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Recension Histoire

Dossier / L’eau : les tensions d’une ressource

La Volga dans la géopolitique russe

À propos de : Pascal Marchand, Volga, l’héritage de la modernité, CNRS Éditions


par Laurent Touchart , le 17 janvier


Le plus long fleuve d’Europe est marqué par l’histoire soviétique. Des barrages à la pêche en passant par l’industrialisation, il est au cœur des bouleversements continentaux qui se produisent sous nos yeux.

Géographe spécialiste de la Russie, auteur de nombreuses publications d’autorité sur ce pays, Pascal Marchand vient de publier un nouvel ouvrage intitulé Volga, l’héritage de la modernité. Il avait rédigé sa thèse de doctorat sur l’aménagement et l’environnement de la Volga à la fin de la période soviétique.

À l’échelle mondiale

Le fil directeur de l’ouvrage est de revenir sur les étapes de l’aménagement du plus grand fleuve européen, qui l’ont fait passer d’un cours d’eau naturel à un fleuve « construit », faisant alterner échecs et réussites, conséquences positives et négatives sur l’économie et l’environnement. L’auteur prend le parti de survaloriser, en nombre de pages et de chapitres, le poisson (quand il s’agit de géographie physique) et la pêche (quand il s’agit d’activités humaines), sans laisser de côté aucune thématique, car l’ensemble est très complet.

Puisqu’il s’agit de retracer les grandes étapes d’aménagement de la Volga, le livre est essentiellement écrit au passé. Il prend parfaitement place dans la collection, intitulée « Géohistoire d’un fleuve ». La fin du huitième chapitre, centré sur la circulation fluviale, ainsi que la conclusion générale, sous le titre « La Volga, un fleuve d’Asie ? », font exception : ils forment un développement sur l’actualité et même les perspectives à venir.

Pour le géographe, ces dernières pages sont sans doute plus captivantes que les autres. On y trouve la confirmation que l’auteur est le grand spécialiste de la géopolitique de la Russie, qu’il contextualise à l’échelle eurasiatique et même mondiale. Des bouleversements historiques planétaires sont en train de se produire sous nos yeux, dans lesquels la Russie se trouve être le protagoniste. Les perspectives économiques et géopolitiques du corridor Nord-Sud, de la Volga à l’Inde, en passant par la Caspienne et l’Iran, en constituent l’exemple le plus frappant.

Un « panthéon du marxisme-léninisme »

L’ouvrage commence par un prologue où l’auteur file une métaphore qui lui est chère depuis longtemps : celle d’une Volga « vallée des rois bolchevique », d’un fleuve « panthéon du marxisme-léninisme », d’une « vallée mausolée », telle une iconostase orthodoxe du communisme soviétique.

Le premier chapitre est dévolu à la géographie physique, dans une optique de contraintes et de potentialités pour l’aménagement et la production, notamment hydroélectrique. Son originalité réside dans la place accordée à la biogéographie piscicole.

Le deuxième chapitre étudie le contexte politico-administratif et naturel, dans lequel les travaux d’aménagement ont eu lieu. Il explique comment le pouvoir soviétique a fait face aux années de sécheresse du bassin de la Volga, avec pour conséquence la baisse de niveau de la Caspienne, et comment cette période climatique exceptionnelle a pu infléchir certaines décisions d’aménagement de l’époque. Les projets de transferts de bassin sont d’autant plus détaillés que l’auteur interprète leur échec comme étant une cause majeure de l’effondrement de l’URSS.

Le troisième chapitre présente les conséquences de la transformation du fleuve en un escalier de lacs, du fait de la construction d’une douzaine de barrages des années 1930 aux années 1980. L’auteur chiffre d’abord les superficies de terres ennoyées, d’autant plus grandes que ce sont des barrages de plaine. Il évoque ensuite leur rôle dans la régularisation des débits, l’écrêtage des crues étant l’effet le plus réussi, qui était d’ailleurs le plus recherché.

Depuis 1962, le barrage de Volgograd reconstitue cependant une « crue artificielle », afin de favoriser les populations piscicoles de la basse Volga ; mais le débit relâché reste moins important que celui de l’ancienne crue naturelle. Le chapitre se termine par les problèmes environnementaux : l’hydromorphie des terrains avoisinant les lacs, du fait de la remontée du niveau de la nappe, le recul des rives par l’érosion et, enfin, l’envasement des retenues.
Les chapitres suivants sont dévolus aux stocks piscicoles et aux activités halieutiques, dont une bonne part concerne l’emblématique question de l’esturgeon et le secteur géographique de la basse Volga, où la thématique de l’irrigation lui fait concurrence.

L’urbanisation et la circulation fluviale

Dans le chapitre consacré aux villes de la Volga, l’héritage historique des plus anciennes forteresses (kremlins), en général en bois, est mis en avant ; mais, à la chute de l’Empire tsariste, les rives du grand fleuve restaient dépourvues de véritable grande ville, à part peut-être Saratov.

Tardivement dans l’histoire européenne, c’est l’industrialisation soviétique qui a provoqué l’urbanisation de la Volga. La Seconde Guerre mondiale (la Grande Guerre patriotique dans la terminologie soviétique) lui a donné une impulsion considérable, puisque devant l’avancée nazie, il a fallu évacuer et relocaliser sur la Volga, dans l’Oural et en Sibérie, les usines qui se trouvaient plus à l’ouest.

Dans les années 1950-1960, l’essor économique soviétique a été largement planifié en direction de la Volga et, du moins pour les hydrocarbures et les industries lourdes, de son plus grand affluent, la Kama. Les industries de base ont été accompagnées par l’industrie automobile, en particulier dans la ville de Togliatti (sur la Volga) pour les voitures et celle de Nabiériéjnié Tchelnyi (sur la Kama) pour les camions, l’aéronautique dans les villes de Kazan, Oulianovsk, Samara et Saratov, et l’aérospatiale avant tout à Samara.

Le huitième et dernier chapitre s’attache à la circulation fluviale. La Volga navigable à grand gabarit est un vieux rêve du pouvoir russe, mais une construction en fait récente, issue de la politique de grands travaux soviétique, qui n’a d’ailleurs pas été complètement achevée. À la chute de l’URSS, la navigation fluviale s’est effondrée, mais un renouveau voit le jour, l’ancien Système des Cinq Mers redevenant, sous une forme nouvelle plus tournée vers l’océan Indien, un enjeu d’importance mondiale.

L’un des problèmes réside dans le niveau de remplissage du lac de barrage de Tcheboksary, qui, trop bas, entrave la circulation des gros navires sur un tronçon. L’auteur présente le bras de fer existant entre le pouvoir central, qui voudrait remonter le niveau, et les autorités locales qui, soutenues par les écologistes, le refusent et obtiennent gain de cause.

Rigueur et impressions personnelles

Ce petit ouvrage synthétique compte au total 5 figures (4 cartes et une coupe) et 28 photos en noir et blanc. Une annexe est constituée d’un tableau résumant les caractéristiques chiffrées de tous les lacs de barrage qui harnachent le fleuve et son principal tributaire. Il n’y a pas de bibliographie, celle-ci étant remplacée par des références dans la vingtaine de pages de notes situées en fin d’ouvrage.

L’ensemble est vivant, émaillé de quelques anecdotes personnelles, comme le fait d’avoir souffert de la chaleur étouffante dans les rues de Volgograd, ou le regret d’avoir constaté la perte d’une grande partie du fonds bibliographique russe à l’Institut de géographie de Paris.

Connaisseur de la Volga depuis plusieurs décennies, Pascal Marchand signe ici un ouvrage synthétique, écrit avec concision tout en abordant de façon exhaustive l’ensemble des thématiques. Ce travail universitaire rigoureux n’empêche pas l’auteur de donner son opinion et ses impressions personnelles, avec lesquelles on peut d’ailleurs ne pas toujours être d’accord, mais qui rendent la lecture aisée et souvent captivante.

Pascal Marchand, Volga, l’héritage de la modernité, Paris, Éditions du CNRS, 2023, 256 p., 23 €.

par Laurent Touchart, le 17 janvier

Pour citer cet article :

Laurent Touchart, « La Volga dans la géopolitique russe », La Vie des idées , 17 janvier 2024. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./Pascal-Marchand-Volga

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