Recensé : Kenneth Pomeranz, La Force de l’Empire. Révolution industrielle et écologie, ou pourquoi l’Angleterre a fait mieux que la Chine, introduction de Philippe Minard, traduction par Vincent Bourdeau, François Jarrige, Julien Vincent, Alfortville, Éditions è®e, 2009.
Lorsque Kenneth Pomeranz, professeur d’histoire à l’université de Californie à Irvine et spécialiste reconnu de la Chine [1], publie en 2000 un ouvrage intitulé The Great Divergence, ses thèses se sont déjà diffusées et ont suscité d’intenses discussions et controverses parmi les historiens économistes [2]. Si The Great Divergence a provoqué tant de remous au sein d’une littérature pourtant déjà très abondante sur les causes de la « révolution industrielle » du XIXe siècle, c’est en raison de deux thèses qui, sans être totalement nouvelles, n’en avaient pas moins un caractère provocant : Pomeranz établit d’abord la quasi-équivalence, au XVIIIe siècle, entre les niveaux de développement économique et social de l’Angleterre, berceau de l’envolée industrielle européenne, et d’une région chinoise, la vallée du delta du Yangzi (en amont de l’actuelle Shanghaï) ; il explique ensuite les divergences économiques ultérieures par la capacité de l’Angleterre d’exploiter le charbon de son sous-sol et les champs de coton de ses colonies. Ces thèses fortes reposent sur une connaissance exhaustive des travaux les plus récents sur les économies chinoise et anglaise, et sur l’usage d’une méthode comparatiste qui plaide pour un décentrage des questionnements traditionnels de l’histoire économique. Pomeranz invite ainsi à sortir de l’ « exceptionnalisme anglais » pour développer ce qu’il est maintenant commun d’appeler l’« histoire globale » [3].
Alors que cet ouvrage de référence n’est malheureusement toujours pas traduit en français [4], on doit remercier les directeurs de la collection « Chercheurs d’ère », Vincent Bourdeau, François Jarrige et Julien Vincent, d’avoir traduit et édité sous le titre La Force de l’Empire. Révolution industrielle et écologie, ou pourquoi l’Angleterre a fait mieux que la Chine, trois articles dans lesquels Pomeranz reprend, et quelquefois prolonge, les développements de The Great Divergence. Cette centaine de pages, qui offre un bon aperçu de la démarche et des thèses principales de Pomeranz, est précédée d’une remarquable introduction de Philippe Minard permettant au lecteur peu familier des débats historiographiques récents sur la révolution industrielle d’aborder sans encombre les articles de La Force de l’Empire.
Les similitudes entre la Chine et l’Angleterre
La démarche de Pomeranz se décompose en deux mouvements. Dans un premier temps, il s’agit d’effectuer une comparaison économique de deux régions, l’une européenne, l’autre chinoise, pour en faire apparaître les similarités importantes ; dans un deuxième temps, par élimination successive, d’expliquer quels ont pu être les facteurs de leur divergence de la fin du XVIIIe siècle.
Pomeranz s’inscrit dans ce qu’on a appelé « l’école californienne d’histoire chinoise » qui, dans les années 1990, a largement réévalué le niveau de développement économique de la Chine de l’époque moderne et a ainsi fourni les bases à une comparaison avec l’Europe, en montrant de manière rigoureuse que certaines régions avaient en 1750 un niveau équivalent à celui observé dans certaines régions européennes [5]. Beaucoup d’historiens avaient déjà constaté des similitudes entre certaines régions de Chine et d’Europe, mais aucun n’avait mené la comparaison de manière si systématique et détaillée. Une longue tradition historiographique « eurocentriste » reconnaît certes le développement économique et technologique élevé de la Chine à l’époque moderne, en insistant toutefois sur l’existence d’avantages comparatifs européens, culturels et géographiques, très anciens qui se seraient manifestés seulement au XVIIIe siècle [6]. Pomeranz, quant à lui, montre qu’aucun facteur présent avant cette époque ne permet d’expliquer la « grande divergence » ultérieure entre la Chine et l’Europe. La force de son argumentation tient à ce qu’il met de côté tout déterminisme historique, pour montrer au contraire que, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle au moins, rien ne permettait de prédire et rien ne rendait inévitables la suprématie et l’avance économique anglaises à venir.
Bien qu’il n’utilise pas de sources primaires et inédites pour établir ses comparaisons, Pomeranz a rassemblé de très nombreuses données que les historiens et économistes ont accumulé au fil du temps sur les deux régions. Il choisit des indicateurs en fonction de la disponibilité des données, mais également de façon à évaluer une à une les thèses importantes qui ont été avancées pour expliquer l’industrialisation anglaise. Réfutant une analyse au niveau national ou continental, qui aurait peu de sens pour les économies du XVIIIe siècle, il opère au niveau régional, mettant sur la balance l’Angleterre d’un côté, la région du delta du Yangzi, en particulier le Jiangnan, de l’autre.
Dans un premier temps, l’auteur s’intéresse aux données sur la consommation des ménages, dans la lignée des célèbres travaux de Jan de Vries [7]. Ceux-ci ont définitivement rendu obsolète la vision de la révolution industrielle comme rupture radicale et soudaine, pour insister sur la continuité d’une « révolution industrieuse » graduelle (à l’œuvre en Europe depuis le XVIe siècle au moins) qui a vu les ménages se tourner de plus en plus vers des activités de marché, consacrer moins de temps à leurs loisirs ou aux tâches domestiques et consommer plus de biens et d’objets fabriqués par d’autres. Pomeranz montre qu’un tel processus a été également à l’œuvre dans les régions les plus commercialisées de la Chine (et sans doute aussi au Japon) : les écrits contemporains et les chiffres suggèrent une consommation très similaire à celle de l’Angleterre pour la soie, le thé, mais aussi pour d’autres tissus (coton, lin) et pour le sucre. Ces chiffres sont très proches dans les deux régions, tant pour les biens de consommation populaires que pour les biens de luxe, un constat que Pomeranz utilise pour contester les théories qui voient dans la constitution d’une élite fortunée européenne une marque de l’avènement d’un comportement capitaliste précoce.
Ces biens de consommation auraient pu cependant être produits de manière non identique, au sein d’institutions économiques présentant des caractéristiques différentes. Cet argument se retrouve chez des auteurs phares de l’histoire mondiale, aussi différents que Braudel, Wallerstein, North ou Landes. Ce dernier insiste par exemple sur la capacité de l’Occident à développer la liberté du marché, élément essentiel au développement économique [8]. Dans The Great Divergence, Pomeranz prend donc soin d’établir des comparaisons institutionnelles fines afin de montrer que le marché chinois n’était pas moins libre, que les droits de propriété n’étaient pas moins définis, et que, par rapport à l’Europe, la Chine tendait même à se rapprocher plus d’une économie de marché de type « smithien » que d’une forme de capitalisme tel que le décrivait Braudel. Le premier article traduit dans La Force de l’Empire offre seulement un court aperçu de ces comparaisons institutionnelles qui constituent une analyse majeure de la première partie de The Great Divergence.
De l’aveu même de Pomeranz, la comparaison la plus difficile concerne le travail, en particulier le travail agricole et la question du travail féminin. L’auteur consacre une part importante des deux premiers articles de La Force de l’Empire à contester la thèse de Philip Huang, inspirée en partie de Brenner [9], qui soutient que la géographie et les institutions agraires chinoises favorisaient une productivité et des rendements bien plus faibles qu’en Angleterre. Il montre à la fois que le rendement à l’hectare du riz était équivalent à celui du blé, que les technologies agricoles étaient presque identiques et que la productivité anglaise ne s’est pas améliorée au XVIIIe siècle. Concernant les femmes, Pomeranz met en avant le travail des fileuses qui recevaient un revenu proche de celui des hommes en Europe, et conteste ainsi une vision trop patriarcale de la famille chinoise.
Les différences géographiques ou écologiques, c’est-à-dire la fertilité des sols, les réserves de bois ou de combustibles, ne font pas apparaître de facteurs expliquant un handicap pour la région du delta du Yangzi. Pomeranz montre encore que, malgré une densité de population plus élevée, la région du Yangzi ne subit pas de saturation des ressources naturelles plus forte qu’en Europe à cette époque ; pour reprendre ses termes, « l’étau malthusien » n’était pas plus important en Chine. Les comparaisons institutionnelles et statistiques lui permettent donc d’éliminer un à un les facteurs traditionnellement avancés pour expliquer l’échappée industrielle anglaise : les contraintes écologiques, les différences institutionnelles, la structure des marchés ou de la famille, les différences de niveau et d’espérance de vie, les technologies et la productivité agricoles, le développement de la consommation ne peuvent expliquer la révolution anglaise puisque la région du delta du Yangzi possédait des caractéristiques et un niveau de développement à peu près équivalents.
La grande divergence : contraintes écologiques, charbon et coton
Mais s’il refuse un déterminisme géographique qui aurait favorisé une région par rapport à l’autre, Pomeranz attache une haute importance aux contraintes écologiques. Selon lui, l’interaction de ces contraintes avec des processus politiques et sociaux a eu un impact essentiel sur la divergence économique de la fin du XVIIIe siècle. En particulier, la croissance de la population et de l’activité économique proto-industrielle a entraîné petit à petit une demande excessive de bois par rapport aux réserves locales (saturation que l’on observe notamment par la forte hausse des prix dans les deux régions étudiées). C’est en partie la réponse à cette pénurie qui fit diverger le delta du Yangzi et l’Angleterre. Comme le met en valeur Philippe Minard dans son introduction, cette analyse « écologique » confère à l’approche de Pomeranz une dimension originale et iconoclaste, en lien avec les développements récents en histoire environnementale [10].
L’argument essentiel qui conclut ce raisonnement est que l’Angleterre put se libérer des ses contraintes en économisant les terres grâce à l’utilisation du charbon (substitut du bois) et l’exploitation des terres de ses colonies du Nouveau Monde, alors que la région du delta du Yangzi dut se tourner vers une exploitation de ses terres plus intensive en travail. Pour comprendre précisément les mécanismes de substitution à l’œuvre, on gagnera à se reporter au chapitre 6 de The Great Divergence qui fait notamment référence au modèle de Joel Mokyr [11], car les explications de ce premier article sont parfois plus confuses. L’essentiel de l’argumentation s’appuie sur le fait que même si l’industrialisation repose sur une utilisation plus forte du capital que du travail (on dit qu’un secteur devient alors plus intensif en capital), elle nécessite une main-d’œuvre importante qui ne change de secteur que si les rendements sont supérieurs dans le secteur industriel ou proto-industriel. En exploitant une autre source d’énergie et en « délocalisant » une partie de la production très intensive en travail dans les colonies, l’Angleterre a ainsi pu garantir une allocation du travail dans les secteurs proto-industriels puis industriels, alors que l’agriculture du delta du Yangzi devenait, quant à elle, de plus en plus intensive en travail.
Selon Pomeranz, le fait que l’Angleterre se tourna seule vers l’exploitation du charbon est dû tout autant au hasard qu’à la force des institutions. Même si la Chine possède des ressources fossiles importantes, le charbon était plus près des villes en Angleterre et il y eut également une volonté politique britannique précoce d’exploiter ces ressources. Pomeranz établit aussi une forte différence entre la « force de l’empire anglais », tourné vers ses périphéries, et le modèle de l’empire intérieur chinois. Il montre toutefois que des facteurs plus contingents ont eu un rôle négatif sur le rapport entre le Yangzi et les régions voisines. La croissance de la démographie et de la capacité de production de tissus des partenaires commerciaux du Jiangnan a réduit les exportations de cette dernière région, tandis que la division familiale du travail, plus forte que la division géographique dans les régions périphériques du Yangzi, atténuait également les possibilités d’extension de l’agriculture.
Pomeranz considère donc que l’exploitation du charbon a eu un rôle déterminant dans l’échappée anglaise (comme l’avait déjà mis en valeur notamment les travaux de Wrigley), et réhabilite l’importance cruciale des colonies – de la « périphérie » – qui ont pris en charge les activités les plus intensives en travail et les plus usantes pour les sols, en premier lieu le coton. Contestant les travaux célèbres de Patrick O’Brien qui tendaient à minimiser le rôle des « périphéries » dans le développement industriel anglais, Pomeranz opère un retour vers les thèses d’Eric Williams qui mettaient en valeur l’importance des colonies et de l’esclavage dans le développement industriel anglais. Mais plutôt que de voir avant tout dans les colonies un débouché exceptionnel pour les produits manufacturés anglais, comme le faisait Williams, Pomeranz insiste surtout sur le fait qu’elles ont libéré une bonne partie de l’agriculture anglaise de ses contraintes. Le raisonnement qu’il tient ici repose sur la notion d’« hectares fantômes » (empruntée à Eric Jones), c’est-à-dire le gain qu’apportaient les colonies à l’Angleterre en cultivant des hectares que le pays aurait, autrement, dû cultiver lui-même [12].
La méthode de Pomeranz : critiques et influence
Les critiques adressées à Pomeranz ont évidemment porté sur les deux points principaux de son argumentation : les comparaisons entre les deux régions, puis le rôle du charbon et du Nouveau Monde.
Dans le deuxième article de La Force de l’Empire, Pomeranz répond à plusieurs auteurs qui réfutent la thèse d’un niveau équivalent de développement entre Angleterre et Chine en 1750. Dans un premier temps, il rappelle que relever des similarités entre régions ne revient pas à les considérer comme totalement semblables, mais à établir des « équivalences approximatives » qui permettent d’établir une comparaison et ainsi d’évaluer quels facteurs ont pu avoir une influence déterminante. De même, étudier les différentes régions à un moment donné ne revient pas à dire qu’elles ont eu des évolutions semblables auparavant. On voit que la démarche comparatiste de Pomeranz repose en partie sur un raisonnement contrefactuel : que se serait-il passé si tel ou tel facteur avait été différent ou, au contraire, commun ?
La réponse de Pomeranz à ses critiques révèle également à quel point sa démarche historique s’appuie souvent en premier lieu sur un travail quantitatif. Ainsi, pour contester les arguments de Brenner, repris en partie par Huang à l’encontre de The Great Divergence, il se tourne vers les estimations de Robert Allen [13]. Alors que les premiers auteurs, suivant la tradition interprétative marxiste, soulignent l’importance de la concurrence sur le marché de la terre qui aurait poussé les fermiers à renvoyer une partie de la main-d’œuvre pour obtenir de plus hauts rendements (cette main-d’œuvre devenant le prolétariat de l’industrialisation), Allen montre que les loyers de la terre n’étaient pas liés aux bénéfices et n’étaient donc pas déterminés par la concurrence. Les estimations de la productivité agricole fournies par Allen [14] tendent également à contester les théories de Brenner sur une hausse des rendements au détriment de la main-d’œuvre. Cette démarche quantitative systématique est peut-être moins apparente dans les articles traduits dans La Force de l’Empire, où une place prioritaire est naturellement donnée à l’énoncé des thèses de l’auteur, que dans The Great Divergence qui comprend notamment cinq appendices méthodologiques décrivant les données utilisées.
Les critiques les plus affûtées de Pomeranz ont joué sur cet aspect quantitatif, en contestant ou réinterprétant certaines séries ; ainsi Broadberry et Gupta [15] utilisent des séries de prix et un modèle économique simple de taux de change pour estimer une productivité plus importante dans le secteur des biens exportables anglais. Vries considère quant à lui que Pomeranz sous-estime l’avance agricole anglaise, qui reposait sur une plus grande densité d’animaux (chevaux et bœufs) utilisés pour le labour et les transports [16]. Plus généralement, la publication du livre de Pomeranz a initié de nouveaux débats sur la possibilité de comparer, avec des données partielles et sommaires, les niveaux de vie dans des pays aux institutions et cultures très différentes. Un des apports majeurs de Pomeranz dans ce domaine a été de montrer la pertinence de telles comparaisons, tout en en soulignant les limites évidentes [17].
D’autres critiques ont insisté justement sur les points où le travail quantitatif se révèle par nature incomplet, en particulier pour évaluer le progrès technologique dans les deux régions. Pomeranz reconnaît d’ailleurs que son raisonnement pâtit de la difficulté qu’il y a à mesurer le niveau scientifique et technologique des pays : « La partie la plus faible de mon argumentation réside sans doute dans le domaine de la science et de la technique » (p. 87). Comme l’ont noté plusieurs commentateurs, Pomeranz n’arrive pas à mettre totalement en cause la thèse selon laquelle les inventions technologiques deviennent plus nombreuses et se diffusent de manière plus importante en Europe avant le XVIIe siècle [18]. Cette question est néanmoins cruciale, car l’interprétation des échanges commerciaux anglais en dépend : si aucune modification technologique et industrielle n’a lieu en Angleterre avant que commencent les grandes importations de coton, alors on peut effectivement se laisser convaincre par la théorie des « hectares fantômes » ; mais si une évolution technologique interne a poussé la proto-industrialisation à ses limites, accroissant alors la demande de biens anglaise, alors les importations et les rapports économiques avec les colonies ne sont que les conséquences d’une révolution industrielle déjà en marche. Les données fournies par Pomeranz concernant les exportations et importations ne permettent pas, en réalité, de trancher de façon certaine. L’auteur, conscient des limites de certains de ses arguments, encourage ainsi le développement et l’utilisation de nouvelles bases de données pour affiner les comparaisons [19].
On ne saurait pour autant réduire les discussions suscitées par le livre à des débats quantitatifs. Comme Pomeranz y invite lui-même, ce sont bien les interactions entre les institutions, la politique, la technologie, la géographie, qu’il faut in fine mettre en avant sans céder au déterminisme que les analyses de long terme ont souvent du mal à éviter. Même si les thèses de Pomeranz devaient être contredites une à une, il n’en resterait pas moins une démarche innovante qui a su imposer une nouvelle méthode et renouveler des questionnements anciens par un déplacement salutaire. The Great Divergence prône un comparatisme total et véritable où il ne s’agit plus de comparer les autres régions du monde à l’Angleterre triomphante pour identifier les habituels « blocages » ou « impasses » au développement, mais de réaliser une comparaison sans étalon. Comme le souligne de façon très éclairante Deirdre McCloskey, les développement initiés par Pomeranz conduisent donc également à abandonner l’idée, inspirée du modèle biologique, d’une croissance « par étapes » ou « par stades » [20].
On aurait tort de sous-estimer l’ambition politique d’une telle démarche scientifique, et le troisième article traduit dans La Force de l’Empire sait le rappeler en guise de conclusion. L’ouvrage de Pomeranz a reçu un écho important parmi les historiens et économistes, à la fin d’une décennie où théoriciens et politiques avaient poussé jusqu’à outrance l’idée d’un modèle supérieur de développement économique (ce qu’on a parfois appelé le « consensus de Washington »). Nombre de travaux s’engagèrent dans une démarche comparatiste pour hiérarchiser les facteurs de performance économique, et souvent faire l’éloge d’un modèle unique et clairement défini (principalement anglo-saxon) [21], plutôt que pour montrer la contingence des voies de développement économique et la multiplicité des trajectoires possibles comme y invite Pomeranz : « Reconnaître que les différentes caractéristiques aujourd’hui communes à toutes les économies modernes ne sont pas toutes advenues selon le même scénario uniforme » (p. 109). Comme l’écrit logiquement l’auteur, ce défi nécessite alors d’étudier des régions autres que celles d’Angleterre et de Chine. Il semble aujourd’hui que de telles études se soient plus rapidement développées pour l’Asie, notamment pour des régions indiennes et japonaises [22], que pour l’Europe, où l’on sait déjà pourtant que des régions danoises et hollandaises avaient un développement économique très similaire à celui de l’Angleterre et du Yangzi en 1750 et faisaient face à des contraintes écologiques équivalentes. Souhaitons que la perspective ouverte par Pomeranz saura notamment offrir de nouvelles interprétations sur les raisons pour lesquelles ce sont d’autres pays européens qui ont pris en premier le chemin industriel initié par l’Angleterre.