un jour biaisé, donnant au lecteur une idée déformée de ma démonstration. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à la rédaction de la Vie des Idées de pouvoir répondre à son texte.
Mutations dans le processus de décision hitlérien
Je donnerai un premier exemple. Florent Brayard résume de façon abrupte l’une des thèses de mon livre par la formulation suivante : selon Husson, « la décision d’exterminer les Juifs fut prise au tout début du mois de novembre 1941 ». Je n’ai jamais formulé les choses de cette manière. Toute ma démonstration consiste à restituer le processus de radicalisation au sein du quatuor Hitler-Göring-Himmler-Heydrich. Je défends, documents à l’appui, la thèse selon laquelle une première version de la « solution finale de la question juive en Europe » a été conçue avant même la campagne contre l’Union Soviétique, qui commence le 22 juin 1941. Les nazis imaginaient qu’ils gagneraient la guerre contre l’URSS en quelques mois et ils envisageaient donc que, dès l’automne 1941, ils seraient en mesure de commencer le regroupement concentrationnaire des Juifs soviétiques puis la déportation généralisée des Juifs d’Europe vers l’Union Soviétique conquise dans un processus de « génocide lent ». À partir du moment où la guerre contre Staline s’enlisa, Hitler se trouva devant un dilemme : fallait-il attendre la victoire pour commencer la déportation généralisée des Juifs ou bien commencer sans attendre ? C’est pour cette deuxième option que se décida le dictateur et cela impliqua l’accélération immédiate du processus génocidaire : tant que l’on ne possédait pas les vastes espaces soviétiques pour procéder à une « extermination par le travail forcé » des Juifs, ces derniers devaient être regroupés plus à l’Ouest. Les dirigeants nazis, au terme de controverses complexes, aux échelons supérieurs et intermédiaires du régime et de l’administration d’occupation, se mirent d’accord pour assassiner les Juifs d’Europe centrale et occidentale par le gaz, sur le territoire polonais – les Juifs soviétiques étant toujours plus largement exterminés là où ils vivaient par des commandos de tueurs (Einsatzgruppen, Ordnungspolizei, Waffen SS).
J’ai donc défendu la thèse que trois décisions – ou plutôt trois impulsions – hitlériennes avaient été nécessaires pour le passage au génocide immédiat : en juillet 1941, le Führer incite à l’intensification des massacres de Juifs en URSS ; en septembre 1941, il autorise la déportation des Juifs du Grand Reich (Allemagne, Autriche, Bohême-Moravie) vers la Pologne ou les Pays Baltes ; en novembre 1941, il franchit le pas décisif : tous les Juifs d’Europe seront soumis sans attendre la fin de la guerre au processus de « solution finale ». Cela équivaut donc bien à un ordre d’extermination généralisée mais il doit être relu dans une évolution des instructions toujours plus génocidaires données par Hitler au cours de l’année 1941.
Florent Brayard ne se contente pas de simplifier ma thèse au point de la rendre simpliste. Il la fait reposer entièrement sur un élément de preuve qui est chez moi secondaire – une déclaration de Himmler à son masseur Kersten, le 11 novembre 1941 – et néglige les témoignages plus solides sur lesquels je m’appuie pour mettre en valeur ce basculement de novembre 1941 (quand certains de nos collègues chercheurs situent le tournant décisif en septembre ou en décembre) : en particulier les propos de Hitler lui-même, dont j’entreprends une analyse très détaillée pour la période qui va du 25 octobre au 10 novembre ; mais aussi la conférence de presse secrète tenue par Alfred Rosenberg et l’article publié par Josef Goebbels dans Das Reich, à la mi-novembre 1941, qui témoignent de leurs conversations avec le dictateur sur le sujet de l’extermination à venir des Juifs.
Le contexte géopolitique est essentiel
Le plus important de ma démonstration est cependant le lien que j’établis entre la détérioration de la configuration géopolitique pour l’Allemagne nazie et l’accélération hitlérienne du passage au génocide. Or, curieusement, Florent Brayard fait très peu allusion à cet aspect de mon livre dans son compte rendu. Une Europe dominée par Hitler aurait été dans tous les cas une « Europe sans Juifs ». Avant la guerre, les nazis imaginent l’émigration forcée des Juifs du Reich et, pourquoi pas, une « solution » concertée au niveau international de la « question juive ». À partir du moment où la guerre est déclenchée, les Juifs du Reich et de l’Europe conquise deviennent des otages entre les mains de Hitler, qui croit dur comme fer au « complot juif mondial » qui serait à l’origine de la guerre et imagine, entre 1939 et 1941, qu’en menaçant d’exterminer les Juifs, il pourra faire pression sur des dirigeants placés « sous la coupe des Juifs » à Paris, à Londres ou à Washington. Il faut se rappeler que Hitler prend, au deuxième semestre 1940, la décision d’attaquer l’URSS alors que son projet d’origine a échoué : il ne sera pas en mesure, par la faute de Churchill, de trouver l’accord avec la Grande-Bretagne dont il rêvait et il lui faut donc, pense-t-il, pour impressionner Londres et dissuader Washington d’entrer en guerre, gagner vite la guerre contre une Russie « pourrie par le judéo-bolchevisme ». La « solution de la question juive en Europe » devient alors partie intégrante de la stratégie globale. L’Allemagne nazie ne sera en mesure d’assurer sa domination sur le continent européen qu’à partir du moment où tous les Juifs en auront disparu. Hitler le fait comprendre, on ne peut plus clairement, dans un discours du 30 janvier 1941, où il reprend, en la radicalisant, sa déclaration du 30 janvier 1939, par laquelle il avait annoncé que les Juifs d’Europe seraient les premières victimes d’une guerre mondiale.
Une première forme du génocide des Juifs planifiée dès le printemps 1941
C’est dans cet état d’esprit que les principaux dirigeants nazis préparent la campagne contre l’Union Soviétique : la « solution finale de la question juive en Europe » fait partie intégrante de la planification. Comme le souligne Florent Brayard, pour le déplorer, je mets en question le consensus historiographique selon lequel aucun ordre d’extermination n’a été formulé avant le 22 juin 1941. Ainsi va la recherche : pendant longtemps, les historiens ont pensé que toute la Shoah avait été planifiée avant le déclenchement de la guerre germano-soviétique ; ensuite est venue une école d’historiens, plus attentive à la complexité du processus révélé par les documents – en particulier au rôle des initiatives prises par les agents locaux du génocide – qui a douté et, au contraire, défendu la thèse selon laquelle rien n’avait été planifié avant juin 1941 : la Shoah serait progressivement sortie de la radicalisation de la guerre, à partir d’août 1941. Florent Brayard se rattache à cette école ; dans son ouvrage, il défend même une version extrême de la thèse, puisque, pour lui, la Shoah n’est vraiment décidée qu’en juin-juillet 1942, lorsque Himmler lance l’Aktion Reinhard (l’extermination systématique des Juifs de Pologne) et inaugure les installations de gazage d’Auschwitz.
Plus je travaille sur la genèse de la Shoah, moins ce nouveau consensus historiographique me satisfait. Travaillant à la fois sur les processus de décision au sommet du régime et sur la mise en œuvre de la Shoah sur le terrain, en Ukraine, je ne peux pas rendre compte de l’ampleur des massacres dès le deuxième semestre 1941 (500 000 morts pour la seule Ukraine dans ses frontières d’aujourd’hui dans le cadre de la « Shoah par balles » entre juin et décembre 1941) sans reprendre de fond en comble la question de la planification avant le 22 juin 1941. Bien entendu, je reconnais, avec les historiens de l’école à laquelle se rattache Florent Brayard, l’importance des initiatives prises par les agents du génocide sur le terrain pour la radicalisation très rapide du processus de tuerie. Mais je pense avoir montré que cette initiative ne porte que sur le choix des moyens du génocide : la radicalisation de l’été et de l’automne 1941 est impensable sans l’impulsion meurtrière totale donnée depuis Berlin et qui s’ancre dans un long processus de maturation de la mentalité génocidaire qui a commencé dès la planification de la campagne de Pologne et a atteint un degré inouïe lors de la planification de la guerre contre l’URSS.
C’est pourquoi je défends la thèse qu’une première conception de la « solution finale » avait été planifiée dès le printemps 1941. Ce n’était pas exactement la Shoah telle qu’elle s’est effectivement déroulée – voilà l’acquis des discussions scientifiques de ces vingt dernières années – mais c’était déjà un projet de génocide : il aurait été plus progressif que la Shoah et aurait plus eu recours à la mort provoquée par famine ou par le travail forcé que ce que nous connaissons. Il est de mon point de vue impossible de comprendre le passage, extrêmement rapide, au judéocide, dès l’été 1941 en URSS puis à l’automne 1941 en Pologne, sans voir que le massacre généralisé avait déjà été souhaité et conçu par les dirigeants nazis. Tel est bien le cœur de ma thèse et c’est là ce que Florent Brayard refuse absolument
Le projet de déportation à Madagascar est déjà génocidaire
À l’été 1940, les nazis travaillèrent à un projet de déportation des quatre millions de Juifs sous leur domination vers Madagascar. C’était à la fois un héritage de la période d’avant-guerre, où les dirigeants du Reich avaient espéré un « règlement international » de la « question juive » et le signe d’un basculement vers le génocide. J’y vois un maillon essentiel dans la marche à la planification concrète du génocide. La plupart de nos collègues jugent le projet « irréaliste » ; c’est sans doute vrai mais je prends au sérieux, pour ma part, la brutalité des conceptions développées par le Ministère des Affaires étrangères et par la SS, pour y voir une mutation majeure dans la planification de la persécution des Juifs. Florent Brayard sous-estime considérablement la brutalité qui aurait accompagné ce processus de déportation et de réinstallation forcée. Peut-on imaginer un seul instant que les bateaux envisagés par Adolf Eichmann auraient été, sinon des paquebots de luxe, du moins des moyens de transport confortables ? Combien de déportés auraient-ils survécu au transport ? Combien auraient-ils supporté la transplantation dans un nouvel environnement ? La population locale aurait-elle accepté la coexistence imposée ? Surtout, les plans élaborés par les hommes de Heydrich témoignent plutôt du projet de mettre les Juifs au travail dans des structures concentrationnaires que de leur permettre d’établir des kibboutzim.
J’ai relevé dans le projet des hommes de Heydrich la mention d’un Vorkommando de la Sicherheitspolizei (la police commandée par Heydrich) chargé de surveiller la réinstallation des Juifs sur place. Brayard est choqué de ce que j’y voie une préfiguration de la logique des Einsatzgruppen, les groupes d’intervention de la SS et de la police, qui seront à l’œuvre, un an plus tard en URSS. Il affirme que Vorkommando est un terme neutre : « D’ailleurs, selon le Langenscheidts Grosswörterbuch Französisch », écrit-il, « un Vorkommando est “un détachement précurseur (chargé de préparer le campement)”. Sic. Rien, vraiment, de criminel à cela ». Je me permets de rappeler que le Vorkommando est, dans la terminologie des SS, une avant-garde d’Einsatzgruppe, chargé de préparer l’arrivée du reste des troupes ; et que, contrairement à la traduction donnée dans la version française de La Destruction des Juifs d’Europe de Raul Hilberg (« groupe mobile de tuerie »), qui donne une interprétation réductrice de leur champ d’action, les Einsatzgruppen étaient conçus à la fois pour organiser le marquage et la déportation des Juifs et pour éliminer d’emblée, parmi eux, les individus jugés dangereux. Deux versants d’une politique génocidaire, à court et moyen terme, dont on trouve l’embryon dans la conception du plan Madagascar, véritable « laboratoire » des plans de « solution finale » rédigés au printemps suivant.
Florent Brayard me fait dire que des chambres à gaz étaient planifiées par les nazis à Madagascar. En fait, je relève simplement qu’il était question, à l’été 1940, de faire contribuer le personnel de l’Aktion T4, chargé de la mise à mort des aliénés et des handicapés en Allemagne, au projet Madagascar. Nous n’avons que quelques indices mais ils me semblent suffisants pour se demander si l’idée de Himmler n’était pas de profiter de l’infrastructure de T4 pour mettre à mort des Juifs âgés, malades, handicapés ou aliénés que l’on n’aurait ainsi plus à déporter vers Madagascar. Les structures d’extermination par le gaz qui servaient déjà à l’euthanasie depuis le début 1940 auraient ainsi pu servir à se débarrasser, en Europe, d’emblée, d’une petite partie des Juifs à déporter. Quant à imaginer que le personnel de T4 aurait pu être sollicité uniquement pour assurer du transport, cela reviendrait à envisager le document, rien que lui, hors de tout contexte, au risque de se laisser prendre au camouflage linguistique des nazis. On voit bien les limites d’une telle approche lorsque les sources sont peu nombreuses à nous être parvenues. Derrière les organisations de transport de T4, faut-il le rappeler, se camouflait une entreprise d’extermination qui fit 70 000 morts entre janvier 1940 et août 1941.
Le rôle des Einsatzgruppen en URSS
Florent Brayard écarte rapidement ma relecture du rôle et du comportement des Einsatzgruppen en URSS en 1941. Pourtant, je propose un schéma complexe, que je peux résumer ainsi :
– Les Einsatzgruppen se voient confier la tâche, avant le 22 juin 1941, à la fois d’éliminer d’emblée le plus possible des « agents du judéo-bolchevisme » et de préparer le regroupement concentrationnaire du reste de la population juive d’URSS, qui devra avoir lieu après la victoire contre l’URSS. On est donc d’emblée dans un cadre génocidaire mais il est prévu que la majorité des Juifs soient soumis à un génocide lent, « d’extermination par le travail ». Lorsque l’Allemagne dominera définitivement le continent (c’est une question de six mois, pour les dirigeants nazis, au printemps 1941), alors elle pourra commencer à déporter les Juifs de toute l’Europe vers l’URSS conquise et les faire mourir progressivement de la même façon que les Juifs soviétiques.
– Progressivement, dans le courant de l’été 1941, les unités de la SS et de la police sont conduites à radicaliser leurs tueries. L’historiographie des années 1990 mettait l’accent sur la radicalisation à la base. On sait aujourd’hui que l’impulsion est venue d’en haut, en particulier de Himmler, qui est quasiment en permanence sur le terrain pour inciter les unités de la SS et de la police à tuer toujours plus de Juifs.
– Au plus tard en septembre, les communautés juives sont systématiquement exterminées. Il s’agit bien de la première étape de la Shoah, qui a commencé avant celle des camps d’extermination en Pologne. L’assassinat massif des Juifs soviétiques devait, dans la logique folle des nazis, permettre de gagner la guerre contre Staline. Il s’agissait simplement d’une accélération régionale au sein d’un processus globalement envisagé depuis le printemps, d’élimination globale des Juifs d’Europe ; au lieu d’un processus étalé sur plusieurs années, il devait être réalisé le plus vite possible. Cette accélération a lieu peu après en Pologne et elle concerne au plus tard au printemps 1942 les Juifs de toute l’Europe dominée par les nazis.
J’y insiste : pour qu’une telle accélération ait été possible, il fallait que les esprits aient été disposés au génocide dès le début de l’année 1941. C’est ce qui m’amène à réinterpréter des documents clés de la période. Je pense pouvoir montrer que le procès-verbal de la Conférence de Wannsee (20 janvier 1942) contient un noyau rédigé un an auparavant par Heydrich. C’est aussi ce qui m’amène à proposer une datation beaucoup plus précoce pour les « directives pour le traitement de la question juive à l’Est », un document largement négligé par la recherche et que je pense pouvoir dater de mars 1941. Florent Brayard reconnaît que c’est la partie la plus neuve de la démonstration. En laissant de côté le débat technique sur la traduction du procès-verbal et la confusion de deux de mes arguments, l’essentiel ici est la contestation de ma méthode.
Une réfutation un peu courte
Florent Brayard me traite de « disciple d’Edgar Poe ». On a vu plus mauvaise école. Il écrit en effet à mon propos : « À l’instar du héros de la Lettre volée d’Edgar Poe, il croit avoir découvert le document que tous les historiens cherchaient sans se rendre compte qu’ils l’avaient sous les yeux. Dès la fin de l’année 1940 ou au début de 1941, en effet, Heydrich avait rédigé et présenté à Hitler et à Göring une première planification de la “solution finale”, que nous connaissons seulement par des références indirectes. Ce document fondamental, dont la découverte nous permettrait de mieux comprendre la genèse de ce programme, aurait, à en croire Husson, toujours été là, à portée de vue : il se serait tout simplement agi de l’exposé de Heydrich à Wannsee… ». Effectivement, je suis sur ce point d’accord avec Brayard ; telle est mon intuition fondamentale, que j’ai essayé d’étayer dans mon livre. Pour être plus précis, je dirai que le cœur de l’exposé de Heydrich à Wannsee, tel que le retrace le procès-verbal de la Conférence, me semble reprendre le plan rédigé un an plus tôt. Pour arriver à cette conclusion, je suis effectivement parti de l’idée que la compréhension de la genèse de la Shoah avait forcément beaucoup de points de ressemblance avec une enquête de police sur un crime. Je suis bien un « disciple d’Edgar Poe ». La méthode déployée dans la Lettre volée n’a-t-elle pas une valeur épistémologique fondamentale ? Les criminels laissent toujours plus de traces de leurs cheminements de pensée qu’ils ne le pensent.
Florent Brayard met le doigt sur ce qui nous sépare méthodologiquement. Confronté, comme lui, à la destruction sciemment entreprise d’une partie des sources par les criminels eux-mêmes, je constate la faiblesse d’une lecture qui tend à isoler les documents les uns des autres. Plutôt qu’à une telle méthode, qui me semble tomber sous le coup des critiques que l’on a pu faire à l’école positiviste des historiens, j’ai largement recours, comme Brayard le remarque lui-même, « à la génétique textuelle » pour tenter de reconstituer une chronologie cohérente du processus de décision. Il se peut que ma thèse soit un jour sérieusement remise en cause, soit grâce à la découverte d’un document inconnu soit par des méthodes d’analyse différentes des miennes. Pour réfuter ma démonstration, il faudra cependant avoir une discussion méthodologique plus approfondie que celle que mène Brayard ici.
Il est curieux, d’ailleurs, d’écrire un compte rendu aussi long pour finalement traiter le cœur de la démonstration de « fantaisie ». C’est un peu court ! Tout se passe comme si Brayard voulait bien faire voler en éclat mon argumentation sans pouvoir faire autre chose que la prendre de biais, en mettant l’accent sur des questions annexes et en taisant des éléments essentiels. À vrai dire, je trouve cela bien dommage. Je pense que nous aurions à gagner, tous les deux, à entrer dans un vrai débat entre chercheurs qui ont des méthodes différentes mais certainement complémentaires.