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Voir l’Amérique

À propos de : François Brunet éd., L’Amérique des images. Histoire et culture visuelles des États-Unis, Hazan


par Marie Plassart , le 17 novembre 2014


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Dans un livre-exposition richement illustré, une équipe d’universitaires français spécialistes de civilisation américaine s’interroge sur le rapport à l’imagerie nationale dans la construction d’une « Amérique » mondialement connue pour ses images.

Recensé : François Brunet éd., L’Amérique des images. Histoire et culture visuelles des États-Unis. Paris, Editions Hazan, 2013, 405 p., 45 €.

Présenter la culture visuelle des États-Unis et la rendre lisible pour un public de culture française : c’est à ces défis que s’attelle L’Amérique des images.

En passeurs culturels et interprètes de la civilisation des États-Unis vers la France, François Brunet et une équipe de 22 universitaires passent en revue les images qui ont compté dans la création et l’entretien de la communauté nationale outre-atlantique. Plus que des États-Unis, ils traitent de « l’Amérique », ce « lieu imaginaire, dissocié de la réalité géographique et mondialement connu par les images ». Ils aspirent à donner à un public français les clés de lecture et les références d’une « culture vivante, dont on n’a souvent en France qu’une vision fragmentaire ».

Un livre-exposition

Catalogue d’images iconiques, panorama de l’histoire iconographique des États-Unis, ouvrage à vocation encyclopédique et pédagogique, L’Amérique des Images est tout cela. Les 400 pages de l’ouvrage comprennent des articles thématiques regroupés dans six grandes parties chronologiques, introduites chacune par des essais synthétiques sur la période. La première partie traite de l’ère coloniale, qui voit « la naissance de l’identité nationale » (François Brunet) ; la seconde, de la fin de la période coloniale aux débuts de la république, montre comment « l’image s’américanise » dans la seconde moitié du XIXe siècle (Géraldine Chouard). La troisième partie, intitulée « l’Amérique se modernise », débute avec la révolution industrielle et se termine dans les années trente (Didier Aubert). La quatrième partie traite de « l’ère de la propagande » pendant laquelle Hollywood et les services de l’État sous Roosevelt créent et diffusent massivement des images de la nation (Jean Kempf). La cinquième partie met en lumière le rôle prédominant des médias dans la société des années 1960-1990 (Anne Crémieux) et la dernière partie porte sur les « interrogations du présent » concernant le statut de l’image et les enjeux politiques qui y sont liés (François Brunet).

Six cahiers d’illustrations en pleine page ainsi que des arrêts sur image d’une à deux pages complètent l’ensemble. En sus des cahiers d’illustrations, les nombreuses reproductions insérées dans les articles (iconographie : Sophie Dannenmüller ) et le format 25x29 de l’ouvrage l’apparentent au genre du catalogue d’exposition, même si l’exposition dans ce cas est le livre lui-même.

Interpréter l’image et comprendre ses usages sociaux

La mise en relation de « l’histoire des figurations et des interprétations » avec « l’histoire des techniques et des pratiques qui font exister les images dans la vie sociale » est une constante dans l’ouvrage. Au fil des articles, l’image prend corps de multiples façons : peintures, photographies, arts décoratifs, statuaire des monuments aux morts, photos, artefacts au musée, publicités, architecture, images cinématographiques ou affiches sont les véhicules d’un vocabulaire visuel qui sous-tend la culture politique nationale. Le portrait par exemple, de la peinture à la photographie en passant par le daguerréotype, est présenté comme le genre par excellence d’une culture démocratique où le contrat social s’incarne dans des hommes (François Brunet, chapitre 3).

George Washington, the Lansdowne Portrait, huile sur toile, 247,6x156,7cm, 1796
National Portrait Gallery, Smithsonian Institution, Washington, DC. (source : wikigallery.org)
See-non-ty-a, an Iowa Medicine Man, huile sur toile, 71x58 cm, 1844-1845.
National Gallery of Art, Washington, Paul Mellon Collection. (source : wikigallery.org)

Autre fil directeur de l’ouvrage, de nouveaux usages sociaux, combinés à la multiplication croissante des images, font l’objet de débats sur la place de l’image dans la société. Le statut de l’image dans la société puritaine est ainsi réexaminé pour faire justice aux usages privés d’images religieuses, souvent occultés par la défiance protestante envers l’image dans les lieux de culte (François Specq, chapitre 1). La réalité documentaire de la photographie est mise en question dès la Guerre de Sécession, lorsqu’il s’avère que des photographes ont déplacé des cadavres de soldats pour les besoins de l’image et se sont montrés peu scrupuleux quant à leur appartenance, nordiste ou sudiste selon ce qu’ils souhaitaient signifier (William Gleeson et Véronique Ha Van).

Alexander Gardner, Confederate Soldiers as they fell near the Burnside Bridge, Antietam, Maryland, 1862. (Source : Library of Congress)

Explications : « On apprécie à sa juste valeur le soin apporté à la composition lorsque l’on sait qu’à Gettysburg, Gardner déplaça des cadavres afin de réaliser certains clichés (William Gleeson et Véronique Ha Van) ».

Ces questionnements prennent corps bien avant que Daniel Boorstin n’écrive en 1961 un essai inquiet sur L’Image, ou ce qu’il advint du rêve américain, ou avant le trouble qu’a jeté la création d’images numériques virtuelles. Le rapport à l’imagerie nationale est questionné par de multiples détournements iconographiques visant notamment à dénoncer les évidences racistes dominantes (Anne Crémieux) et par les « guerres culturelles » des années 1990, pendant lesquelles la canonisation de l’art fait l’objet d’âpres controverses (Mark Meigs). Sont ainsi remises en contexte historique les « interrogations du présent » sur ce qu’il est convenu d’appeler la « révolution numérique » ainsi que sur les usages contemporains de l’image.

Ces images que l’on ne saurait voir

Les articles et arrêts sur image offrent un traitement équilibré des productions cinématographiques et télévisuelles, de la photographie et de la peinture. En second plan sont traitées images muséographiques, affiches, illustrations de presse et architecture. De manière générale, l’ouvrage fait la part belle aux arts iconographiques et donne ses lettres de noblesse à l’image aux frontières de l’art, dans les productions télévisées et publicitaires notamment (Ariane Hudelet, Jennifer Donnely).

Poster du documentaire posthume « This is It » sur Michael Jackson (Columbia Pictures, the Kobal collection)

Peut-être parce que ses auteurs ont pensé L’Amérique des images comme la mise au jour d’un canon iconographique national, les usages sociaux de l’image éphémère ou hors la loi dans l’espace public ne sont pas traités. Dans l’analyse comme dans les planches d’illustrations, sont également sous-représentés les différents types d’images publicitaires. Les logos, en particulier, auraient pu faire l’objet de développements historiques ou sémiotiques.

Enfin, si « le monde parallèle des séries », « miroir complexe et séduisant de la société américaine » (Ariane Hudelet) souligne une forme indéniable de rayonnement culturel des États-Unis à travers le monde, d’autres formes de diffusion culturelle par l’image, tout aussi massives mais moins légitimes, ne sont pas analysées. Ainsi, une histoire de l’image érotique et pornographique, de son inscription dans les usages sociaux, des enjeux politiques de sa libéralisation, et de son poids économique contemporain aurait été la bienvenue dans un ouvrage portant sur la culture visuelle des États-Unis. Il est vrai que les illustrations attenantes auraient tranché avec le souci esthétique apporté à l’iconographie du volume. L’ouvrage opère ainsi des choix : ce sont surtout des images légitimes d’un point de vue artistique et celles qui expriment une idéologie politique progressiste ou patriotique qui sont mises en avant dans l’ouvrage.

Cultures nationales, évolutions transnationales

L’Amérique des images élucide pour un lectorat français l’iconographie de la culture dominante du XXIe siècle aux États-Unis. En nous faisant entrer dans l’univers culturel d’une communauté nationale, les auteurs, principalement de culture française, se font parfois le relais d’une lecture de l’histoire empreinte d’enjeux nationaux états-uniens, dans laquelle il est par exemple question de « Guerre civile » plutôt que de « Guerre de Sécession ».

C’est toute la difficulté du travail des passeurs culturels, qui sans perdre le bénéfice de leur point de vue extérieur, doivent rendre compte d’une culture par définition ethnocentrique. Cette difficulté est au cœur d’interrogations actuelles sur l’écriture de l’histoire dans un champ universitaire mondialisé [1].

Ainsi, l’ouvrage ne doit pas conduire le lecteur à surestimer la spécificité états-unienne des phénomènes décrits, comme la création de symboles nationaux, l’institutionnalisation de paysages typiques de la nation ou encore, l’esthétisation de la révolution industrielle. À la bibliographie principalement consacrée à l’iconographie aux États-Unis, on pourrait ajouter des travaux portant sur la construction transnationale de répertoires visuels nationaux. Benedict Anderson et Anne-Marie Thiesse, notamment, ont mis en évidence l’institutionnalisation du paysage dans les iconographies nationales par le biais de cartes, de représentations picturales et de symbolisations [2]. Rien n’est plus différent, en somme, et pourtant rien n’est plus semblable que l’œuvre d’un peintre des fjords de Norvège, de la Forêt Noire du Bade Würtemberg ou des méandres de la Vallée de l’Hudson.

Thomas Cole, View from Mount Holyoke, Northampton, Massachusetts, after a thunderstorm, huile sur toile, 130,8x193cm, 1836. The Metropolitan Museum of Art, New York.

par Marie Plassart, le 17 novembre 2014

Pour citer cet article :

Marie Plassart, « Voir l’Amérique », La Vie des idées , 17 novembre 2014. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr./Voir-l-Amerique

Nota bene :

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Notes

[1Voir notamment : Nicolas Barreyre, Michael Heale, Stephen Tuck and Cecile Vidal eds., Historians across borders : Writing American History in a Global Age, 2014 : University of California Press. Sur l’histoire globale, voir l’entretien avec David Armitage, «  Les Historiens ont-ils les idées courtes. Entretien avec David Armitage  », La Vie des Idées, 24 juin 2014.

[2Benedict Anderson, L’imaginaire national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme. Paris : la Découverte, 1996. Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales : Europe, XVIIIe-XXe siècles. Paris : Seuil, 1999.

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