Inventées de façon expérimentale après les émeutes des Minguettes au début des années 1980, parallèlement à la “Marche des beurs” pour l’égalité, la Politique de la Ville visait à réformer le fonctionnement de l’État et les relations de ce dernier aux collectivités locales. Pour pallier l’urgence d’une nouvelle question sociale, associée à certains quartiers où les populations immigrées et minoritaires étaient concentrées, une action publique d’exception allait être mise en place, mobilisant une approche locale et ascendante, plus participative et transversale.
Trente ans plus tard, il est difficile de mesurer l’effet réel de cette politique qui cumule de nombreux dispositifs : l’écart des quartiers prioritaires avec les autres zones urbaines ne se résorbe pas, et parfois même s’accroît. Pour autant, cette vision, très négative, ne prend pas en compte la mobilité de la population de ces quartiers. Or, la prise en compte d’une approche moins statique et plus dynamique des trajectoires des gens révèle que ces lieux jouent aussi une fonction d’accueil et de « sas », voire de promotion.
Quoi qu’il en soit, l’effet de cette politique ne se limite pas à celui qu’elles ont sur les populations, mais influe également sur les modes d’action publique. Les relations complexes qui se sont tissées, au gré de l’institutionnalisation de la Politique de la Ville, entre les différents échelons des collectivités territoriales, montrent notamment les limites de l’empilement de mesures disparates et la prégnance des cloisonnements. Plus profondément peut-être, ce sont les catégories mêmes à travers lesquelles le social est aujourd’hui analysé qui a été imprégné par cette politique et les nombreux travaux d’expertise ou d’évaluation auxquelles elle a donné lieu. La discrimination positive territoriale et la logique de zonage qui sont au centre du dispositif français ont, en retour, accrédité l’idée d’une problématique urbaine et donné lieu à une « spatialisation des problèmes sociaux » [1].
Si le zonage évolue dans le temps, à la manière d’un accordéon, il reste cependant la logique dominante. Mais d’autres modèles d’intervention peuvent être imaginés. Il serait ainsi possible d’agir sur les gens – et non seulement sur les lieux – de remettre les premiers en mouvement au lieu de refaire la ville sur place [2]. Ce débat qui a été amorcé en France, grâce aux travaux de Jacques Donzelot [3] notamment, a inspiré des réflexions sur les manières de donner du pouvoir aux habitants à qui l’on imposait des politiques de mixité (voir le texte d’Eric Charmes, « Pour une approche critique de la mixité sociale », publié le 10 mars 2009).
À l’occasion de la réforme en cours, La Vie des Idées souhaite ouvrir le débat sur la Politique de la Ville en invitant des chercheurs à faire part de leurs analyses. Partant d’une série de repères chiffrés sur cette action, les grands enjeux de la réforme sont évoqués, et un historique des diverses politiques est retracé, afin de mettre en perspective les transformations attendues du mode de gouvernance de la Politique de la Ville (Cyprien Avenel, « La Politique de la Ville en quête de réforme », publié le 7 mai 2013 ; Cyprien Avenel & Adeline Sagot, « La politique de la ville : Repères », publié le 5 juin 2013).
Parmi ces enjeux, celui du pouvoir qu’il serait souhaitable de donner aux habitants des quartiers pauvres afin qu’ils puissent décider de leur destin, n’est pas le moindre. Marie-Hélène Bacqué, spécialiste de l’empowerment – aujourd’hui chargée de mission auprès du ministre délégué à la Ville – revient sur cette notion dans un entretien (publié le 10 mai). Thomas Kirszbaum analyse quant à lui les raisons de la difficulté française à engager de telles pratiques (« Vers un empowerment à la française ? »). Dans une contribution reposant sur une recherche empirique originale (« Mobiliser les quartiers populaires », 26 novembre 2013) Julien Talpin fait apparaître la confusion qui existe en France entre le community organizing et développement communautaire. Il montre que certains chercheurs français promeuvent une vision dépassée aux États-Unis en raison de son caractère dépolitisant.
L’essai de Anaïk Purenne (« Police et pauvreté urbaine : alternatives canadiennes »), publié le 14 mai) montre que des expériences existent, notamment du côté canadien où la place faite aux communautés dans la gestion des désordres sociaux montrent qu’il existe des alternatives au traitement pénal de la misère [4] En réponse à cet essai, Manuel Boucher revient sur la « Police de rue dans les quartiers populaires », 5 juin.
Le second aspect de cet ensemble de contributions tient à l’importance des comparaisons pour comprendre les modes de fonctionnement, et donc les résultats, de la Politique de la Ville à la française. Renaud Epstein (« La politique de la ville en France et en Grande-Bretagne », 4 juin), compare celle-ci avec son homologue britannique, alors que le Royaume-Uni est perçu comme ayant une forme de gestion des relations avec les communautés très différente de celle qui prévaut en France. Hilary Silver reviendra quant à elle sur l’agenda urbain de Barack Obama et montre, par ce biais, l’importance trop souvent négligée de l’État fédéral dans ce domaine. Pour compléter ce tour d’horizon, Maurice Blanc évoque le cas allemand (« La rénovation urbaine : démolition ou patrimonialisation ? », 11 juin 2013).
Mais la Politique de la Ville ne s’arrête pas aux actions évoquées ci-dessus, car d’autres formes d’intervention ont, de manière indirecte, un effet sur les populations des quartiers urbains les plus défavorisés. C’est particulièrement le cas du système scolaire et des lycées professionnels où interviennent des logiques de classe sociale (Christian Baudelot, « Tactiques de classe au lycée professionnel », 25 avril 2013) et où les jeunes concernés tentent de faire avec une institution faisant figure « d’adversaire » tant elle conduit à la reproduction des destins sociaux. La politique du logement dans son ensemble est également interpelée par la situation des quartiers les plus pauvres (Pascale Dietrich, « Un toit pour dormir », 8 mai 2013). De même, de nombreuses institutions, parmi lesquelles l’islam, contribuent à forger l’identité et le destin des habitants de ces quartiers, même si elles ne sont pas toujours reconnues comme tel (« Islam des banlieues et promesses républicaines », Linda Haapajarvi, 20 mai ) ; la prison, compte par exemple parmi ces institutions dont l’impact dépasse largement la personne du prisonnier (Fanny Salanne, « La prison hors les murs », publié le 15 avril 2013) et se déploie de manière importante sur les catégories les plus populaires.
Enfin, la lutte contre les discriminations qui figure parmi les objectifs de la Politique de la Ville est trop importante pour être traitée simplement au détour d’une analyse de cette politique. « Fait social total » de la vie des minorités, elle fera cependant l’objet d’une approche à travers le compte rendu par Olivier Masclet du livre de François Dubet, Olivier Cousin, Eric Macé et Sandrine Rui, Pourquoi moi ? (5 juillet 2013).
Pour citer cet article :
Cyprien Avenel & Nicolas Duvoux, « Le pouvoir aux habitants ? . Réformer la Politique de la Ville »,
La Vie des idées
, 7 mai 2013.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr./Le-pouvoir-aux-habitants
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