Après un premier article consacré aux spécificités du contexte francilien, Frédéric Gilli fait le point sur les mutations récentes de la métropole parisienne. Le véritable enjeu du Grand Paris n’est pas institutionnel, mais lié à notre représentation de l’espace parisien et à la mise en place d’une démocratie à l’échelle métropolitaine.
Depuis la fin des années 1960, la région parisienne a connu une transformation radicale de son économie et de sa géographie qui s’est traduite par une fragmentation des frontières internes de la métropole, une dilution de ses frontières externes, le tout dans le cadre d’une désintermédiation croissante des modes de gouvernance. Ces évolutions réinterrogent les représentations que les acteurs ont du fonctionnement des espaces urbains et font bouger les cadres dans lesquels les équilibres locaux, régionaux et nationaux s’étaient historiquement construits.
Une région élargie et multipolaire : la nouvelle géographie métropolitaine
La banlieue parisienne compte aujourd’hui plus de neuf millions d’habitants et plus de quatre millions d’emplois. Elle représente l’équivalent d’une métropole comme Chicago. Souligner ce fait invite à reconsidérer le rôle et l’importance de l’extra-muros dans la géographie francilienne. Cela ne doit pas conduire à opposer Paris et sa banlieue. Dans une métropole multipolaire et multifonctionnelle, la lecture radioconcentrique opposant centre et périphérie (respectivement première couronne et grande couronne) est doublement pré-métropolitaine : elle se méprend sur le statut, la localisation et le fonctionnement des lieux centraux et elle empêche par la même occasion d’analyser correctement la mutation des frontières externes de la métropole. Les représentations mentales contraignent les espaces et les actions.
Dans la région parisienne comme dans toutes les grandes métropoles, la périurbanisation n’a pas concerné que les résidences. Dans les dernières décennies, plusieurs centaines de milliers d’emplois ont quitté Paris et bien plus encore ont été créés dans la première couronne (Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine) ou la grande couronne (Essonne, Yvelines, Val d’Oise, Seine-et-Marne mais aussi vers l’Oise et les départements entourant l’Île-de-France) [1]. Ce redéploiement a nourri le développement de pôles en périphérie. Certains sont très grands et visibles de tous (villes nouvelles, Roissy, etc.). De nombreux autres pôles sont plus discrets. Le processus de multipolarisation à l’œuvre n’est pas uniquement la réplication du centre dans quelques lieux identifiables et circonscrits où les fonctions qui caractérisent le cœur de la métropole seraient concentrées. Une véritable mutation de l’organisation spatiale de la région a eu lieu. Elle transforme la notion de territoire dans la métropole, oblige à penser et gérer des interdépendances croissantes entre les territoires et rend nécessaire d’articuler les différentes échelles d’intervention.
Après deux décennies de forte croissance démographique, les espaces situés aux frontières des agglomérations se recomposent et deviennent aujourd’hui de plus en plus des territoires spécifiques aux ressorts et logiques propres qui ne dépendent plus uniquement de leur relation au centre urbain le plus proche [2]. Cette évolution conduit plus qu’avant à dissoudre l’idée de frontière urbaine dans des limites floues. À plus d’un titre, la région est ainsi déjà trop petite pour appréhender seule l’ensemble de ses problèmes urbains (qui débordent jusqu’à Creil et Beauvais dans l’Oise, affectent Chartres et Dreux dans l’Eure-et-Loir et se font sentir jusqu’à Sens dans l’Yonne). Elle l’est a fortiori lorsqu’il est question de sa dynamique économique, impensable sans intégrer le Havre, Orléans ou Reims dans la discussion. Cette dissolution des contours territoriaux est également perceptible au cœur de la métropole.
Ainsi que l’illustrent les différentes planches cartographiques proposées dans l’ouvrage que j’ai publié avec Paul Chemetov (voir la carte ci-dessous), il n’y a pas une zone dense mais des zones denses. Il ne s’agit pas de représenter la métropole et ses fragmentations, mais de montrer les conditions de la métropole : la métropole n’est pas dans les diverses zones denses mais dans l’articulation non visible de ces différentes zones denses. La question des contours est à la fois une chimère et une mauvaise façon d’aborder la métropole. Emplois, logements, lieux d’action culturelle, centres commerciaux, espaces récréationnels, centres de recherche ou nœuds de transport et zones logistiques, toutes ces activités coexistent, se cumulent, s’interpénètrent, mais il n’y a pas une unique zone dense qui les regrouperait toutes. De plus, leur localisation est en perpétuelle évolution. En chercher le contour n’a pas de sens et peut même s’avérer contre-productif si cela conduit à inscrire et figer la métropole. L’exemple du périphérique est là pour montrer l’impact et la rémanence des frontières mentales même quand elles n’ont plus de signification effective au vu des fonctionnements réellement observés à l’échelle métropolitaine.
En parallèle, les notions de cœur et de périphérie ont profondément évolué au sein de la métropole et ne sont plus radioconcentriques ni univoques. Roissy, Saclay, Cergy, Versailles, Eurodisney, Évry sont tous en dehors de la première couronne et sont les lieux de la croissance la plus forte de l’emploi. S’inscrire dans le contour d’un cœur unique et multifonctionnel consiste à persister dans une pensée pré-métropolitaine. D’ailleurs, le cœur ne peut que s’étendre et la constitution du syndicat d’étude en témoigne : de quelques communes entourant Paris à la quasi totalité des communes de la première couronne, désormais élargie aux grands pôles de grande couronne, et les candidatures continuent d’arriver. Il ne s’agit pas de juger cet élargissement progressif et englobant de la zone dense, juste de constater la limite de facto d’une réflexion qui se cantonnerait à un périmètre infra-métropolitain spécifique.
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Source : carte extraite de Chemetov et Gilli (2006) [3]
L’interterritorialité est ainsi cruciale pour appréhender de manière pragmatique les espaces métropolitains, depuis les franges jusqu’aux cœurs. Toute aussi importante est la capacité à penser chaque territoire à toutes les échelles de la métropole. Une mutation importante quand les politiques et les dispositifs d’action restent ancrés localement.
Enjeux pratiques et symboliques
C’est une évidence dans le cadre métropolitain : aucun territoire n’est aujourd’hui autosuffisant. L’un des avantages de la métropole est de permettre l’agglomération des activités afin de compenser les coûts nés de la congestion par une productivité accrue. Cela se traduit, dans un contexte d’étalement urbain, par l’émergence de pôles secondaires aux profils typés. Des spécialisations locales sont repérables autour de la plupart des grands pôles économiques de la région (Roissy, La Défense, Eurodisney, le plateau de Saclay ou l’autoroute A1 entre Garonor et Paris Nord 2, pour citer d’autres exemples). Cette polarisation « spécialisante » ouvre sur deux sortes d’enjeux.
D’une part, une telle polarisation économique risque de fragmenter le territoire métropolitain. L’exemple du marché du travail francilien est très parlant. Les déplacements domicile-travail font ressortir une métropole à deux vitesses, l’une faite de bassins locaux et de déplacements de proximité, l’autre caractérisée par des employés qui couvrent des distances de plus en plus grandes à l’échelle métropolitaine, en particulier de banlieue à banlieue. Considérer que la multipolarisation de la région permettrait d’ancrer les salariés à proximité de leurs logements et réduire ainsi la mobilité métropolitaine serait toutefois un contresens économique et social : l’une des principales raisons d’être des métropoles est en effet leur capacité à offrir un marché du travail relativement intégré et accessible [4].
D’autre part, portée à leur comble, les logiques de polarisation économiques infra-urbaines exposent chacun des territoires à une mono-spécialisation industrielle. Celle-ci concerne alors non seulement son développement économique mais aussi sa trame urbaine. Quand ces activités sont très pourvoyeuses de taxes, d’emplois induits, faiblement polluantes, cela ne suscite aucun problème pour les communes. Mais ces activités « stars » de la région sont totalement dépendantes de l’ensemble du système métropolitain et ne peuvent exister sans les autres activités urbaines. Or les aéroports, les zones logistiques, les sites industriels à risque, etc., rapportent moins de taxes ou plus de nuisances. S’ils cristallisent des enjeux également stratégiques pour l’économie de toute la région, les territoires sont plus rétifs à les accueillir. La métropole parisienne peut difficilement renoncer à des secteurs fortement pourvoyeurs d’emplois [5] et indispensables au fonctionnement du reste de la métropole. Mais cela suppose que des communes acceptent de laisser s’étendre sur leur sol des zones logistiques ou des activités polluantes avec toutes les servitudes que cela impose. C’est a fortiori le cas pour des infrastructures lourdes traversant des communes sans même les desservir. Qui doit décider, et selon quelles logiques, de la localisation de ces servitudes et gérer les interdépendances entre territoires non contigus à l’échelle métropolitaine ?
Échos directs du souci de mixité fonctionnelle des espaces urbains, les conflits d’échelle pour la destination ou l’usage des sols interrogent à la fois la capacité des espaces de proximité à porter des projets urbains dans un cadre métropolitain et les moyens dont ils disposent pour cela.
L’intégration opérationnelle et la redistribution fiscale méritent d’être abordées ensemble lorsque l’on réfléchit à un espace urbain. Il s’agit des deux voies possibles pour réduire en pratique les conséquences des inégalités nées de la polarisation des richesses. Dans le premier cas, les communes s’inscrivent dans la dynamique métropolitaine via l’intégration financière avec leurs voisines quand elles sont mieux loties, à une échelle permettant une redistribution directe via les budgets mis en commun (pour les intercommunalités les plus avancées). Toutes peuvent aussi participer à des opérations menées en commun avec d’autres communes de la métropole afin d’inscrire plus facilement leur action à cette échelle et sortir de leur isolement (les collaborations entre Paris et les communes voisines pour l’aménagement de ses portes en a récemment témoigné autour de la porte de la Chapelle). Dans le second cas, il s’agit surtout d’améliorer les canaux de redistribution (en nettoyant les différentes niches, en augmentant les ressources prélevées dans le cadre de la dotation de solidarité urbaine ou du fonds de solidarité régional d’Île-de-France).
Ces deux approches sont complémentaires plutôt qu’exclusives. Les mécanismes de péréquation régionale doivent être assainis à court terme. Mais il est fondamental d’inscrire ces transferts dans une perspective non de compensation et de réparation, mais de mutualisation et d’investissements choisis pour rééquilibrer les dynamiques de croissance de la métropole à moyen terme.
L’objectif de mutualisation rejoint l’objectif de mixité sociale et fonctionnelle. Il existe des moyens légaux pour favoriser la mixité « par le bas » (dont la loi SRU) et il est essentiel de les mettre pleinement en œuvre. Mais il est également vital, à l’échelle métropolitaine, d’agir par l’incitation en favorisant la mixité « par le haut » afin d’attirer de nouveaux habitants dans des quartiers auparavant peu cotés via des investissements structurels en jouant des processus d’embourgeoisement. L’échelle de référence des projets urbains dépasse le seul quartier ou la commune pour s’inscrire dans des trames locales significatives à l’échelle de la métropole. À l’ère de la ville-mobile [6], les projets urbains locaux doivent ainsi moins chercher leur sens (et leurs contours) en eux-mêmes que les trouver dans leur articulation aux autres espaces. Ces efforts supposent d’ailleurs, en parallèle, un travail sur les représentations que les acteurs se font de l’espace métropolitain dans lequel ils évoluent car les images mentales imprègnent fortement les décisions des acteurs et investisseurs publics et privés.
La réflexion sur le cœur d’agglomération et sur les frontières entre ce cœur et les zones périphériques ne peut se contenter d’être ancrée dans des problématiques pratiques car elle est également affaire de symboles et de représentations. Il s’agit de se doter d’une nouvelle représentation de ce qu’est la métropole parisienne. Au-delà de la Seine, de la Tour Eiffel et du périphérique, il est nécessaire d’inclure les nouveaux lieux centraux de la métropole dans la géographie quotidienne des habitants et des entreprises. Mais il ne suffit pas de planter quelques totems en banlieue ; il faut agir sur les couches profondes des représentations symboliques de la métropole parisienne. Il est aussi crucial de travailler à ancrer dans les représentations les continuités de l’espace urbain, et pas uniquement ses discontinuités et ses frontières. Le périphérique est aujourd’hui perçu comme une frontière mais, comme l’A86, c’est aussi un lieu de centralité extraordinaire à l’échelle de la métropole. Valoriser cela suppose toutefois que la banlieue ne soit plus vue comme une terra incognita uniforme, mais une espace historiquement structuré, avec ses références, ses hauts lieux et ses trames. Les plans du métro avec les rues censées couvrir la zone centrale se limitent ainsi à la ville de Paris et les lignes 5, 7, 8, 9 ou 13 se terminent dans des cartouches blancs, traduction imagée, forcément réductrice mais extrêmement parlante, du no man’s land qu’est la banlieue pour nombre de parisiens. Tenir compte de ces contraintes symboliques structurantes à long terme suppose de ne pas recréer de nouveaux murs, virtuels ou réels, que ce soit à l’intérieur de l’Île-de-France ou au-delà.
La réflexion en cours sur la métropole doit donc être une occasion pour intégrer les questions de représentation et réfléchir à des modalités de coopérations qui n’aient pas pour effet d’exclure a priori et éviter à cette occasion que s’impose une nouvelle lecture radioconcentrique, uniforme et figée dont on a déjà expérimenté les limites à l’heure de géographies floues. Ces exigences concernent autant l’aménagement pratique de l’espace métropolitain que les systèmes de gouvernance qui contribuent à le dessiner au quotidien.
Désintermédiation et nouveaux modes de gouvernance : un « mille-feuille » indigeste ?
La complexité des métropoles rend nécessairement perplexe sur la possibilité de les gouverner. Cette ingouvernabilité n’est qu’apparente mais elle reflète à la fois la multiplicité des légitimités à l’œuvre et les incertitudes radicales qui pèsent sur les contextes urbains de demain, au croisement des mutations écologiques, technologiques ou humaines. Il ne s’agit donc plus de décliner une solution optimale pour un problème circonscrit, mais de répondre et s’adapter à des ensembles mouvants de problèmes et d’acteurs.
Dans les grandes métropoles comme ailleurs, les conflits et les négociations sont permanents entre les différents acteurs qui vivent ou travaillent dans la ville. Lorsque leur quantité explose, les relations deviennent toutefois tellement nombreuses et intriquées que les relations asymétriques principal-agent qui s’y nouent produisent un tout inextricable. Impossible alors de trouver un système de gouvernement rationnel capable de piloter en direct une grande métropole. Pour autant, cela ne veut pas dire que les métropoles sont plus ingouvernables que les autres espaces. Cette transformation des modes de relation entre niveaux de pouvoirs marqués par l’affaiblissement des structures de gouvernement hiérarchiques ou verticales est repérée dans toutes les villes. Il s’agit d’une mutation des logiques de gouvernance plus que d’une disparition des capacités à gouverner : les leviers et les acteurs stratégiques sont différents, plus nombreux et plus changeants mais ils existent toujours.
L’économie urbaine a de son côté montré la multiplicité des équilibres au sein des métropoles et la dynamique temporelle de leur constitution. Dans ce cadre, il n’y a plus de « meilleure solution » et le problème n’est donc plus de trouver la solution rationnelle aux questions posées, mais de déterminer une solution possible et de parvenir à coordonner les acteurs. En l’absence avérée d’optimum rationnel, voire d’incertitude absolue sur les types de scenarios à envisager, il est même contre-productif de s’en remettre à un individu ou une instance de décision [7] : l’accent doit être mis moins sur les structures de décision que sur les initiatives permettant de favoriser le débat, la remontée d’idée, le consensus.
À l’instar de la démocratie, le dialogue et les lieux de débat doivent donc être considérés comme des biens publics. De ce point de vue, le « mille-feuille » institutionnel francilien est, par certains aspects, en avance sur son temps [8]. Une lecture à la serpe des instituions locales visant à ne faire émerger qu’une tête n’améliorera donc pas mécaniquement la situation régionale.
À l’échelle métropolitaine, la question n’est ainsi pas véritablement celle de la capacité à incarner le pouvoir régional dans un décisionnaire identifié : le leadership est le produit de rapports de forces et de jeux d’acteurs évolutifs et il paraît important de ne pas céder au mythe de la voix unique et intemporelle : déjà, les interlocuteurs étrangers en visite dans une grande ville, que ce soit Paris, New York ou Tokyo, ne rencontrent pas une seule personne et consultent de nombreux interlocuteurs politiques (locaux comme nationaux), économiques (chambres consulaires comme grandes entreprises) et d’autres types de grands acteurs. Ils ont déjà à se repérer partout dans des systèmes d’acteurs complexes où le pouvoir n’est jamais là où il prétend être. Les mêmes questions se posent au niveau local lorsque l’on considère l’articulation entre les habitants, les associations, les conseils de quartier, les élus municipaux et les intercommunalités. Il n’y a jamais une seule légitimité à l’œuvre.
La démocratie à l’échelle métropolitaine
Il n’y a pas une bonne et unique façon de faire une ville. Il est en revanche important qu’il y ait un minimum de consensus sur la façon dont les investissements y sont réalisés. Dans le cas contraire, les discussions ne débouchent jamais dans la sphère opérationnelle. C’est a fortiori le cas si chaque niveau de décision dans la sphère publique détient un pouvoir de blocage sur l’engagement des projets, comme c’est le cas en Île-de-France. Le problème du « mille-feuille » institutionnel francilien ne tient pas au nombre de feuilles, mais aux multiples recouvrements de responsabilités entre les différents échelons. Cela oblige à la concertation, mais en l’absence de prérogatives clairement définies cela paralyse l’action publique.
Une définition claire des responsabilités ne lève toutefois pas tous les obstacles. Un des principaux problèmes reste de partager un discours et une ambition pour la métropole. Cela concerne bien sûr les acteurs publics qui ne peuvent construire ensemble un espace politique métropolitain s’ils ne partagent pas les mêmes références et ne parlent pas avec les mêmes mots. Un des objectifs revendiqués par les élus à l’origine de la conférence métropolitaine autour de Paris était d’ailleurs de faire émerger un cadre de discussion commun. Cela concerne aussi l’ensemble des acteurs individuels et collectifs de la métropole. Se pose donc la question des relais d’opinions, de la structuration des débats et des conflits, en bref de la démocratie à l’échelle métropolitaine. Une des réussites de Ken Livingstone, maire de Londres de 2000 à 2008, est d’avoir réussi à faire exister un débat sur la métropole à l’échelle de la métropole [9]. Le peu de moyens de l’autorité du Grand Londres lui interdisait d’être un acteur opérateur direct puissant en dépit de son mandat. En permettant l’émergence d’oppositions sur les questions métropolitaines et en les organisant pour faire de la métropole un enjeu de débat, il a pu cristalliser des énergies, mobiliser des investisseurs et mettre en mouvement bien plus de grues que par une implication financière directe.
Dépassant le cadre institutionnel, la question de la gouvernance métropolitaine doit donc intégrer la problématique des représentations des acteurs et du cadre de leurs actions, même si les schémas mentaux partagés sont lents et complexes à faire évoluer. Surtout, elle ne doit pas oublier que la métropole appelle aussi et surtout des réformes ponctuelles sur les secteurs techniques qui font la ville au jour le jour. Sur la question du logement, les objectifs de densification ou la réaffirmation de la loi SRU sont importants. Mais l’amélioration des conditions de vie dépendra aussi de la coordination des organismes de logement, de la gestion des listes d’attente, de la mobilisation de leviers financiers à l’échelle de la métropole et non organisme par organisme. Sur de nombreux sujets, les approches techniques sont au cœur des questions opérationnelles, même si elles sont peu visibles et peu médiatiques.
Les modifications en profondeur de la structure économique, territoriale et politique de la région parisienne renouvellent à la fois les questions pratiques qui se posent à la métropole et leur déclinaison institutionnelle. En particulier, la nécessité d’articuler à la fois les différentes échelles et les différents territoires de la métropole s’impose. Il ne faut donc pas chercher à refondre le contexte parisien en apportant une réponse englobante à ces mutations, mais approcher de manière multivariée et pragmatique la question de la gouvernance. C’est pour cela qu’il faut se poser non pas « la » question du Grand Paris, mais se pencher sur les points de blocage actuels dans les équilibres de la métropole. L’absence d’initiatives locales et d’ambitions métropolitaines pointent les deux enjeux d’un Paris métropolitain sur lesquels il reste à revenir.
Si Paris s’endort, son sommeil est agité ! L’encre du Schéma régional d’aménagement n’a pas séché qu’agendas et discussions se multiplient au nouveau Secrétariat d’État, dans les communes désormais réunies en Syndicat ou dans les grandes entreprises. Frédéric Gilli propose un retour sur ces questions. Le risque est qu’à se ruer sur les débats institutionnels, l’on perde le sens des enjeux pratiques qu’ils doivent servir. Cet article, qui porte sur les spécificités du débat francilien, est le premier d’une série de trois que La Vie des Idées publiera dans les semaines à venir.
Frédéric Gilli, « Les nouveaux contours de la métropole parisienne »,
La Vie des idées
, 5 novembre 2008.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr./Les-nouveaux-contours-de-la-metropole-parisienne
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[1] Frédéric Gilli, « La région parisienne entre 1975 et 1999 : une mutation géographique et économique », Économie et Statistiques, 387, 2006, p. 3-32.
[2] Martin Vanier, « La relation ville/campagne excédée par la périurbanisation », Cahiers français, n° 328, 2005, p.13-17.
[3] Paul Chemetov, Frédéric Gilli, Une région de projets : l’avenir de Paris, Paris, La Documentation française, 2006.
[4] Pierre Veltz, Mondialisation, villes et territoires : une économie d’archipel, Paris, PUF, 1996.
[5] Par exemple, être un des lieux centraux du commerce et de la logistique mondiale permet aujourd’hui l’existence de plus de 430 000 emplois directs en 2004 dans la région, sans compter les milliers d’emplois induits par l’accessibilité accrue de la métropole.
[6] Philippe Estèbe, Gouverner la ville mobile. Intercommunalité et démocratie locale, Paris, PUF, 2008.
[7] Daniel Kahneman, Jonathan Renshon , « Why Hawks Win », Foreign Policy, janvier-février 2007.
[8] Wolfgang Knapp, Peter Schmitt, « Re-structuring competitive metropolitan regions : on territory, institutions and governance. RheinRuhr compared with London, Paris and the Randstad Holland », ERSA conference papers, 2002, 02p437.
[9] Même si l’on peut regarder avec circonspection les conditions réelles de ce débat et le fait qu’il soit en définitive resté largement coupé de la société locale comme le remarquent Peter Newman et Andy Thornley (« Londres, le maire et le partenariat dans une ville globale », in Bernard Jouve et Philippe Booth, Démocraties métropolitaines, p. 93-110).