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Recension Histoire

Pour une histoire internationale du terrorisme

À propos de : Jenny Raflik, Terrorisme et mondialisation. Approches historiques, Gallimard


par Thomas Bausardo , le 17 juin 2016


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Qu’est-ce que l’histoire peut apporter à l’analyse du terrorisme contemporain ? Jenny Raflik propose de relire son essor sous l’angle de la montée en puissance de la mondialisation. Compte rendu suivi d’une réponse de l’auteure.

Recensé : Jenny Raflik, Terrorisme et mondialisation. Approches historiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2016, 407 p., 28 €.

Face à la sidération consécutive aux récents attentats terroristes, toute tentative de recul apparaît comme un impératif en réponse au déferlement des experts télévisuels assénant nombre de contre-vérités à longueur d’interventions calibrées pour le cycle perpétuel d’information en continu.

Dans cette perspective, la recherche historique a un rôle important à jouer, par la proposition d’un double recul, historique et critique, face à un phénomène présent dans nos sociétés depuis déjà plus d’un siècle et demi. Dans son dernier ouvrage, Terrorisme et mondialisation, l’historienne Jenny Raflik, maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise, entend ainsi « faire de la question du terrorisme un objet à part entière en histoire des relations internationales » (p. 7). Il s’agit ainsi de faire du terrorisme un objet d’étude légitime pour l’historien. Il ne l’est pas encore au sein de l’Université française où il est perçu comme un phénomène difficile à circonscrire strictement, et d’une actualité sans cesse renouvelée pouvant obérer son existence pluricentenaire. Il s’agit par ailleurs d’ancrer l’étude du terrorisme dans le champ qui serait le plus à même de restituer les caractéristiques fondamentales de son évolution depuis le XIXe siècle, l’histoire des relations internationales, afin de rendre compte des multiples internationalisations du phénomène depuis un siècle et demi.

La légitimation du projet de l’auteur est ainsi affirmée au sein du second chapitre de l’ouvrage, où est dénoncée autant la « suprématie » (p. 44) des travaux anglo-américains sur l’étude du terrorisme qu’une supposée mainmise des « mathématiques appliquées » – Jenny Raflik parle d’« OPA » (p. 46) sur la recherche - qui tiendraient le haut du pavé dans ce champ [1]. Réaffirmant le rôle de l’historien dont la tâche serait de « replacer les phénomènes dans le temps, parfois long, et d’établir des comparaisons entre des sociétés et des époques différentes » (p. 50), Jenny Raflik propose de croiser une approche généalogique du terrorisme avec une compréhension des dynamiques des relations internationales à l’époque contemporaine (XIXeXXIe siècles), principalement sous l’angle de la montée en puissance des phénomènes de mondialisation puis de globalisation économiques.

Le terrorisme au prisme de l’anti-terrorisme

Une double difficulté entoure pourtant le concept de terrorisme. La première a trait à la presque impossibilité, régulièrement notée, depuis les premières entrées du dictionnaire, du Littré (1860-1876) autant que du Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse (1863-1876), jusqu’aux plus récentes conventions de droit international et européen, à le saisir autant qu’à le définir. La seconde difficulté tient à l’antienne qui voudrait que les terroristes des uns soient les résistants des autres. Cette ambivalence de la qualification met ainsi en question les ressorts de la légitimité du recours au terme de terrorisme tout en consacrant le caractère purement subjectif de son utilisation ainsi que sa charge politique et émotionnelle.

Tout en rappelant de manière fort juste que le terrorisme est toujours « politique » (p. 35), l’auteur propose deux points saillants pour le définir : il s’affirme comme un « projet politique dans la durée » et se caractérise par « l’utilisation d’une violence transgressive bien que présentée et considérée comme légitime par le terroriste, inscrite dans l’immédiat » (p. 41).

Historiquement, terrorisme et antiterrorisme internationaux, images inversées des relations internationales contemporaines, se sont affirmés en parallèle de l’édification de l’État-nation en Europe. Une typologie descriptive des terrorismes contemporains, dont l’idée force est leur internationalisation inhérente, engage ainsi la réflexion. Le premier d’entre eux serait le terrorisme dit « nationaliste », dont le trait caractéristique serait la limitation des revendications à un cadre géographique national mais selon des logiques internationales et transnationales, ce dès la fin du XIXe siècle (p. 67). Le deuxième terrorisme, dit « anarchiste », actif des années 1870 aux années 1930, est marqué par l’usage progressif de la « propagande par le fait » et dont l’internationalisation des logiques d’action apparaît comme résultant tant du caractère internationaliste du mouvement que des logiques de répression nationales menées par les États. Le dernier terrorisme identifié, dit « terrorisme syncrétique », émergerait dans les années 1970 pour se poursuivre de nos jours dans le terrorisme islamiste, et dont le caractère commun serait à trouver dans la détestation des démocraties occidentales (p. 85).

En réponse à cette internationalisation des terrorismes se serait construite une « internationale antiterroriste », aux résultats maigres selon l’auteur, du fait de l’absence de définition universellement agréée du terrorisme. Retraçant les premiers efforts internationaux antiterroristes depuis la conférence antianarchiste tenue à Rome en 1898, en passant par la SDN dans les années 30, jusqu’aux tentatives onusiennes des années 70-80, Jenny Raflik en conclut à l’existence d’un véritable syndrome d’« union sans la solidarité » : une proclamation de la nécessité de coopération qui ne se traduirait pas dans les faits, en raison des intérêts purement nationaux qui gouvernent la lutte antiterroriste et qui grèveraient l’antiterrorisme international actuel, la période d’union sacrée ayant suivi le 11 septembre 2001 n’ayant été qu’une parenthèse vite refermée aux débuts de l’aventure irakienne de 2003.

Terrorisme et mondialisation

La confrontation des logiques internationales du terrorisme à celles de la mondialisation – la remise en cause des frontières et la redéfinition de la notion de territoire, l’inégale répartition des richesses qui en serait issue, ainsi que les logiques techniques et technologiques ayant favorisé son avènement – occupe le cœur de l’ouvrage. Corollaire de son internationalisation précoce, le terrorisme aurait toujours dépassé les frontières, proposant des logiques de « réappropriation » spatiale, dans la mise en œuvre de mode d’implantations spécifiques dans un territoire, qu’il s’agisse de la définition pratique de tactiques de guérilla urbaine ou rurale ou de constitution de sanctuaires permettant repli stratégique autant que base opérationnelle pour la préparation d’attentats, et qui reconfigurent les données traditionnelles de l’État-nation. Les liens des organisations terroristes avec le territoire doivent être ainsi entendus dans leur aspect « idéologique, matériel et opérationnel » (p. 157). Plus encore, les terrorismes proposeraient des logiques de « reterritorialisation » (p. 164) s’affranchissant non seulement des logiques géographiques traditionnelles mais proposant de nouvelles souverainetés, telle celle, transnationale, de l’umma – communauté des croyants musulmans – favorisée par le terrorisme islamiste.

La mondialisation porteuse d’inégalités servirait non seulement de facteur déterminant au terrorisme mais aussi de justification dans un âge postcolonial. Examinant, notamment grâce aux travaux de nature statistique, les rapports du terrorisme à la pauvreté ainsi que les profils socio-économiques et familiaux des terroristes, Jenny Raflik entend aller à l’encontre de l’idée reçue du terroriste comme d’un laissé pour compte de la mondialisation économique, phénomène qui jouerait un « rôle probable » mais pas « déterminant » (p. 209). La notion d’exilé serait plus opératoire : « le terroriste est, ou se pense souvent comme, un exilé : de l’intérieur, lorsqu’il appartient à l’origine au milieu, à la société, au pays qu’il est ensuite amené à combattre ; de l’extérieur, lorsqu’il perçoit comme radicalement différente ou antagoniste l’entité contre laquelle il se rebelle » (p. 209). La révolution des transports, des technologies et des modes de communication apparaît en définitive comme bien plus importante pour l’extension internationale du terrorisme, ainsi que sa persévérance, que n’ont pu l’être les conséquences de la mondialisation économique (p. 241).

La dernière partie de l’ouvrage offre un ensemble de réflexions fortement disjoint. Son premier chapitre examine ainsi la question terroriste au regard des deux grandes théories des relations internationales proposées dans les années 1990, celle de la « fin de l’histoire » de Francis Fukuyama et celle du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, afin de montrer en quoi l’Histoire, c’est-à-dire l’irruption d’un événement tel que le 11 septembre 2001, a pu les contredire. Jenny Raflik utilise ainsi le recueil d’entretiens entre Jürgen Habermas et Jacques Derrida titré en français Le concept de 11 septembre pour tenter d’ouvrir une nouvelle voie entre les interprétations paradigmatiques formulées par les deux politistes américains, dont certaines des conclusions prédictives ont pu être démenties tant par l’événement lui-même que par les conséquences de l’aventurisme américain qui lui a immédiatement fait suite et qui pourraient servir bien plus justement de prisme interprétatif à l’état actuel du monde. L’avant-dernier chapitre examine, lui, le « choix cornélien » (p. 298) entre sécurité et liberté, entre guerre et mesures policières, entre dispositifs législatifs réguliers et d’exception au cœur des politiques antiterroristes. Tout en soulignant les vertus corrosives pour la démocratie de la normalisation progressive des dispositifs traditionnellement conçus et construits comme relevant de l’exception, l’auteur rappelle le nécessaire apport des contre-pouvoirs, qu’ils relèvent d’un contrôle étatique ou émanant de la société civile, comme rempart à la fine frontière qui séparerait parfois en la matière démocraties et régimes autoritaires (p. 309). Enfin, le dernier chapitre interroge à la lumière de l’histoire l’efficacité du terrorisme comme méthode d’action aux fins d’arriver à un but politique donné, appelant à une meilleure prise en compte du temps long dans l’analyse autant qu’à une contextualisation dans « l’estimation des succès » du terrorisme (p. 345). En effet, les objectifs assignés n’auraient pas été atteints uniquement par les actes de terrorisme eux-mêmes mais auraient nécessité d’autres stratégies de mobilisation qui s’inscrivent dans des temporalités spécifiques (p. 341). Il peut s’agir d’une stratégie médiatique due au caractère proprement spectaculaire de certains actes commis, comme les détournements d’avions par le Front Populaire de la Libération de la Palestine à partir de la fin des années 1960 ou plus récemment les attentats de New York et Washington en 2001, ou encore bien plus ciblée, de mobilisation culturelle dans le cadre des terrorismes dits de libération nationale, nécessitant un travail sur la longue durée que le traitement médiatique contemporain n’admet pas.

État de la recherche

S’il est vrai que la recherche historique française est en retard dans l’étude du terrorisme, un certain nombre de travaux d’historiens publiés ces dernières années auraient pu être convoqués à l’appui de la démonstration afin d’être examinés dans la perspective internationaliste préconisée par Jenny Raflik. On s’étonne ainsi de l’absence des actes du colloque organisé en 2008 par Henry Laurens et Mireille Delmas-Marty dont les interventions étaient pour l’essentiel consacrées à l’historicité du phénomène et aux enjeux d’une définition juridique. Ces enjeux définitionnels ont d’ailleurs déjà fait l’objet de multiples synthèses que le présent ouvrage se contente de restituer. On pourra ainsi utilement se référer aux travaux en français d’Ami-Jacques Rapin. Par ailleurs, le constat de l’impossibilité de définir le terrorisme, rappelé dans le premier chapitre, est bien trop souvent devenu un argument en soi pour consacrer en définitive son absence d’existence objective plutôt qu’une donnée à dépasser. De ce fait, la tentative de définition brossée par l’auteur est à saluer autant d’ailleurs que son esquisse de typologie. Cependant juger de la faiblesse des résultats de la lutte internationale contre le terrorisme sur la base de la seule absence de définition juridique universelle apparaît fortement réducteur : l’entreprise définitionnelle, engagée d’abord hors de la sphère étatique depuis les travaux de l’Association internationale de droit pénal dans l’entre-deux-guerres, n’est en réalité qu’un des aspects minoritaires de la question et ne saurait recouvrir l’ensemble des pratiques nationales et internationales qui constituent la lutte antiterroriste. Les tentatives de recherche d’une définition sont autant voire plus instructives et signifiantes que l’absence de définition et il faudrait ainsi s’interroger bien plus sur ce processus d’échec répété, lui-même fécond, plutôt que de déplorer ses résultats. D’autre part, certains des aspects soulevés par l’ouvrage, les interrogations sur les liens entre terrorisme, pauvreté et démocratie entre autres, ont déjà pu être exploré de manière plus systématique et rigoureuse, par exemple au sein de l’ouvrage coordonnée par Stuart Gottlieb en 2010 (et augmenté en 2014), Debating Terrorism and Counterterorrism : Conflicting Perspectives on Causes, Contexts and Responses.

Enfin, concernant la caractérisation des groupes terroristes, une multiplicité de travaux d’historiens manque à l’appel. Ainsi, ne sont par exemple pas convoqués les plus récents travaux évoquant de près ou de loin le terrorisme de la fin du XIXe siècle, l’article de synthèse de Richard Bach Jensen (repris dans son ouvrage de 2013 utilisé par l’auteur), la thèse de Vivien Bouhey sur les anarchistes français, l’ouvrage de Karine Salomé sur les attentats politiques en France au XIXe siècle ou encore celui de Constance Bantman sur l’exil des anarchistes français en Grande-Bretagne. De même, la thèse de Sophie Baby, consacrée à la violence politique durant la transition démocratique espagnole aurait permis un point de vue plus nuancé sur l’évolution d’ETA, utilisée plusieurs fois comme exemple, et de replacer l’action de l’organisation dans un contexte précis qui manque souvent singulièrement en raison de la perspective de temps long adoptée par l’auteur. L’organisation est en effet présentée de manière monolithique, bien qu’elle fût traversée par de multiples courants et scissions entrainant des attitudes différentes voire antagonistes quant au recours à la violence et à l’attitude à adopter face à l’État espagnol.

Enfin, on peut regretter le faible recours aux sources archivistiques dans un projet qui se veut si explicitement historien. S’il est entendu que la matière est particulièrement sensible et relève, pour les archives de l’État, d’une documentation parfois difficilement accessible, l’étude sur le temps long aurait dû permettre de contourner l’obstacle. S’il est heureux que l’auteur ait utilisé les sources déclassifiées des National Security Archives de l’Université George Washington, sans pour autant les critiquer ou les contextualiser, l’absence d’une investigation plus poussée conduit parfois à proposer des interprétations erronées au regard de la documentation archivistique pourtant ouverte.

La question de l’extradition

Ainsi, la question de l’extradition des terroristes – sujet périphérique dans l’entreprise de l’ouvrage mais central pour la construction d’une internationale antiterroriste – aurait par exemple mérité une consultation de sources, notamment françaises, qui aurait évité confusions et contresens. Si Jenny Raflik a raison d’affirmer que le sujet constitue une part importante des discussions de la conférence anti-anarchiste de Rome en 1898, elle fait une confusion sur la nature, le sens et la portée de cet acte de coopération judiciaire qui est, rappelons-le, la requête formulée par un État auprès d’un autre, selon des formes édictées dans un traité spécifique, afin que lui soit livré un criminel. L’auteure écrit ainsi : « inquiète à l’idée de voir extrader vers son territoire tous les anarchistes italiens éparpillés en Europe, l’Italie ne ratifia pas l’acte final de la conférence [2] » (p. 103). Au contraire, comme nous l’enseignent les archives diplomatiques françaises, où se trouvent d’ailleurs un exemplaire du procès-verbal complet de la Conférence de Rome, autant que les relations entre les représentants français qui y sont présents et le Quai d’Orsay, l’Italie propose à la France quelques mois après la conférence de Rome, et en accord avec les conclusions prônées lors de cette dernière, d’élargir les possibilités d’extradition des criminels anarchistes par l’adjonction d’une clause spécifique dans le traité bilatéral. Cette procédure technique de « dépolitisation » aurait ainsi permis que les attentats contre les souverains et les chefs d’État ne soient pas considérés comme des crimes politiques, comme cela avait été le cas jusqu’au milieu du XIXe siècle. Traditionnellement, les criminels considérés comme politiques n’étaient en effet pas extradés, et bénéficiaient de l’asile au sein de l’État où ils s’étaient réfugiés.

Cela est d’autant plus regrettable que l’entreprise de dépolitisation des crimes terroristes, et par conséquent de redéfinition voire de reconfiguration de l’asile, traverse tout le XXe siècle et marque de son empreinte une partie importante des législations internationales, mais aussi, et de manière peut-être encore plus importante, des législations nationales. Cette tendance juridique de fond se traduit par exemple dans la convention du Conseil de l’Europe du 21 janvier 1977 « pour la répression du terrorisme » : dans son premier article, elle énumère toute une série de crimes commis par les auteurs d’actes de terrorisme (détournements d’avions, prise d’otages…) et qui pour les besoins de l’extradition ne sauraient être considérés comme des crimes politiques afin d’assurer une meilleure coopération judiciaire entre les États qui auraient choisi de ratifier le texte. Par ailleurs, au sein de ce mouvement de construction du droit international antiterroriste, certaines étapes cruciales manquent, dont l’histoire peut pourtant être écrite elle aussi à partir des archives diplomatiques françaises, largement ouvertes : la première entreprise onusienne à l’automne 1972 suite à l’attentat aux Jeux Olympiques de Munich commis par l’organisation Septembre Noir ou encore les travaux entourant la création de la convention du Conseil de l’Europe de janvier 1977 précédemment évoquée, ainsi que son extension aux pays de la Communauté européenne, qui posent les premiers jalons de ce qui deviendra trente-cinq ans plus tard le mandat d’arrêt européen, moments fondamentaux dans la construction d’une Europe de la justice, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.

La réponse de Jenny Raflik

La Vie des idées a publié une recension de mon livre Terrorisme et mondialisation, publié chez Gallimard en février dernier, écrite par Thomas Bausardo.

Un grand nombre d’éléments qui me sont attribués dans cette « recension » ne sont pourtant pas présents dans mon livre, voire en totale contradiction avec ce que j’ai écrit.

Ainsi, l’auteur de la recension évoque une typologie des terrorismes, dans laquelle il distingue 1. Un terrorisme nationaliste, 2. Le terrorisme anarchiste, 3. Un « terrorisme syncrétique » qui aurait émergé dans les années 1970. Je ne connais pas l’origine de cette typologie, mais ce n’est pas la mienne. Je propose dans ma conclusion (p. 356-363) de distinguer trois types de terrorisme : 1. Un terrorisme que je qualifie d’ethno-nationaliste, ou indépendantiste (exemple : ETA, IRA, PKK ou encore mouvements liés à la décolonisation), lié à une revendication territoriale ; 2. Un terrorisme idéologique (anarchistes, groupes des années 1970-1980 comme la Bande à Baader, Action Directe, etc.) : pour ces groupes, la référence n’est pas un territoire, mais une idéologie ; 3. Un terrorisme identitaire, à mi-chemin entre les deux autres, car se référant à la fois à une idéologie et à un territoire, même si ces derniers peuvent être fantasmés ou mythifiés (ex : KKK, Daesh).

Évoquant la définition du terrorisme, M. Bausardo écrit : « l’auteur propose deux points saillants pour le définir : il s’affirme comme un ‘projet politique dans la durée’ et se caractérise par ‘l’utilisation d’une violence transgressive bien que présentée et considérée comme légitime par le terroriste, inscrite dans l’immédiat’ (p. 41). » Je propose en réalité une réflexion basée sur un emboîtement de trois temporalités : L’acte lui-même s’inscrit dans l’instantané de l’attentat, mais vise des effets à long terme, sur la durée (projet politique), pour la réalisation d’un objectif dont le terrorisme ne représente donc qu’un « moment » parmi d’autres (action politique, diplomatique, voire militaire classique). La terreur induite par l’acte est ce qui fait durer la violence au-delà de l’attentat. Cette réflexion sur les temporalités doit introduire la question de la définition du terrorisme, et non la conclure.

Sur la question du rapport au territoire, l’auteur écrit : « les terrorismes proposeraient des logiques de ‘reterritorialisation’ (p. 164) s’affranchissant non seulement des logiques géographiques traditionnelles mais proposant de nouvelles souverainetés, telle celle, transnationale, de l’umma – communauté des croyants musulmans – favorisée par le terrorisme islamiste ». Même si je ne comprends pas totalement le sens de cette phrase, il n’est absolument pas question, quand je parle des reterritorialisations du terrorisme, de l’Umma. J’évoque deux choses : d’abord l’utilisation de territoires à des finalités différentes par les organisations terroristes : territoires utilisés pour l’entrainement, pour l’action, pour la logistique, pour le refuge . Ensuite, j’évoque la question de l’État islamique (que je n’identifie surtout pas à l’Umma), qui cherche à s’ancrer dans un territoire (en l’occurrence une partie de l’Irak et la Syrie) pour initier ses actions et tente de se légitimer par des références et un discours étatique.

Enfin, et toujours pour dissiper tout malentendu possible, je veux préciser que la notion d’ « exil intérieur » que l’auteur de la recension semble m’attribuer fait bien sûr une référence aux travaux de Farhad Khosrokhavar, et que le long développement de la recension consacré aux traités d’extradition fait référence aux travaux de l’auteur de ce compte rendu et non à mes travaux, et qu’il n’en est pas question dans mon livre, car ce n’est pas son objet.

Cela m’amène à préciser ce qui a été ma méthode de travail, ainsi que mon objectif.

Thomas Bausardo me reproche de ne pas utiliser une masse suffisante d’archives, et surtout, précise-t-il, d’archives d’État. Outre qu’il me semble difficile de quantifier la masse d’archives nécessaires à un travail (en kilos ? en nombre de dossiers ?), je préfère pour ma part me référer à la notion de sources, qui me semble plus adaptée au travail de l’historien. Pour un sujet comme celui-ci, j’ai voulu convoquer des sources d’origine et de nature diverses. Le lecteur en trouvera une liste résumée aux pages 377 à 382. Pour consulter la liste exhaustive, il faut se référer au mémoire inédit de mon habilitation à diriger des recherches dont ce livre est tiré.

Mon choix se justifiait par mon approche : Il me semblait non opératoire d’étudier le terrorisme uniquement par le biais des sources produites par l’État. J’ai donc voulu, en diversifiant l’origine de mes sources, diversifier les points de vue, les angles d’approche. J’ai ainsi utilisé des bases de données statistiques, des documents issus des organisations terroristes, des sources produites par les États, mais aussi, et cela me semblait indispensable pour étudier le terrorisme à l’échelle des relations internationales, des documents issus des organisations internationales (archives de la SDN, de l’OTAN, de l’ONU, des organisations européennes, etc.). Sur ces dernières, l’auteur semble avoir découvert les archives réputées perdues ou détruites de la conférence de Rome de 1898, ce qui me réjouit fortement. Richard Jensen, auteur du seul livre jusqu’ici consacré à cette conférence, déplorait encore, en 2013, la perte de ces sources, et en 2014, quand j’ai achevé mon manuscrit, on en était encore à cette information (confirmée alors par les conservateurs du Quai d’Orsay et de nombreux collègues spécialistes du XIXe siècle). La découverte de ces archives est donc une excellente nouvelle.

Pour la bibliographie, comme pour les sources, les références utilisées ne sont pas toutes citées dans le livre. Conformément aux pratiques éditoriales de la collection, les références listées sont celles évoquées dans les notes de bas de page. Je précise, pour éviter tout malentendu, que les interventions réunies dans le colloque de 2008 dirigé par Henry Laurens et Mireille Delmas-Marty sont bien citées dans mon livre, ainsi que les travaux de Richard Jensen, d’ailleurs évoqué dans le corps du texte page 99.
Pour le reste, comme je le précise dès l’introduction de mon livre, il n’était absolument pas dans mes objectifs de fournir des bibliographies exhaustives sur toutes les organisations terroristes (je ne le pense d’ailleurs pas possible), pas plus qu’il n’était dans mon intention d’écrire une histoire chronologique et détaillée de chacun de ces groupes. Le lecteur qui souhaite lire une histoire de l’ETA devra se référer à un autre ouvrage que le mien. En revanche, comme pour les sources, j’ai donné la priorité à la diversité, et ici, surtout, à la pluridisciplinarité, en utilisant les travaux de géographes, de sociologues, de philosophes, de politistes, etc.

Mon objectif était de faire du terrorisme un objet historique, de le replacer dans le cadre de l’histoire des relations internationales, et d’interroger son lien à la mondialisation. Il s’agissait donc dans mon esprit de jeter des jalons pour une nouvelle approche du sujet, de poser des questions, de susciter la réflexion.

Le lecteur trouvera sans doute dans mon livre plus de questions que de réponses et en sera peut-être déçu. Mais il ne me semble pas que le rôle de l’historien soit de fournir du prêt-à-penser. L’histoire doit faire réfléchir, questionner, et c’est à cela que j’ai souhaité contribuer.

par Thomas Bausardo, le 17 juin 2016

Aller plus loin

Sophie Baby, Le Mythe de la transition pacifique : violence et politique en Espagne (1975- 1982), Madrid, Casa de Velazquez, 2012, 527 p.
Constance Bantman, French Anarchists in London, 1880-1914. Exile and Transnationalism in the First Globalization, Liverpool, Liverpool University Press, 2013, 219 p.
Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République de 1880 à 1914. Contribution à l’histoire des réseaux sous la Troisième République, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 491 p.
Richard Bach Jensen, « Daggers, Rifles and Dynamite : Anarchist Terrorism in Nineteenth Century Europe », Terrorism and Political Violence, vol. 16, n°1, 2004, p. 116-153.
Henry Laurens, Mireille Delmas-Marty (dir.), Terrorismes. Histoire et droit, Paris, CNRS éditions, 2009, coll. « Biblis », 352 p.
Ami-Jacques Rapin, « L’objet évanescent d’une théorie improbable. Le Terrorisme et les sciences sociales », Cahiers du RMES, vol V, n°1, 2008, p. 165-214.
Ami-Jacques Rapin, Pour en finir avec le terrorisme. L’équivoque de la terreur, de la Révolution française aux attentats jihadistes, Berne, Peter Lang, 2014, 219 p.
Karine Salomé, L’Ouragan Homicide. L’attentat politique en France au XIXe siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2010, 319 p.

Pour citer cet article :

Thomas Bausardo, « Pour une histoire internationale du terrorisme », La Vie des idées , 17 juin 2016. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./Pour-une-histoire-internationale-du-terrorisme

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1Si la domination des travaux anglo-américains est réelle, leur mathématisation croissante, que la méthode statistique aurait opérée apparaît, elle, largement surestimée quand bien même elle se serait affirmée comme un outil central de la recherche. Cf. Richard English, «  The future study of terrorism  », European Journal of International Security, vol. 1, n°2, 2016 p. 9 sqq.

[2L’acte final en question n’étant d’ailleurs qu’un relevé de propositions non contraignantes et en aucun cas un document juridique que les États auraient eu ou non le choix de ratifier.

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